Éco-BusinessTable ronde

Les marques chinoises en force. Les défis de l’automobile chinoise et le marché marocain

La table ronde du Cercle des ÉCO, sous le thème «Automobile : Les marques chinoises en force» a permis à Adil Bennani, président de l’AIVAM, Achraf Hajjaji, DGA d’Auto Nejma, et Saad Menioui, directeur de la marque Changan au Maroc, de revenir sur la pénétration et les stratégies des marques chinoises sur le marché marocain.

Pour Saad Menioui, les marques chinoises ont atteint leur seuil de maturité. Leur modèle est fascinant en ce qu’il a même verrouillé les matières premières. La Chine détient 70% des terres rares, indispensables aux batteries, y compris des gisements au Chili, en Argentine et au Congo. Ils sont en tête des investissements en recherche et développement ainsi que des dépôts de brevets. Le directeur de Changan au Maroc estime que «les compétiteurs de la Chine auront besoin de 10 ans pour la rattraper, à la condition qu’elle ne fasse plus d’avancée».

Pourtant, rebondit Adil Bennani, la Chine continue à avancer, et plus vite que les autres. Le gap est en train de s’élargir, soutient-il, à une vitesse impressionnante en termes de développement, en termes de réactivité marché. Des décisions qui mettent deux ans à se prendre chez une marque standard ne demandent que six à huit mois chez les Chinois. Et plus la marque est solide, plus cela va vite, ce qui leur donne une longueur d’avance indéniable. Ils bénéficient aussi de la taille de leur marché. «Vingt-cinq millions d’unités vendues, c’est l’équivalent du marché américain ou européen», souligne Moulay Ahmed Belghiti. Quoi qu’ils développent, renchérit Adil Bennani, ils ont déjà un tel volume captif qu’ils gagnent du temps, en économies et en fiabilité, puisque leur «learning curve» s’est améliorée.

Ainsi, ce qui a pu leur être reproché il y a 20 ans n’est plus d’actualité. «Il leur reste peut-être un effort à faire sur leur capacité à s’internationaliser», reconnaît le président de l’AIVAM, ajoutant aussitôt qu’ils apprennent «extrêmement vite». L’apprentissage de la distribution fait partie de la courbe de croissance naturelle. Ce n’est plus qu’une question de branding : le marketing à l’échelle mondiale ne se fait pas comme on le ferait pour la seule Chine. Et inversement. Le jour où les marques chinoises ont proposé du karaoké et des jeux vidéo dans la voiture, les acheteurs chinois se sont détournés des autres marques. Mais les marchés européens et américains n’en ont pas voulu. Il n’a pas été possible de le leur imposer.

Se repérer parmi des marques foisonnantes

Avec près de 130 marques, il est légitime de se demander comment s’y retrouver, lesquelles seront pérennes et quelles sont celles qui vont disparaître. Il est d’abord nécessaire de distinguer celles qui ne concernent que la Chine, voire seulement quelques provinces, explique Achraf Hajjaji, ou celles dédiées aux taxis ou bien toute autre utilisation spécifique.

De plus, il apparaît que certaines marques sont celles du software, du logiciel de la voiture, dont la construction est sous-traitée à l’équivalent d’une marque blanche. Comme pour les smartphones, l’OS, le système d’exploitation, fait toute la différence. Certains fabricants de téléphones ont d’ailleurs investi ce créneau. Parmi les formules envisagées, «il sera possible de louer des options, comme un surcroît de puissance motrice, activable électroniquement, le temps d’un week-end ou d’un voyage, au mois ou à l’année». Les applications et leurs abonnements feront le futur de l’automobile.

Ce qui explique cette multitude d’enseignes. Celles qui veulent s’internationaliser sont en nombre plus réduit. Cela demande des capacités spécifiques. Toutefois, le DGA d’Auto Nejma anticipe que l’ensemble du marché mondial de l’automobile verra des consolidations se faire, ce qui impactera aussi les marques chinoises. Adil Bennani souligne qu’il faut aussi ne pas confondre les marques et les groupes.

Certains groupes possèdent 20 ou 25 marques. Ils en font vivre ou disparaître. Parmi les groupes automobiles, 5 ou 6 sont solides et vont rester. Certaines de leurs marques peuvent disparaître par le jeu du marketing ou du repositionnement, mais ces groupes continueront à exister. Ceux qui markèteront au mieux les marques dont ils disposent sauront créer pour leur portefeuille de produits une stratégie de marque gagnante en Chine, mais aussi à l’étranger, ressortiront gagnants. Cela fait partie de l’adaptation. Les appellations de modèles chinois peuvent sembler déphasées au reste du monde.

