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“L’eau, principale victime du changement climatique”

Charafat afilal : Ministre déléguée chargée de l’Eau

La ministre chargée de l’Eau souligne l’importance d’inscrire la question de l’eau dans les négociations climatiques. Elle appelle à une mobilisation importante et des efforts considérables de la part de la communauté pour relever les défis auxquels sont confrontés plusieurs pays africains.

Vous plaidez pour que les enjeux relatifs à l’eau soient inscrits dans les négociations climatiques. Quelle place cette question devra-t-elle occuper à la COP22 ?
Le changement climatique est une réalité qui s’impose de plus en plus à l’échelle internationale. Les études scientifiques montrent clairement que le développement de l’activité économique s’est traduit par un réchauffement climatique global et progressif et des perturbations climatiques telles que l’accentuation des phénomènes climatiques extrêmes. Les impacts du dérèglement climatique sont complexes et différenciés selon les régions du monde, ils se manifestent à travers des cycles de sécheresse, la récurrence des inondations, l’augmentation du niveau de la mer, l’amplification des disparités dans la répartition des précipitations, ce qui impacte directement le secteur de l’eau et les autres secteurs connexes (accès à l’eau, sécurité alimentaire, santé, etc…) et compromet le développement durable. L’eau constitue le principal enjeu, le principal défi et la principale victime du changement climatique, dont les impacts se manifestent principalement sur le cycle de l’eau : inondations, sécheresse, maladies hydriques, tensions et conflits, mais cette omniprésence de l’eau dans les impacts des changements climatiques ne se reflète malheureusement pas au niveau des mesures préconisées jusqu’à présent au niveau de la prise de décision. Dans ce sens et pour développer les engagements et les initiatives liées à l’eau, qui ont été adoptées lors de la COP21, le ministère délégué chargé de l’Eau a organisé, conjointement avec le ministère français de l’Environnement, de l’énergie et de la mer et le Conseil mondial de l’eau, une Conférence internationale sur l’eau et le climat (CIEC) les 11 et 12 juillet derniers à Rabat sous le thème : «Sécurité hydrique pour une justice climatique». Cette rencontre internationale doit permettre de mieux positionner l’eau au cœur des négociations sur le climat lors de la COP de Marrakech, de préparer et se mettre d’accord sur les actions et initiatives à adopter afin de créer des sociétés plus résilientes face aux aléas climatiques. Il est à noter que ce rendez-vous international a été couronnée par le lancement de l’appel de Rabat baptisé : «Water for Africa».

Comment expliquez-vous la marginalisation de la sécurité hydrique pendant de longues années dans les manifestations ayant trait au réchauffement climatique ?
Ce n’est pas une «marginalisation», mais plutôt un certain retard pour faire la liaison directe entre les effets du changement climatique et la sécurité hydrique. On est convaincu maintenant que l’eau est la face cachée du changement climatique et cela grâce aux efforts déployés par toutes les communautés qui défendent la cause de l’eau. Par ailleurs et pour mobiliser la communauté internationale de l’eau et défendre la cause de l’eau dans les négociations sur les changements climatiques en général et lors de la COP22 à Marrakech en particulier, plusieurs initiatives ont été lancées en marge de la COP21, notamment l’initiative «Climate is water» visant une convergence de l’eau et du climat grâce à la mobilisation de plusieurs organisations internationales, qui représentent des milliers d’acteurs pour généraliser la reconnaissance de l’eau au niveau politique durant la COP21 et dans les prochaines éditions. Il faut signaler aussi qu’à l’issue de la Conférence internationale sur l’eau et le climat, un«livre bleu» synthétisant les conclusions et les recommandations de la conférence sera élaboré, présenté et distribué lors de la COP22 dans l’objectif de mettre en avant des éléments de réponse et des recommandations pour l’intégration de l’eau dans les négociations autour des changements climatiques. Ce livre bleu devrait inclure des initiatives concrètes qui permettront d’avancer l’agenda de l’eau selon une voie partagée entre toute la communauté internationale de l’eau et de donner une attention particulière à l’eau en Afrique.

