Génération Z : les nouveaux codes d’un consommateur lucide et radical

À l’heure où les mutations sociétales et technologiques redéfinissent les comportements de consommation, la génération Z s’impose comme un acteur incontournable, défiant les codes traditionnels du marketing et de la communication. C’est dans ce contexte que le groupe Horizon Presse a organisé une table ronde réunissant quatre experts marocains de la communication, du marketing et du digital, afin d’analyser les enjeux complexes liés à cette génération. Hind Khouy, directrice Marketing chez inwi, Yassine Ziad, directeur Innovation & Digital banking au Crédit du Maroc, Hassan Rouissi, président de l’Union des agences conseil en communication (UACC), et Siham Malek, directrice générale du cabinet Integrate (affilié à Kantar), ont croisé leurs regards pour décrypter les nouvelles attentes ainsi que les paradoxes et les opportunités que représente la génération Z pour les marques. À travers un échange à la fois critique, empathique et prospectif, ces intervenants ont mis en lumière une génération qui ne se définit pas uniquement par ses usages numériques, mais également par une véritable posture vis-à-vis du monde, exigeant transparence, authenticité et co-création. Synthèse.
Alors que les marques peinent à suivre l’évolution rapide des comportements des jeunes, la génération Z redéfinit en profondeur les logiques de consommation, de communication et d’engagement. Hyperinformée, méfiante et en quête de sens, elle impose de nouveaux standards aux professionnels du marketing.
Analyse croisée d’un débat sans filtres.
Par leur approche directe, leur rapport désacralisé à la marque et leur refus des conventions héritées, les jeunes issus de la génération Z (nés entre 1995 et 2010) s’imposent aujourd’hui comme des consommateurs redoutablement stratégiques.
À l’occasion d’une table ronde du groupe Horizon Press, réunissant quatre experts du marketing et de la communication au Maroc, les contours complexes de cette génération ont été analysés sous un prisme à la fois critique, empathique et prospectif.
Y ont pris part, Hind Khouy, directrice Marketing inwi, Yassine Ziad, directeur Innovation & Digital banking à Crédit du Maroc, Hassan Rouissi, président de l’Union des agences conseil en communication et Siham Malek, directrice générale du cabinet Integrate, affiliate of Kantar. Premier constat : la Gen Z ne se définit pas simplement par ses usages numériques ou ses préférences de consommation, mais par une posture vis-à-vis du monde. Pour Yassine Ziad, directeur Innovation & Digital banking chez Crédit du Maroc, «c’est une génération ultra-connectée, exigeante et qui a besoin de transparence».
Cette transparence ne se limite pas à une communication sincère. Elle exige des marques une cohérence absolue entre leurs discours et leurs actes. Cette vigilance est alimentée par un scepticisme presque systémique. «Ils ne suivent pas une marque, ils la choisissent. Ils la testent. Ils l’apprennent, la découvrent, et s’en détachent s’ils perçoivent une forme d’hypocrisie ou d’incohérence», poursuit-il. Hind Khouy, directrice Marketing chez inwi, abonde dans ce sens. «Ils ne choisissent pas une marque. Ils choisissent une réponse à un besoin. C’est un rapport très lucide, très rationnel. Et ils savent distinguer le vrai du faux», note-t-elle.
Méfiance, exigence et paradoxes
À cette lucidité s’ajoute une méfiance vis-à-vis des messages formatés ou des tentatives de récupération. Siham Malek, directrice générale du cabinet Integrate (affilié à Kantar), décrit une génération «qui cherche des valeurs, de l’éthique, mais qui reste une génération de consommation».
Ce paradoxe se manifeste dans des comportements parfois ambigus : à la fois critiques des injonctions publicitaires mais très réactifs aux produits émotionnels, gourmands en contenus mais impatients face à des messages jugés intrusifs ou creux. Elle souligne aussi une nouvelle sensibilité : la santé mentale est un sujet central pour eux. À 22 ans, ils parlent de voir un psychiatre, d’être accompagnés.
«C’est une première. Cette génération a l’audace de parler de ce que nous avons tu pendant des années», remarque l’experte.
Une donnée à intégrer pour les marques souhaitant toucher leur corde émotionnelle sans verser dans le marketing opportuniste. Ce qui se joue dépasse le simple changement de canal ou de format. Comme le rappelle Hassan Rouissi, président de l’Union des agences conseil en communication (UACC), il existe un véritable fossé entre les marketeurs et leurs cibles.
«Très peu de marketeurs font partie de cette génération. Il y a un décalage générationnel et cognitif. Et cela engendre un manque de compréhension de leurs aspirations réelles», remarque-t-il.
L’un des malentendus les plus persistants concerne la volonté de classification. Ils détestent être jugés, étiquetés, classés. Ils veulent une liberté d’esprit totale, et ne veulent pas être enfermés dans des typologies, explique Rouissi. Le résultat est une rupture avec les logiques segmentées et stéréotypées du marketing traditionnel.
L’ère de la co-création
Autre défi de taille : l’élévation du standard d’expérience. «Une marque digitale qui ne propose pas une expérience au niveau de TikTok ou Netflix commence déjà avec un handicap», alerte-t-il. Cette exigence concerne aussi bien l’ergonomie et la fluidité que la réactivité de la marque.
