Fret maritime : Les importateurs de céréales en manque de visibilité

L’optimisation de la chaîne logistique permet de réduire la facture du fret maritime, dont le coût pour le Maroc s’élève à 22 MMDH.
À eux seuls, les produits en vrac animent près de 60% du trafic portuaire au Maroc. Il s’agit de produits hautement stratégiques, principalement le pétrole, les phosphates, le blé et le charbon. L’on s’accorde à dire que la chaîne logistique maritime encadrant l’import et l’export de ces produits est loin d’être optimisée. C’est d’ailleurs ce qui ressort de la journée d’étude organisée en fin de semaine dernière par la société Clarksons Platou, spécialisée dans le courtage et le service maritime. Britannique mais présente dans 21 pays, Clarksons a fait son entrée au Maroc en 2013 et développe son business local avec des groupes nationaux et internationaux (l’OCP entre autres). Ses responsables dépêchés à Casablanca, dont certains ont fait le voyage depuis Singapour, avaient un message clair destiné aux entreprises exportatrices et importatrices de denrées stratégiques. Détenir le contrôle de sa chaîne logistique procure d’énormes avantages et permet de générer des économies considérables.
Il est ainsi conseillé d’opter pour des transactions en mode FOB (sans frais de transport) au lieu du schéma CIF (incluant les frais de transport), autrement dit, de prendre en charge l’affrètement au lieu de le déléguer à autrui. En visualisant l’historique des importations marocaines en céréales, les experts de Clarksons mettent le doigt sur un détail qui, à leurs yeux, a toute son importance. L’essentiel des flux se concentre sur une même période (mois d’avril en général), d’où l’intérêt de lisser les importations sur toute l’année à l’aide d’une planification bien réfléchie.
Le fait de contrôler sa propre logistique donne aux entreprises une certaine flexibilité, d’une part sur les volumes en ayant la possibilité d’adapter la taille des cargos en fonction des besoins du moment, et d’autre part sur les prix du fret, donnant ainsi l’opportunité de gérer au mieux leur volatilité sur le marché international du transport maritime. Pour les céréales, le coût d’affrètement a atteint son pic en 2008 (130 dollars par tonne) et se situe actuellement autour de 37 dollars la tonne. Le niveau record de 2008 est dû au retard des chantiers navals qui n’avaient pas anticipé la croissance fulgurante de la demande émanant de la Chine. «Ce genre de situation arrive une fois par génération, tous les quarante ans.
Cela dit, le nombre additionnel de navires construits a nettement évolué au fil du temps, passant de 500 en 1990 à 2.000 puis 4.500 bateaux entre 2005 et 2015», souligne John D’Ancona, directeur et analyste senior en Dry Cargo chez Clarksons Platou. Les importateurs marocains de céréales ne sont pas très enthousiastes à l’idée de réduire le coût du transit maritime. «Nous sommes à la merci de l’État. Nous ne savons ni quand, ni combien nous pourrons importer», souligne Hanine Tazi, le tout nouveau directeur de la Fédération nationale des négociants en céréales et légumineuses (FNCL). L’allusion est ainsi faite au niveau élevé des droits de douane (135% jusqu’au 31 décembre prochain) décrété chaque année pour soutenir la commercialisation de la production nationale.
Hanine TAZI
Directeur de la FNCL
Les Inspirations ÉCO: Pourquoi le fret n’intéresse-t-il pas les importateurs de céréales?
Hanine Tazi : Nos entreprises jouissent de compétences reconnues dans le domaine du négoce international et disposent, pour la quasi-totalité, des capacités matérielles (stockage moderne), financières et managériales qui leur permettent d’assurer l’approvisionnement du pays dans les meilleures conditions de sécurité, de qualité et de coût. En revanche, le fret maritime présente beaucoup de risques que nous ne sommes pas prêts à engager. C’est un marché volatil avec très peu de marges. Le fret en lui-même renvoie à un autre métier qui nécessite une ingénierie particulière. Nous sommes bien entendu conscients que la maîtrise de ces techniques permet de réaliser des économies et de réduire le coût, sachant que le fret représente entre 10 et 30% du coût de la marchandise.
N’y a-t-il pas lieu d’optimiser le coût d’importation des céréales en recourant au savoir-faire des prestataires dédiés?
La période d’importation dure six mois et coïncide généralement avec des niveaux de cours très élevés. Nous aurions pu optimiser le coût si, par exemple, nous avions la possibilité d’importer ces jours-ci le blé américain qui présente des niveaux de prix intéressants. Or, nous sommes aujourd’hui en pleine campagne céréalière, où la priorité est donnée à la production nationale. En revanche, nous pouvons manager la période d’arrivée des bateaux de sorte à éviter les surestaries qui se traduisent par une exportation gratuite et massive des devises. Car lorsqu’arrive la campagne des importations, les ports deviennent engorgés. Les bateaux en rade doivent attendre des jours voire des semaines avant d’êtres servis et cela peut coûter jusqu’à 100.000 dollars par bateau.
Qu’allez-vous faire maintenant?
Nous allons nous attabler avec nos membres et nos partenaires en vue de présenter à l’ANP un projet qui nous permette au moins d’éviter les surestaries et de gagner en visibilité pour l’approvisionnement. Nous pouvons par exemple étaler l’approvisionnement sur toute l’année et, le cas échéant, nous engager à garantir un débouché pour la campagne céréalière nationale. C’est «tout bénéf», pour tout le monde. Il est temps de nous considérer comme des partenaires à part entière.