Comment peut-on assurer une mobilisation mondiale en faveur de la sécurité hydrique ?
L’eau atteint aujourd’hui un point de basculement en tant qu’enjeu mondial. Sur les deux prochaines décennies, la demande planétaire liée à la sécurité alimentaire et énergétique ainsi qu’à la poursuite de l’urbanisation fera peser des pressions sans précédent sur l’eau. Dans le même temps, le changement climatique risque d’aggraver la situation car il favorise le stress hydrique et les phénomènes météorologiques extrêmes. Par conséquent, une mobilisation importante et des efforts considérables doivent être entrepris par la communauté mondiale afin d’atteindre l’objectif de développement durable relatif à l’eau. Pour cela, nous devons unir nos forces avec des partenaires mondiaux, des organisations de la société civile et d’autres acteurs à travers les initiatives déjà citées, afin que l’eau devienne une priorité internationale, notamment lors de la mise en œuvre de l’Accord de Paris.

Quelles sont les solutions qui peuvent être mises sur le tapis pour pouvoir relever les enjeux ayant trait au secteur de l’eau, notamment en Afrique ?
Le secteur de l’eau en Afrique est confronté à des défis majeurs liés principalement au déficit en équipements et en infrastructures de mobilisation, d’adduction et de distribution d’eau et d’assainissement. Aujourd’hui encore, 330 millions d’Africains n’ont toujours pas accès à l’eau potable et à l’assainissement. Parmi les multiples problèmes liés à l’accès à l’eau potable et à sa gestion, figure celui du manque de fonds alloués pour initier des projets coûteux d’équipements. D’après la Banque africaine de développement (BAD), il faudrait que l’Afrique consacre l’équivalent de 10,3 milliards de dollars par an, pour créer ou renforcer des infrastructures de distribution d’eau potable et d’assainissement. Une grande implication politique est donc nécessaire. Il est aujourd’hui crucial pour le continent africain de favoriser l’accessibilité aux financements en ouvrant davantage les fonds climat (Fonds d’adaptation, Fonds vert) à des projets africains pour une meilleure gestion des ressources en eau.

Dans quelle mesure le Maroc peut-il apporter son soutien aux pays africains pour surmonter le défi du stress hydrique ?
L’expérience du Maroc dans le domaine de la gestion des ressources en eau a permis de développer des compétences et un savoir-faire de forte valeur ajoutée. D’ailleurs, le Maroc a réussi à bâtir un modèle efficient de planification et de gestion de l’eau, propre au pays et cité en exemple à l’échelle internationale. Tous les efforts déployés au fil des années pour le développement du secteur de l’eau ont permis de mettre en place des techniques et des procédés de construction, de gestion et de planification adaptés au contexte national. Par ailleurs, le Maroc est toujours prêt à œuvrer pour que le droit à l’eau pour tous soit une réalité, surtout sur le continent africain. Sachez que dans ce cadre, plusieurs accords et mémorandums ont été signés avec les pays africains dans différents domaines liés à l’eau, notamment la gestion, la planification, la réalisation des infrastructures hydrauliques, le renforcement des capacités…

