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Fiscalité, noir, couverture médicale, l’interview sans concession de Badreddine Dassouli

Badreddine Dassouli.
Président du Syndicat national des médecins du secteur libéral (SNMSL).

Badreddine Dassouli, président du Syndicat national des médecins du secteur libéral revient sur les sujets qui fâchent : fiscalité, paiement au noir et couverture médicale. Interview sans langue de bois.

Dassouli est connu pour être un franc tireur. Aux Assises de la fiscalité, il n’a pas hésité à descendre dans l’arène pour défendre ses collègues médecins «victimes» selon lui d’une campagne de diffamation. Corporatiste ? «Absolument pas, nous défendons la primauté de la loi et même au sein de la profession». Il en donne l’exemple sur le sujet de la fiscalité : «Nous ne défendrons jamais les fraudeurs. La DGI doit leur appliquer la loi stricto sensu». Citoyen ? «Tous les jours les médecins font acte de citoyenneté. La relation entre les médecins et les citoyens a été malheureusement corrompue par l’argent. Nous ne voulons plus de paiement en cash dans nos cabinets et cliniques». La solution ? «Une version marocaine de la carte vitale», ose-t-il. Dr Dassouli assure également la fonction de membre de Conseil national de l’Ordre des médecins. À ce titre, il appelle les citoyens à solliciter de manière plus récurrente l’ordre au niveau régional et national «pour déposer des plaintes» au lieu d’aller à la justice pénale. Dans un contexte de forte pénurie des ressources humaines dans la santé et de quasi-faillite de l’hôpital public, le SNMSL propose un partenariat public-privé (PPP) pour prendre en charge les patients RAMEDistes. «Une prise en charge assortie des tarifs pratiqués par le secteur public», précise Dr Dassouli. «L’origine de cette déplorable situation du secteur public est à chercher dans le retrait du secteur de l’État. Le secteur public a été délaissé dès le Programme d’ajustement structurel. Ceci s’est traduit par la diminution des ressources et des postes budgétaires. À cela s’est ajouté le départ volontaire en 2006», rappelle-t-il. Dr Dassouli plaide pour «un secteur privé épargné des contraintes du business». Cette vision «utopique» est rattrapée par la realpolitik. «La politique publique a tout fait pour vider les hôpitaux publics des compétences». Le secteur privé s’est, depuis, développé : il compte 22.000 lits, soit 3 à 4 fois moins que le secteur public, mais assure 80% des prestations sanitaires. Et de conclure : «La nature a horreur du vide. La plupart des malades se rabattent sur le secteur privé».

Vous êtes d’accord avec nous que l’annonce d’une plainte contre Zouhair Chorfi , SG des finances, n’était pas une bonne idée ?
Personne n’est au dessus de la loi. Laisser faire la diffamation peut mener à la stigmatisation de secteurs entiers. Un homme d’État ne peut pas tenir de tels propos. En tant que responsable public, il a la possibilité d’intervenir pour mettre fin à ce qu’il considère comme une situation irrégulière. Pour nous, c’était un show. Avec le recul, nous considérons que cette sortie desservait surtout la DGI et ses assises.

Pourquoi alors avez-vous retiré cette plainte ?
Le 22 mai, les syndicats du secteur libéral ont décidé d’ouvrir une nouvelle page marquée par un apaisement et une volonté de travailler sur les origines de ces problèmes. À la place des polémiques, nous nous attelons sur le fond des choses.

Quelle est donc l’origine de ces problèmes ?
Le non-respect des droits des professions libérales. L’ensemble de ces professions souffrent des mêmes problèmes. Parmi eux, la couverture maladie, la fiscalité, la tarification nationale, la protection des professions.

Comment comptez-vous agir pour faire évoluer ces dossiers qui traînent depuis plus d’une décennie…
Nous allons continuer notre action revendicative en tant que syndicats du secteur mais aussi interpeller les parlementaires et les partis politiques sur ces dossiers. Ainsi, nous allons en finir avec les guerres de communiqués. D’ailleurs, nous avons démarré ce plaidoyer avec une rencontre avec Nizar Baraka de l’Istiqlal, le 22 mai.

Pourquoi le renouvellement de la Tarification nationale de référence (TNR) bloque-t-il depuis dix ans ?
Cette question, il faudra la poser aux organismes gestionnaires des régimes d’assurance maladie. La convention de l’AMO a été signée en 2006 et elle devait être renouvelée tous les trois ans. Résultat : l’application de la TNR en 2019 est un énorme problème, à l’origine même de tous ces faux débats sur le dépassement honoraire. En tant que prestataires de soins, notre constat est amer. Les organismes n’arrivent pas à suivre l’évolution technologique de la médecine. Sous prétexte des équilibres financiers des régimes, les caisses refusent de prendre en charge cette évolution et ce sont les assurés qui prennent en charge la différence.

