Industrie du polyester : le secteur veut plus de protection
Dans le PLF 2021, le gouvernement prévoit de durcir les conditions d’importation appliquées au produit fini de polyester discontinu destiné au rembourrage, en relevant la taxe douanière de 2,5% à 17,5%. Pour les professionnels de ce secteur en plein essor, l’intention est louable, mais beaucoup reste à faire pour protéger l’émergence d’une industrie locale.
Les industriels spécialisés dans le recyclage de déchets de PET et leur valorisation en fibres discontinues de polyester sont soulagés, suite à l’approbation du PLF 2021. En effet, le projet de loi de Finances propose d’augmenter le droit d’importation appliqué au produit fini de polyester discontinu destiné au rembourrage, de 2,5% à 17,5%. Le gouvernement motive cette décision par le fait qu’un «droit d’importation de 2,5% sur le produit fini de polyester discontinu constitue une entrave au développement de la production nationale et réduit sa compétitivité». Néanmoins, la mesure est jugée insuffisante par l’un des pionniers de l’industrie de la fibre discontinue de polyester au Maroc.
«Ce taux est loin de nos attentes. La protection de cette activité de l’assaut de la concurrence asiatique exige au moins 30% de droit d’importation. Car en deçà, l’offre importée revient moins cher à nos clients locaux. Telle est la doléance que nous avons adressée au ministère de l’Industrie. Nous attendons un signe d’encouragement des autorités pour réaliser d’autres investissements et élargir le spectre de la valorisation à d’autres produits à base du déchet PET, qui jusqu’à présent continuent d’être enfouis, alors que ces plastiques sont des bombes écologiques», réagit Abdeslam El Eulj, PDG de Famacolor. Le groupe marocain s’est lancé dans la valorisation de déchets de PET suite à l’appel royal formulé à la veille de la COP 22. Ainsi a été créée sa filiale Casa-Fibre pour porter la nouvelle activité. Sa construction a mobilisé un investissement de 120 millions de DH, financé par emprunt bancaire. «L’une des choses qui ont motivé l’acte d’investir était la promesse du ministère de l’Environnement de lancer 20 centres de tri. Malheureusement, il n’y en a que deux ou trois qui sont opérationnels à ce jour, avec des rendements très faibles. Ces centres fournissent peu de matières premières, alors que notre besoin est beaucoup plus important. Notre unité de production dispose d’une capacité de deux millions de bouteilles par jour. Si ces centres étaient opérationnels et fonctionnaient à plein régime, nous n’aurions pas de problèmes. Aujourd’hui, notre unité fonctionne à 30% de sa capacité», déplore El Eulj. Le hic est que le gros des matières plastiques recyclées au Maroc finit dans des containers à destination de la France, de l’Espagne, de l’Italie, de la Turquie, de l’Asie… pour revenir sous forme de produits finis recyclés. D’où l’intérêt de relever le droit d’importation appliqué au produit fini de polyester discontinu afin de protéger davantage la production nationale contre les importations massives. Selon une récente étude menée par Atlas du plastique, en coopération avec la Fondation Heinrich Böll, l’Association Zéro Zbel et le mouvement Break Free from Plastic, à peine «15% à 20% des déchets plastiques sont recyclés au Maroc, à un prix souvent peu compétitif». Si le Maroc produit un million de tonnes de déchets plastique, il n’en recycle au mieux qu’une infime partie, une part non négligeable est enfouie, sans compter que l’informel continue de miner le secteur et concurrencer les acteurs organisés. La mise en place d’un écosystème dédié, qui se fait attendre d’ailleurs depuis quelques années, devrait mettre le secteur sur les rails. Toutefois, le management de Casa-Fibre ne crache pas dans la soupe. Cette augmentation du droit d’importation vient à point nommé pour soulager quelque peu cette activité en plein essor et donner une bouffée d’oxygène à l’industrie.