Le royaume a adopté une politique prospective en matière de préservation de ses ressources hydriques. Que reste-t-il à faire en la matière et quelles sont les grandes contraintes ?
Le Maroc s’est engagé depuis longtemps dans la voie de la maîtrise de ses ressources en eau. Cette politique a permis de doter notre pays d’une importante infrastructure hydraulique assurant un large développement de l’irrigation à grande échelle, l’approvisionnement en eau potable en milieux urbain et rural, la production d’énergie hydroélectrique et la protection contre les effets des inondations et de la sécheresse. Néanmoins, le secteur de l’eau reste confronté à des défis majeurs liés à la raréfaction des ressources en eau et à l’accentuation des phénomènes climatiques extrêmes (inondations et sécheresses) sous l’effet des changements climatiques, sans oublier l’inadéquation des ressources avec des besoins en eau en croissance continue. Pour renforcer le processus de planification et de gestion intégrée des ressources  en eau et relever les défis majeurs liés au secteur de l’eau, le ministère délégué chargé de l’Eau, en étroite concertation et collaboration avec l’ensemble des partenaires et des parties concernées, a élaboré le Plan National de l’Eau, qui est fondé sur 3 piliers. Le premier pilier concerne la gestion de la demande et la valorisation de l’eau à travers la maîtrise de la demande en eau, la réduction des pertes d’eau et l’amélioration des efficiences. Le deuxième axe s’appuie sur la gestion et le développement de l’offre à travers la mobilisation des eaux de surface par les grands barrages, le transfert d’eau du Nord vers le Sud, la valorisation des eaux de surface au niveau local par les petits barrages et le recours aux eaux non conventionnelles (dessalement de l’eau de mer, réutilisation des eaux usées épurées). Le troisième et dernier piler vise la préservation des ressources en eau, du milieu naturel et l’adaptation aux changements climatiques.  Le PNE propose également la poursuite des réformes règlementaires et institutionnelles.    

Quid de la mise à niveau et l’opérationnalisation du dispositif législatif et réglementaire du secteur de l’eau ?
Aujourd’hui, le secteur de l’eau du Maroc est doté d’une loi sur l’eau qui a jeté les bases d’une gestion intégrée, décentralisée et participative des ressources en eau. Cependant, afin de tenir compte des difficultés que rencontre la gestion efficace et durable des ressources en eau, des effets négatifs des changements climatiques et des orientations de la nouvelle politique de l’eau, la loi sur l’eau a été révisée pour accompagner les mutations en cours sur les plans juridique, socio-économique et environnemental. Le projet de la nouvelle loi sur l’eau, adopté par le Parlement, introduit des réformes majeures visant essentiellement la valorisation des ressources en eau non conventionnelles et l’amélioration de la gouvernance, la gestion intégrée et participative des ressources en eau aussi bien à l’échelle nationale qu’à l’échelle des bassins hydrauliques.

Comment évaluez-vous le partenariat public/privé dans le secteur de l’eau ?
Le PPP dans le secteur de l’eau au Maroc ne date pas d’aujourd’hui. En effet, la première concession date de 1950 et concerne l’eau potable (concession ELYO rebaptisée Société des Eaux de l’Oum Er Rbia). La montée en puissance du PPP dans le domaine de l’eau a été enregistrée à partir de la fin des années 90. Des contrats de gestion déléguée ont été signés pour gérer l’eau potable et l’assainissement dans les grandes villes, à savoir Casablanca, Rabat-Salé, Tanger-Tétouan. La première expérience de PPP dans le domaine de l’irrigation a vu le jour en 2005 pour la sauvegarde et la gestion de l’irrigation du périmètre d’El Guerdane. Le dessalement de l’eau de mer a aussi fait objet de PPP (Accès à l’Eau Potable pour Agadir et à l’eau d’irrigation dans le périmètre de Chtouka). L’expérience marocaine en PPP dans le secteur de l’eau, fait ressortir un bilan satisfaisant. En effet, les PPP réalisés ont permis d’améliorer la qualité du service de distribution de l’eau potable et de l’assainissement dans les villes concernées. Ils ont également contribué  à une maîtrise de la demande en eau et à une réduction de la part des eaux non facturées. Et ils ont surtout permis de mobiliser des capitaux privés aussi bien nationaux qu’étrangers. En termes de perspectives de développement, le secteur est très prometteur avec un important potentiel en matière de développement et de mobilisation des ressources en eau, notamment les barrages destinés à produire de l’énergie hydroélectrique, le dessalement de l’eau de mer et bien évidemment le projet du transfert de l’eau du Nord vers le Sud. Par ailleurs, un nouveau cadre règlementaire a été mis en place à travers la promulgation de la loi n° 86-12 relative aux contrats de Partenariats Public-Privé. 


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