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Légalisation du cannabis thérapeutique : dernière ligne droite !

Le décret portant application de certaines mesures relatives à l’usage licite du cannabis au Maroc, notamment les régions autorisées pour sa culture et sa production, a été publié au Bulletin officiel n°7078, marquant son entrée en vigueur officielle.

Les provinces où il est autorisé de cultiver le cannabis sous couvert de la loi sont désormais connues. Il s’agit d’Al Hoceima, Chefchaouen et Taounate. Par contre, il va falloir attendre que soit publié l’arrêté fixant le taux du tétrahydrocannabinol (THC) autorisé, principale substance active du chanvre. L’arrêté va aussi préciser les conditions et procédures d’approbation des semences utilisées, les exemples des contrats de vente et de livraison des récoltes ainsi que les procès-verbaux de destruction de l’excédent de production.

Pourquoi s’avère-t-il nécessaire de contrôler les semences utilisées ? Parce que l’introduction de semences hybrides, très gourmandes en eau, a engendré une pression massive sur les ressources hydriques, avec des centaines de pompages illégaux qui drainent la nappe phréatique. Un autre arrêté est aussi attendu. Il émanera conjointement des ministères de l’Intérieur, de la Santé, de l’Agriculture, et de l’Industrie et définira le contenu du dossier de demande des autorisations de culture.

En effet, il faudra montrer patte blanche pour cultiver de manière licite le cannabis car l’obtention de cette autorisation sera soumise à conditions. Les demandeurs de permis vont être accompagnés par la nouvelle Agence nationale dédiée à la régulation de ces activités. Et qu’entendent les autorités par «leur accompagnement» ?

Durant la phase d’examen de leurs dossiers, les demandeurs seront passés au scanner par une commission consultative composée de représentants des ministères de l’Intérieur, de la Santé, de l’Agriculture, et de l’Office national de la sécurité des produits alimentaires (ONSSA).

Pour éviter tout détournement de l’autorisation à des fins illégales, le décret oblige les agriculteurs autorisés, à fournir à l’agence des rapports mensuels détaillant les entrées et les sorties de cannabis, ainsi que l’état du stock des graines, des plants et des produits dérivés.

Les titulaires de licence sont également tenus de réaliser, avant le 31 janvier de chaque année, un inventaire physique annuel du chanvre, des graines, des plants et des produits de l’année précédente. Soulignons que cette commission sera créée au sein de l’Agence mentionnée plus haut.

Au terme de sa mission, cette dernière émettra un avis qui constituera un précieux sésame pour les cultivateurs. Pour ce qui est des demandes de licences, l’article 2 du décret souligne que leur contenu et les modalités de leur octroi seront déterminés par une décision conjointe des ministères précités. Les agriculteurs, qui devront être établis dans l’une des trois provinces du Nord du Royaume, pourront ainsi planter et exploiter des pépinières de cannabis pour usage licite. Rien n’exclut que d’autres régions intègrent la liste des provinces citées plus haut.

Pour ce qui est de l’extension ou non du périmètre de culture à d’autres régions, tout dépendra du niveau de la demande des investisseurs locaux et internationaux dans ce domaine.

Comment la nouvelle loi va-t-elle concrètement changer la situation sur le terrain ?

L’adoption finale, en juin 2021, du projet de loi n°13-21 sur les usages licites du cannabis, «à des fins médicales, pharmaceutiques et industrielles» nourrit de grands espoirs, mais soulève aussi des questions quant aux impacts réels sur les petits producteurs. Avec le changement de cette donne, il reste à voir dans quelle mesure la nouvelle loi va concrètement changer la situation sur le terrain.

Dans un article publié sur son portail, la fondation politique allemande à but non-lucratif, Heinrich-Böll-Stiftung, souligne que dans la zone du Rif, les denses forêts de cèdres, chênes et sapins sont progressivement remplacées par des monocultures de cannabis. Selon Abdelilah Tazi, habitant de Chefchaouen et président de l’Association Talassemtane pour l’environnement et le développement (ATED), «le paysage a beaucoup changé depuis cinquante ans».

L’association qui a obtenu le prix Hassan II pour l’environnement en 2017, tire la sonnette d’alarme sur les impacts environnementaux de ces monocultures et la déforestation massive qu’elles entraînent. Tous les ans, c’est plus d’une centaine d’hectares de forêt qui disparaissent dans la province de Chefchaouen (et dix fois plus au niveau national), pour faire place, en grande partie, aux cultures de cannabis.

Comment vont évoluer les surfaces cultivées ?

«Dans les années 1970, les périmètres cultivés étaient très restreints, et les habitants utilisaient des semences beldi (variétés locales), plus adaptées à la région», se souvient Abdelilah Tazi. Le cannabis était alors surtout cultivé pour la consommation régionale et couvrait une superficie estimée à moins de 10.000 ha.

C’est avec l’émergence des mouvements hippies en Europe et en Amérique du Nord, à partir du milieu des années 1960, que l’économie du cannabis s’est transformée. Le produit, traditionnellement consommé sous forme de kif (cannabis séché puis haché), devient alors un produit d’exportation.

«Le cannabis, seul produit de la région jouissant d’une réelle demande, apparaît comme une opportunité économique», écrivent Khalid Mouna, professeur à l’université Moulay Ismail et Kenza Afsahi, maître de conférences à l’Université de Bordeaux. Il est transformé en hashish (résine de cannabis), plus facile à stocker et à transporter, notamment vers l’Europe.

Selon une étude conjointe du gouvernement marocain et de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime, les plantations de cannabis ont connu leur apogée en 2003, lorsqu’elles s’étendaient sur plus de 130.000 hectares. La production de cannabis brut s’élevait alors à plus de 47.000 tonnes, et assurait un revenu de 214 millions USD aux petits agriculteurs, soit l’équivalent de presque 0,6% du PIB annuel.

En 2003, le chiffre d’affaires total du marché de résine de cannabis d’origine marocaine était estimé à 12 milliards USD, l’essentiel de ce chiffre d’affaires étant réalisé par les circuits de trafic dans les pays européens.

Aujourd’hui, le Maroc est toujours considéré comme un des premiers producteurs au monde. Les efforts étatiques dans la lutte contre la drogue ont entraîné une forte diminution des surfaces cultivées (actuellement estimées autour de 50.000 hectares), sans avoir un impact significatif sur la quantité produite, en raison de l’introduction de variétés hybrides à hauts rendements, importées d’Amérique ou d’Europe.

Une des seules opportunités économiques viables dans la zone

Cultivé sur de petites parcelles, le kif fait vivre entre 90.000 et 140.000 foyers, selon les sources, soit près de 2% de la population marocaine. De par son sol appauvri et érodé, la zone est peu propice aux autres activités agricoles. Le cannabis apparaît alors comme une des seules opportunités économiques viables, générant des rendements nettement plus élevés par rapport aux cultures alternatives légales, comme les céréales (12 à 46 fois moins lucratif) ou les olives (4 à 14 fois moins lucratif).

Modeste Kouamé / Les Inspirations ÉCO


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