«Nous perdions beaucoup d’argent. La situation était tellement difficile que nous avons songé à fermer l’usine ou délocaliser vers un marché plus avantageux», renchérit le manager, qui soutient qu’avec les conditions actuelles de marché, la clientèle locale n’utilise l’offre made in Morocco que «pour le dépannage». Ce qui serait en porte-à-faux avec les efforts de maîtrise des importations, notamment à travers la sensibilisation des opérateurs pour ralentir le rythme d’importation et le relèvement des droits d’importation de 30% à 40% (hors zones de libre-échange) en vue de renforcer la protection de la production nationale et encourager la substitution des importations par la production locale, comme stipulée dans le PLF 2021. Au-delà du droit de douane, d’autres doléances ont été prises en compte, notamment, la création d’un numéro de nomenclature spécifique au polyester discontinu destiné au rembourrage, tout en conservant l’ancienne nomenclature au polyester destiné au textile. Auparavant, les importations de fibres de polyester étaient référencées par une nomenclature unique. L’objectif des producteurs locaux étant de remplacer 100% de l’importation destinée au rembourrage par la fabrication locale. Pour ne pas pénaliser les textiliens, gros demandeurs de fibre textile plus fine, les importations destinées au textile restent au taux de 2,5% et exonéré de l’éco-taxe. Le management de Casa-Fibre souligne avoir la capacité de produire la fibre pour les deux marchés. Celui du rembourrage représente 150 millions de DH de chiffre d’affaires. La fibre de polyester est une matière artificielle synthétique très utilisée dans l’industrie textile. Le polyester représente 70% des fibres textiles synthétiques utilisées dans les vêtements. La matière est également utilisée dans les lignes de production de spécialistes de l’ameublement comme Richbond et Dolidol, lors de la fabrication de sièges, oreillers, assises, literies afin de les rendre plus confortables, mais aussi les couettes, maillots de sport, tee-shirts, polos, vêtements d’hiver, pour ses vertus d’isolant thermique, sa résistance à l’usure et aux mites.
En amont…
Selon une étude menée cette année par Atlas du plastique en coopération avec la Fondation Heinrich Böll, l’Association Zéro Zbel et le mouvement Break Free from Plastic, le plastique représente 10% des déchets ménagers du Maroc, soit environ 690.000 tonnes par an. 60% des produits récupérés pour recyclage proviennent de la filière d’emballage (bouteilles, bidons, bouchons…). Après tri et récupération par les chiffonniers, les déchets sont vendus à des semi-grossistes, ou directement à des grossistes dans les «guelssa» (dépôts intermédiaires) en ville. Les matières plastiques recyclables sont ensuite vendues à des entreprises formelles. Plusieurs opérateurs exercent l’activité de recyclage, parmi lesquels figurent Polyfil, spécialisé dans la fabrication de fil et polyester avec des technologies importées d’Italie et d’Allemagne, ou encore la Société marocaine de récupération et de recyclage (SMRR), détenue par le groupe Jabri. Depuis 2010, SMRR, spécialisée dans le recyclage de cartons, a diversifié son activité au recyclage de polymère, notamment les polypropylènes.
En aval…
En aval de la chaîne de valorisation du PET, figurent des opérateurs comme Richbond et Dolidol. Pour ces entreprises, la maîtrise de l’approvisionnement est un levier stratégique pour grignoter des marges. Richbond, par exemple, a une équipe chargée des achats locaux et une autre chargée des achats à l’import.
Les acheteurs sont regroupés par composants: produits chimiques ; acier et fer (pour les ressorts) ; fibres synthétiques ; produits d’emballage ; fil coton; fil polyester ; tissus dédiés production, tissus «négociation» dédiés à la revente.
Concurrence asiatique
En dépit des ambitions louables, les industriels marocains pourront difficilement faire concurrence aux Asiatiques dans les conditions actuelles de marché. Avec une électricité 33% moins chère et des unités fonctionnant au charbon, 90% moins cher que le fioul utilisé au Maroc, les Asiatiques bénéficient d’avantages compétitifs indéniables, ne serait-ce qu’en termes de facture énergétique. Sans compter le coût de la main-d’œuvre et les autres accompagnements dont ils bénéficient (terrains industriels équipés et viabilisés, matière première à des prix modiques, subvention sur la logistique…). Avec le soutien que leurs pays leur apportent, les Asiatiques ont trouvé le modèle économique optimal leur permettant de faire entrer des devises, tout en assurant la dépollution de leur pays, et du travail à leur main-d’œuvre.
Modeste Kouame / Les Inspirations Éco