La distribution, nerf de la guerre

L’accélération de l’avènement de nouvelles marques s’est faite au cours de ces dix dernières années. Il a pu s’agir, notamment, des marques électriques, pures ou électrifiées. Certaines sont parties d’un concept marketing, ont levé des fonds et sont parties voir des constructeurs leur demander de fabriquer tel ou tel produit. Des marques comme NIO ou Chongqing ont pu lever de gros capitaux.

Aujourd’hui, les investisseurs attendent un retour sur investissement qui ne peut venir qu’à partir d’un certain volume de ventes. Celles qui peineront à atteindre ce volume vont disparaître de facto, aussi bonnes puissent-elles être par ailleurs. Ce que certaines ont négligé, mais pas d’autres, un peu plus historiques, c’est la puissance d’un réseau de distribution. «La Chine n’est pas comme le Maroc, où si vous êtes présent dans 6 ou 7 grandes villes, votre distribution couvre 90% du territoire», continue Adil Bennani. «Là-bas, le Maroc, c’est un quartier. Donc, avoir une capillarité, ça ne se construit pas en une nuit. Or, le volume en dépend et la digitalisation ne fait pas tout.» C’est donc de là, pour le président de l’AIVAM, que certains groupes, comme SAIC, BYD, etc., qui avaient déjà une empreinte importante sur le marché chinois, peuvent tirer profit de son expansion.

L’effort qu’ils fournissent en innovation est démultiplié par le volume. Ils ne pourraient pas vendre leurs voitures sans un distributeur qui connaît le marché, ce qui vaut pour leur marché extérieur. Un distributeur marocain qui voudrait vendre au Pérou devrait s’associer avec un distributeur péruvien pour maximiser ses chances, estime Adil Bennani. Mais certains ne font pas ce raisonnement et pensent soit être meilleurs, soit pouvoir le faire avec d’autres canaux, comme de la distribution directe, digitale ou autre. À chaque marque de définir sa politique.

Situation marocaine

Les 6 ou 7 marques chinoises présentes au Maroc représentent 1,2% des ventes. Cela paraît peu, sauf à prendre en compte le temps de présence sur le marché. Adil Bennani fait valoir que l’an dernier le chiffre était de 0,8% et espère qu’à la fin de l’année il sera de 1,5%. Toutefois, la marge de progression est immense si l’on se souvient que 30% de la production mondiale vient de Chine. En se concentrant sur les véhicules électriques, le président de l’AIVAM remarque qu’au Maroc, un véhicule électrique sur quatre est de marque chinoise. Les chiffres sont très petits, mais la croissance est grosse. Les 6 ou 7 marques présentes dans le Royaume sont presque toutes affiliées à l’AIVAM. Une ou deux sont en phase de finalisation, mais toutes sont des groupes affiliés. Pour expliquer une arrivée aussi récente de ces marques, Adil Bennani donne l’exemple du moment où elles avaient tenté de s’implanter en 2003 ou 2004.

Le produit n’était pas au point et la stratégie était celle du plus bas prix, d’être le moins équipé. Le démantèlement tarifaire n’avait pas eu lieu, les Européens et les Chinois supportaient donc à peu près les mêmes droits de douane. Les véhicules venus de Chine étaient 30, 40 ou 50% moins chers. Très vite, il y a eu un engouement, dans une classe de population qui n’était pas celle qui achetait des automobiles, à ce moment-là, et à qui les organismes de crédit ont prêté de l’argent. Adil Bennani se souvient d’un double effet : des clients mécontents et des impayés.

En réponse à cela, l’AIVAM a introduit la norme Euro 4, afin de professionnaliser le secteur à l’aide d’un outil normatif, dans la mesure du possible. C’est pourquoi ces marques se sont alors retirées du marché. Les pays qui n’ont pas suivi cette voie-là, au Moyen-Orient ou chez nos voisins, ont vu le décollage de ces marques. Ils ont eu des problèmes d’après-vente énormes, mais qui ont été résorbés par les volumes et la courbe d’apprentissage des distributeurs.

Au Maroc, elles reviennent aujourd’hui par la grande porte, dans les normes, avec la qualité requise, etc. Le pays est maintenant le seul marché Euro 6 du continent africain. Selon des études, il a les habitudes de consommation les plus proches de l’Europe. La volonté chinoise de pénétrer l’Union européenne explique son retour ici.


Adil Bennani
Président de l’AIVAM

 «Il reste peut-être aux constructeurs chinois un effort à faire sur leur capacité à s’internationaliser. Ils apprennent extrêmement vite, or l’apprentissage de la distribution fait partie de la courbe de croissance naturelle. Ce n’est plus qu’une question de branding : le marketing à l’échelle mondiale ne se fait pas comme on le ferait pour la seule Chine».

