Industrie : comment améliorer la compétitivité de l’écosystème

Miser sur l’intégration locale en profondeur, mieux gérer les matières premières stratégiques, bâtir un écosystème d’intégration locale pour les batteries pour véhicules électriques, former une masse critique de compétences qualifiées pour les métiers du futur… Autant de défis que le Maroc doit relever pour améliorer la compétitivité de son écosystème industriel. Décryptage.
Au cours de ces vingt-cinq dernières années, le Maroc a accompli des pas de géant pour devenir un lieu incontournable dans l’écosystème mondial de l’industrie automobile. Loin d’être le fruit du hasard, cet exploit est le résultat d’une vision royale matérialisée par de lourds investissements stratégiques dans les infrastructures portuaires, aéroportuaires et ferroviaires.
Le Plan d’accélération industrielle 2014-2020 a fortement dopé l’industrie locale et contribué à sa profonde transformation, à travers la création de zones d’accélération industrielle (ZAI) comme l’Atlantic Free Zone (AFZ) à Kénitra, Tanger Free Zone (TFZ) et Tanger Automotive City (TAC). Des parcs industriels dans lesquels les opérateurs bénéficient d’une exonération totale de l’impôt sur le revenu (IR) pendant cinq ans. L’amélioration du climat des affaires et la formation d’une masse critique de ressources humaines qualifiée ont également contribué à la croissance exponentielle du secteur.
S’aligner sur les exigences d’un secteur en perpétuelle mutation
Et les résultats le prouvent amplement. L’année dernière, le Maroc est devenu le premier producteur de véhicules du continent (614.000 unités) devant l’Afrique du Sud (591.000 unités), selon BMI, filiale de Fitch Solutions, spécialisée dans l’analyse financière. Mieux, d’après la même source, le Royaume devrait conserver son leadership au cours de la prochaine décennie, avec une production de véhicules qui connaîtra une croissance annuelle moyenne de 6,8% à l’horizon 2033, pour atteindre un volume de production annuelle de 1,09 million de véhicules. Après les acquis, place aux défis. Des challenges que le Maroc se doit de relever pour s’aligner sur les exigences d’un secteur en perpétuelle mutation et améliorer sa compétitivité.
Cette question a été amplement décryptée lors d’une conférence organisée le 14 mai à Casablanca par le magazine La Vie éco sous le thème : «Les nouvelles industries». Une rencontre rehaussée par la participation du ministre de l’Industrie et du commerce, Ryad Mezzour, de la directrice générale de l’Office de formation professionnelle et de la promotion du travail (OFPPT), Loubna Tricha, du directeur général de l’Agence marocaine de développement des investissements et des exportations (AMDIE), Ali Seddiki, et du président de la Commission développement industriel de la CGEM, Mohamed Bachiri.
Miser sur l’intégration locale en profondeur
D’emblée, Ryad Mezzour indique que le pays dispose de tous les ingrédients pour se positionner sur les industries de demain, notamment un environnement propice à l’investissement. «Le climat des affaires au Maroc est l’un des meilleurs au monde. Pour l’implantation d’une usine à Tanger, la durée entre la signature de l’accord et le démarrage des activités peut ne pas dépasser cinq mois».
Au-delà de cette facilitation des procédures d’implantation et d’investissements, le pays doit aussi miser davantage sur l’intégration en profondeur dans l’industrie automobile.
«Le Maroc a atteint un taux d’intégration de 65,5% en 2023 et ambitionne de passer à 80% pour le prochain écosystème. Ce qui nous permettra de maintenir la compétitivité et de s’aligner sur les mutations du secteur automobile mondial», affirme Mohamed Bachiri.
Mais pour celui qui est par ailleurs PDG du groupe Renault Maroc, le Royaume ne doit pas se limiter à recevoir des pièces fabriquées par les 260 équipementiers qui polarisent 220.000 emplois directs, il est temps de «s’intéresser à leur propre intégration locale». À titre d’exemple, il cite un câbleur qui a un niveau d’intégration locale d’environ 30% et qui pourrait renforcer ce taux en achetant beaucoup de composants qui rentrent dans la fabrication des câbles. «Il y a près de 2 km de fil de cuivre dans une voiture. On doit être capable d’en fabriquer localement au lieu de nous sourcer de l’étranger, ce qui va créer plus d’emplois et des activités nouvelles», a-t-il insisté.
Un écosystème d’intégration locale pour les batteries pour véhicules électriques
Ali Seddiki a abondé dans le même sens. «En termes de compétitivité, le Maroc est en tête du peloton régional pour les industries aéronautiques et automobiles. Pour aller plus loin, il faut de l’intégration locale profonde, avec toutes les différentes strates de production», a-t-il souligné.
Et d’ajouter : «Ce qui nous manque, c’est surtout l’ancrage de toutes les strates de production, pièce par pièce et étape par étape (…) Il faut continuer à déployer des efforts pour améliorer la compétitivité des entreprises».