Un complément d’honoraire qui n’a pas cessé de croître….
Le patient marocain paie aujourd’hui jusqu’à 54% des frais de soins de sa poche. C’est énorme.

Comment mettre fin à cette pratique du «noir» ?
Non, ce n’est pas le noir, mais plutôt un complément d’honoraire. En France, pour remédier à cette situation, le gouvernement a autorisé «le deuxième secteur». De cette manière, le patient a le choix entre des médecins conventionnés respectant la TNR et un «deuxième secteur» pouvant dépasser les tarifs. Pour notre part, nous avons plaidé auprès de la DGI pour soutenir le passage au «deuxième secteur». De cette manière, les impôts pourront tracer les sommes reçues par les médecins dans le cadre du complément d’honoraire.

En matière fiscale, les médecins sont taxés de «mauvais clients». Comment allez-vous assainir votre relation avec le fisc ?
Rappelons quelques faits : Les cabinets de médecine sont taxés à des taux plus élevés qu’une société commerciale. À 1 MDH de bénéfices, nous sommes taxés à un taux de 38% alors qu’au même niveau de bénéfices, la SARL est taxée à 17,5%. Même iniquité dans la cotisation minimale, fixée à 6% pour les médecins et 0,5% pour les entreprises commerciales. En même temps, il nous est demandé de remplir un rôle social et palier à la faiblesse de l’offre publique de soins. Face à ce cahier des charges complexe, nous exigeons un cadre fiscal approprié à notre activité et notre rôle.

L’État qui se retire graduellement de la santé au profit du secteur privé, c’est une bonne opération pour les médecins libéraux qui cartonnent dans les grands centres urbains…
Je pense qu’il faut démystifier certaines idées reçues sur la médecine libérale au Maroc. Sur les 12.000 médecins du privé, seuls 2.000 cartonnent. Entre 3.000 et 4.000 médecins se trouvent en grande difficulté et la majorité sont à l’équilibre. Nous sommes bien loin de l’idée reçue que tous les médecins roulent sur l’or.

Pourquoi le niveau de déclaration fiscale des médecins est si faible ? À 20% chez les médecins spécialistes et 18% chez les généralistes, selon la DGI…
Encore une fois, je me vois obliger de remettre les choses dans leur contexte. Nous sommes dans un pays où 90% des entreprises ne paient pas leurs impôts et où la base contribuable est très limitée. Maintenant, chez les médecins, la majorité s’acquitte de l’impôt. Une minorité certes fraude le fisc. Lors de nos réunions avec la DGI, nous avons appelé à ce que l’administration agisse selon les dispositions de la loi, surtout si les recoupements des données font ressortir des contradictions dans les déclarations. Nous, nous ne défendrons jamais les fraudeurs.

Où on est votre relation avec la DGI ?
L’automne dernier, nous avons démarré le travail avec cette administration. Au départ, nous avions une crainte du fisc, semblable à celle qu’éprouve beaucoup de Marocains dans leur relation avec la DGI. Depuis, les choses ont changé. Nous avons découvert une administration ouverte au dialogue et soucieuse de trouver des solutions avec les professions libérales. Désormais, une grille a été établie avec la DGI selon les spécialités.

Est-ce que les médecins ont payé leurs impôts ?
Oui, la très grande majorité. Ainsi les médecins témoignent d’une grande citoyenneté. On savait que l’État avait besoin de ressources financières, on s’est précipité pour régler cette situation. Si les médecins étaient mauvais clients, ils pouvaient faire recours aux décisions de la DGI et passer en arbitrage au niveau régional et national, ce qui allait faire perdre du temps et de l’argent pour l’État. Dans notre démarche citoyenne, nous avons tout réglé en quinze jours. D’ailleurs pour saluer ce civisme fiscal, un communiqué devait sortir à la fin de l’année 2018, il n’a pas été rendu public pour des raisons inconnues.

Est-ce qu’il y a des cas de litiges impliquant les médecins et la DGI ?
Seuls 160 cas de litiges impliquent des médecins. Ces médecins estiment que leurs déclarations sont infaillibles et conformes à leurs revenus. Ils sont dans leur droit d’aller en arbitrage.



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