Achraf Hajjaji
Directeur général adjoint d’Auto Nejma

 «L’ensemble du marché mondial de l’automobile verra des consolidations se faire, ce qui impactera aussi les marques chinoises».


Saâd Menioui
Directeur de Changan Marocf

«Nous voulons devenir l’une des marques de référence»

Dans la vague de réintroduction des marques chinoises sur le marché automobile au Maroc, vous figuriez parmi les pionniers. Cela vous procure-t-il aujourd’hui un avantage par rapport aux autres ?
Oui, être parmi les pionniers dans la réintroduction des marques chinoises au Maroc nous procure effectivement un avantage significatif. Nous avons eu l’opportunité de nous familiariser plus tôt avec le marché marocain et ses spécificités, ce qui nous a permis d’ajuster notre offre et notre stratégie en conséquence. Cette avance nous donne un avantage concurrentiel en termes de notoriété de marque et de compréhension des attentes des consommateurs marocains.

Pourquoi avoir effectué ce choix ? Aviez-vous déjà flairé le potentiel ?
Notre choix de réintroduire Changan au Maroc était basé sur une analyse approfondie du marché automobile mondial et des tendances croissantes de l’industrie chinoise. Nous avons observé que les marques chinoises, et Changan en particulier, faisaient des progrès remarquables en termes de qualité, de technologie et de design. Nous avons donc vu un potentiel immense dans cette marque pour répondre aux besoins d’un segment croissant de consommateurs marocains à la recherche de véhicules fiables, modernes et surtout abordables.

Quid actuellement de vos performances ?
Nos performances actuelles sont très encourageantes. Depuis le lancement, nous avons réalisé plus de 100 véhicules le premier mois, ce qui témoigne de la qualité des véhicules que nous proposons, mais le plus important c’est de transformer ces 100 premiers clients en ambassadeurs de la marque. C’est ça le vrai succès.

Comment s’est faite la rencontre entre vous et Changan?
La rencontre avec Changan s’est faite à travers des discussions stratégiques lors de divers salons automobiles internationaux. Changan nous a choisis en raison de notre expertise locale, de notre connaissance approfondie du marché marocain et de notre capacité à construire une marque forte. Nous avons choisi Changan pour ses valeurs d’innovation, de qualité et de fiabilité, qui sont parfaitement alignées avec ce que nous voulons offrir à nos clients marocains.

Sur quel levier allez-vous jouer pour changer la perception de la clientèle vis-à-vis des voitures chinoises ? Cela passe-t-il surtout par le prix ou également par l’animation de la marque ?
Changer la perception des voitures chinoises passe par plusieurs leviers. Tout d’abord, nous nous concentrons sur la qualité des produits. Changan propose des véhicules à la pointe de la technologie et au design attractif. Nous mettons également l’accent sur le rapport équipement-prix, qui est un argument de poids, ainsi que la proposition d’une garantie assez large de 6 ans/km illimité. En outre, nous investissons dans l’animation de la marque à travers des campagnes de communication percutantes et des événements pour créer une connexion émotionnelle avec les consommateurs marocains.

Qu’en est-il du réseau ?
Nous travaillons intensivement à développer un réseau de distribution solide et fiable à travers tout le Maroc. Nous avons des partenaires stratégiques dans les principales villes du pays, ce qui nous permet de garantir un service après-vente de qualité et une disponibilité optimale des pièces détachées. D’ici 2025, nous allons compter plus de 10 points de vente et services après-vente à travers le Royaume.

Quid de la revente ?

La valeur de revente est un aspect important pour les consommateurs. Nous avons pu développer, grâce à la filiale du groupe Global Occaz, une expérience nommée smart reprise, dont nous estimons qu’elle sera l’un des leviers de croissance de notre activité, en offrant une valeur de revente avantageuse pour nos clients. De plus, notre réseau de distribution et notre service après-vente renforcent la confiance des clients dans la durabilité de leurs investissements.

Quelles sont vos ambitions pour la marque au Maroc ?
Notre ambition pour Changan est de devenir l’une des marques de référence au Maroc. Nous visons à élargir notre gamme de modèles disponibles et à renforcer notre présence sur le marché national. À long terme, nous souhaitons que Changan devienne synonyme de fiabilité et d’innovation pour les automobilistes marocains.

Votre partenariat pourrait-il constituer un prélude pour l’installation d’une usine de production dans le Royaume dans le futur ?
Bien que cela ne soit pas prévu dans l’immédiat, nous restons ouverts à toutes les possibilités. L’installation d’une usine de production au Maroc pourrait être envisagée si les conditions de marché le permettent et si cela représente une opportunité stratégique pour renforcer notre positionnement et notre compétitivité à l’échelle locale et régionale.

Murtada Calamy / Les Inspirations ÉCO

 


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