Capitalisant sur sa forte croissance, l’industrie automobile marocaine a amorcé un niveau virage au cours de ces dernières années, marqué notamment par d’importants investissements chinois annoncés dans des gigafactories, notamment la future usine de Gotion High Tech qui devrait sortir de terre en 2026. Une filière stratégique sur laquelle le Maroc devra investir, pour anticiper les dividendes du futur. Comment ? En mettant en place «un véritable écosystème d’intégration locale pour le secteur des batteries pour véhicules électriques pour qu’on puisse avoir un certificat d’origine auprès des douanes européennes, lequel précisera le taux d’intégration locale de ces produits», recommande Bachiri.
D’autant plus que, selon Mezzour, la batterie marocaine sera mieux intégrée que la voiture produite localement. «Le Maroc fera partie des cinq pays au monde affichant le taux d’intégration le plus élevé en matière de production de batteries», a-t-il avancé.
Mieux gérer les matières premières stratégiques
Pour Ali Seddiki, les investissements chinois dans cette filière devraient se poursuivre, car «le Maroc se positionne durablement comme un pays connecteur entre la Chine et l’Europe dans la filière des batteries électriques».
La mise en place de cet écosystème local passera nécessairement par la maîtrise de la gestion des minerais stratégiques comme le cobalt et le lithium, composants essentiels dans la fabrication des batteries pour véhicules électriques. L’intégration de ces matières premières critiques, dont le Maroc dispose d’une vingtaine, est devenue un enjeu crucial dans l’industrie automobile.
«Il faudrait réfléchir à la mise en place d’un business model qui définira leurs modalités d’extraction, de raffinage et de mise à disposition pour les industriels marocains, particulièrement ceux du secteur automobile», suggère Bachiri.
Former une masse critique de compétences qualifiées
Le président de la Commission développement industriel de la CGEM invite aussi les autorités compétentes à mettre en place une structure légère et agile qui regroupera toutes les informations en provenance des douanes, ainsi que des opérateurs privés et institutionnels.
Objectif : «anticiper les futures législations dans le commerce extérieur pour qu’elles n’impactent pas directement ou indirectement l’industrie automobile marocaine à l’export, et proposer des solutions qui permettront de structurer et consolider les acquis du secteur industriel». Bien évidemment, la formation d’une masse critique de compétences qualifiées est indispensable pour s’aligner sur ces industries de demain.
«Pour préparer l’industrie de demain, nous captons au fur et à mesure les métiers émergents. Nous développons certes de nouveaux métiers, mais nous sommes également dans le renouvellement de métiers conventionnels», a indiqué Loubna Tricha.
«Nous entrons dans une période où nous avons tous les ingrédients pour émerger, enfin ! Pour la première fois de son histoire, le Maroc dispose d’une masse de talents énorme : 500.000 jeunes t arrivent sur le marché du travail», renchérit Ryad Mezzour.
Ryad Mezzour
Ministre de l’Industrie et du Commerce
«Le climat des affaires au Maroc est l’un des meilleurs au monde. Pour l’implantation d’une usine à Tanger, la durée entre la signature de l’accord et le démarrage des activités peut ne pas dépasser cinq mois».
Mohamed Bachiri
Président de la Commission développement industriel de la CGEM et PDG de Renault Maroc
«Le Maroc a atteint un taux d’intégration de 65,5% en 2023 et ambitionne de passer à 80% pour le prochain écosystème. Ce qui nous permettra de maintenir la compétitivité et de s’aligner sur les mutations du secteur automobile mondial».
Ali Seddiki
Directeur général de l’AMDIE
«En termes de compétitivité, le Maroc est en tête du peloton régional pour les industries aéronautiques et automobiles. Pour aller plus loin, il faut de l’intégration locale profonde, avec toutes les différentes strates de production».
Loubna Tricha
Directrice générale de l’OFPPT
«Pour préparer l’industrie de demain, nous captons au fur et à mesure les métiers émergents. Nous développons certes de nouveaux métiers, mais nous sommes également dans le renouvellement de métiers conventionnels».
Industrie 4.0 : un marché de plus de 15 MMDH au Maroc
Les métiers du futur tels que l’industrie 4.0, la robotisation ou encore l’automatisation ont également été abordés lors de la conférence. Tous sont conscients que le Royaume doit les intégrer dans son écosystème pour consolider ses acquis et se projeter dans le futur.
«Le marché de l’industrie 4.0 au Maroc est de 1,5 milliard de dollars par an et devrait croître de 12% annuellement à l’horizon 2030. Il y a des business très importants à capter dans ces segments pour offrir aux industriels des solutions de technologies innovantes qui leur permettront de résoudre leurs problématiques de production, pour que le Made in Morocco puisse rayonner davantage localement et à l’international», recommande Mohamed Bachiri.
Elimane Sembène / Les Inspirations ÉCO