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Intelligence artificielle. Nabil Haffad : “L’adoption au Maroc est encore balbutiante”

L’intelligence artificielle s’immisce peu à peu dans le tissu économique, mais elle se heurte encore à des freins structurels. Nabil Haffad, expert en transformation numérique, décortique ces blocages et propose des pistes pour accélérer l’intégration de l’IA au cœur des entreprises.

Vous accompagnez les PME dans leur transformation digitale. Quel est, selon vous, l’état actuel de l’intelligence artificielle au Maroc?
Il serait prétentieux de dresser un état des lieux exhaustif, car nous n’avons qu’une vision partielle du marché. Toutefois, sur la base des échanges que nous avons pu avoir avec des dirigeants d’entreprises, administrations et PME, nous constatons que l’adoption de l’IA en est encore à ses balbutiements. Beaucoup sont encore dans une phase d’assimilation, cherchant à apprivoiser cette technologie tout en évaluant son impact potentiel sur leurs activités.

Comment se déroule concrètement l’intégration de l’IA dans une entreprise ?
Le processus est relativement simple. Nous commençons par sensibiliser le top management aux concepts fondamentaux, à savoir les bénéfices et les risques associés à l’adoption de l’IA, les implications pour les processus internes.

Ensuite, une fois que la direction s’approprie ces notions, nous pouvons élaborer une roadmap. Il s’agit d’un portefeuille de projets concrets où l’IA est appliquée dans différentes fonctions de l’entreprise : la logistique, la production, etc. Après cette phase, nous formons les équipes techniques, nous testons des «proof of concept», et nous affinons les projets au fil des expérimentations.

L’automatisation, dans ce contexte, apporte-t-elle des gains notables?
Absolument. L’automatisation liée à l’IA permet une accélération significative de la productivité, notamment dans le traitement des données. Toutefois, malgré ces avantages, beaucoup d’entreprises restent coincées dans la phase d’acculturation. Peu ont dépassé cette étape pour véritablement intégrer l’IA dans leurs processus, faute de vision claire sur ce que cette technologie peut leur apporter.

Certains chefs d’entreprise anticipent-ils une réduction de la main-d’œuvre en raison de l’intégration de l’IA?
Pas encore. Ce que nous observons, c’est plutôt une divergence dans les mentalités. Certains dirigeants, bien informés et à l’aise avec les transformations technologiques, cherchent à en tirer parti. D’autres, en revanche, demeurent dans le déni, je dirais, pour l’heure, incapables de percevoir l’ampleur de la rupture systémique que représente l’IA. Cela dit, je pense que l’IA aura un impact destructeur sur l’emploi, dans la mesure où des tâches qui nécessitaient auparavant plusieurs personnes peuvent désormais être accomplies par une petite équipe d’experts.

Qu’en est-il de la valeur ajoutée que l’IA pourrait apporter à l’administration ?
L’IA peut effectivement améliorer la gestion des flux et renforcer la sécurité, mais au-delà de ces aspects, son adoption dans l’administration publique permettrait une plus grande transparence. Prenons l’exemple des appels d’offres publics. Une plateforme basée sur la blockchain pourrait non seulement accroître la transparence et l’efficacité, mais faciliter l’accès des entreprises aux marchés publics.

Quels sont, d’après vous, les principaux freins au développement de l’innovation digitale au Maroc ?
Le rythme d’exécution demeure le principal frein. Cela fait plus de deux décennies que la modernisation numérique est à l’agenda, mais les progrès concrets sont insuffisants pour répondre aux défis actuels. Les administrations, par exemple, peinent à intégrer pleinement les technologies, ce qui ralentit l’optimisation des relations entre l’entreprise et l’État, ou entre l’entreprise et ses clients. Aujourd’hui des pays comme l’Arabie Saoudite ou les Émirats Arabes Unis, qui ont commencé après nous, nous ont désormais largement dépassés.

L’intelligence artificielle, de par sa complexité, requiert une immense puissance de calcul. Comment concilier cela avec les enjeux environnementaux ?
C’est l’un des paradoxes de l’IA. Elle est extrêmement gourmande en énergie. Certes, nous pouvons imaginer des centres de données «verts», mais l’IA consomme énormément de ressources. Le problème se pose également en matière d’utilité. Une large partie des contenus traités par l’IA, notamment sur les réseaux sociaux, n’apporte pas de valeur ajoutée. D’où la nécessité de remettre en question l’utilité de l’IA dans certains secteurs, où son déploiement pourrait s’avérer plus coûteux que bénéfique, notamment pour des usages triviaux.

La nouvelle feuille de route digitale 2030 est-elle suffisamment ambitieuse pour soutenir cette transformation ?
Elle présente quelques pistes intéressantes, notamment en matière d’inversion de la courbe du chômage, en particulier dans les milieux défavorisés et parmi les jeunes. Cependant, l’enjeu crucial reste la création de valeur. Si nous nous contentons d’externaliser des tâches simples, nous ne ferons que renforcer une économie de services à faible valeur ajoutée. Pour véritablement innover, nous devons encourager le développement de projets complexes, créateurs d’emplois qualifiés.

Quelle sera la prochaine évolution majeure des modèles de langage (LLM) ?
L’évolution des modèles de langage repose désormais sur leur capacité à dépasser le stade de simples générateurs de texte pour devenir de véritables systèmes de raisonnement. Actuellement, les LLM se distinguent par leur rapidité d’exécution et leur aptitude à traiter d’immenses volumes de données, mais ils demeurent incapables de raisonner au sens propre.

La prochaine avancée résidera dans le développement de modèles capables de produire des raisonnements similaires à ceux des humains, en intégrant des dimensions contextuelles et émotionnelles plus complexes. Pour l’heure, l’IA, bien qu’extrêmement performante dans le traitement de l’information, n’est pas encore en mesure de prendre des décisions fondées sur une réflexion autonome.

Comment le Maroc peut-il maximiser la valeur ajoutée du digital export ?
Pour maximiser la valeur du digital export, le Maroc doit impérativement aller au-delà de l’externalisation de services à faible valeur ajoutée. À ce jour, nombre d’activités se limitent à des tâches répétitives et peu qualifiées.

Le véritable enjeu réside dans la production de solutions numériques innovantes et compétitives à l’échelle mondiale. Cela exige des investissements en recherche et développement, la formation d’ingénieurs hautement qualifiés, ainsi que la promotion de l’innovation dans des secteurs à forte valeur. Plutôt que de rester enfermé dans une logique de services low-cost destinés à l’export, le Maroc a intérêt à innover en vue d’être compétitif à l’échelle internationale.

Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO


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