Face à ces mutations, la réponse des marques doit être systémique. Il ne s’agit plus simplement de «parler aux jeunes» mais de les intégrer dans le processus de conception. C’est ce que souligne Siham Malek : «C’est une génération de co-création. Si on ne crée pas avec eux, on crée contre eux».
Chez inwi, cette logique a été mise en pratique à travers la marque Win. Hind Khouy raconte : «On a ramené les clients chez nous, on a passé une matinée avec eux. Le retour est complètement différent des focus groups traditionnels. Ils ont besoin d’authenticité, d’échange horizontal», témoigne-t-elle. Ce rapport d’égal à égal s’impose comme la nouvelle norme. Yassine Ziad insiste sur cette posture d’écoute.
«Une marque doit faire preuve d’humilité, écouter, ajuster, et livrer un produit tel qu’ils l’ont imaginé», souligne le directeur Innovation & Digital banking au Crédit du Maroc.
Il ne s’agit plus d’imposer une vision ou une promesse, mais de répondre à une attente réelle, dans une logique de service et de dialogue. En filigrane, ce que dessine la génération Z, c’est une rupture avec le marketing de l’illusion au profit d’un marketing de la relation. Un marketing qui accepte de ne pas tout maîtriser, qui écoute plus qu’il ne parle, et qui mesure la valeur de la marque à l’aune de son utilité, de son éthique et de sa capacité à s’adapter sans renier ses convictions. Plus que jamais, les marques sont sommées de redevenir crédibles, au risque d’être disqualifiées. Car cette génération ne tolère plus les écarts. Elle exige l’alignement. Elle impose une sincérité radicale. Et si, au fond, c’était une opportunité unique de remettre du sens au cœur du marketing ?
Yassine Ziad
Directeur Innovation & Digital banking à Crédit du Maroc
«La génération Z ne suit pas les marques. Elle les choisit, les challenge… et les abandonne si elles manquent de sincérité.»
Hind Khouy
Directrice Marketing inwi
«La Gen Z est née dans un monde où le digital est une norme, pas une innovation. Elle a grandi dans un océan d’informations. Distinguer le vrai du faux, c’est devenu un réflexe. L’expérience compte plus que la marque. Si ça ne marche pas tout de suite, ils zappent.»
Siham Malek
Directrice générale du cabinet Integrate, affiliate of Kantar
«La Gen Z veut créer sans trop s’épuiser, consommer sans culpabiliser, rêver sans renoncer à sa santé mentale. On ne parle plus d’une génération Z marocaine, on parle d’une génération Z mondiale.»
Hassan Rouissi
Président de l’Union des agences conseil en communication
«La Gen Z n’est plus un simple public. C’est un partenaire. Elle co-crée, elle influence, elle redéfinit. Ils veulent être assis à la table, pas seulement entendus en focus group. Créer un produit pour eux, c’est bien. Le créer avec eux, c’est indispensable.»
Télécoms, banking : repenser la relation
Ultra-connectée, exigeante et avide d’instantanéité, la génération Z redéfinit les codes de la relation entre marques et consommateurs. Que ce soit dans la banque ou les télécoms, les entreprises n’ont plus le choix : elles doivent écouter, co-créer et s’adapter en permanence pour rester pertinentes face à un public qui ne tolère ni lenteur, ni distance, ni discours figé.
«Pour la génération Z, une marque qui n’est pas sur les réseaux sociaux n’existe pas. Tout simplement !», assène Yassine Ziad, directeur Innovation & Digital banking à Crédit du Maroc.
Pour lui, les réseaux sociaux ne sont pas un simple canal de diffusion, mais une source essentielle d’intelligence client.
«Notre vraie mine d’or, ce sont les commentaires, les retours, les suggestions. C’est là que commence la co-création. On écoute, on répond, on leur dit : ce que vous avez écrit, on l’a pris en compte, on l’a transformé, et on vous le rend dans un produit ou un service», explique-t-il.
Du côté des télécoms, les exigences sont similaires mais s’étendent à l’ensemble de l’expérience client, comme le décrit Hind Khouy.
«La Gen Z veut de la personnalisation. Elle veut un produit qu’elle compose elle-même, activable immédiatement, avec une expérience fluide et intuitive. Cela nous pousse à repenser l’UX de nos applis, la rapidité d’activation, et même la manière de communiquer», explique-t-elle.
Car les jeunes utilisateurs ne veulent plus d’un discours descendant. Les testimonials classiques ne fonctionnent plus. La Gen Z ne veut pas qu’une marque parle pour elle. Elle veut que ce soit elle qui parle de la marque.
«C’est pourquoi nous faisons appel à des micro-influenceurs, qui donnent la parole aux jeunes dans des formats courts, authentiques et interactifs», explique-t-elle.
C’est une génération qui se lasse vite. Il faut la stimuler constamment avec de l’animation, de la gamification, et une communication qui évolue au rythme de ses usages. Un nouveau modèle de relation émerge donc, plus horizontal, plus participatif, mais aussi plus exigeant. Pour les marques, l’enjeu est clair : s’adapter ou disparaître.
Ilyas Bellarbi / Les Inspirations ÉCO