Financement des infrastructures résilientes : l’approche cloisonnée, un suicide pour les pays de la région MENA
Le financement des infrastructures climatiques résilientes dans la région MENA nécessite une approche transformatrice. Il est question d’aller au-delà des projets isolés pour adopter une vision systémique et intégrée. La récente conférence régionale du Fonds vert pour le climat (GCF), tenue à Rabat du 24 au 28 juin, a braqué les projecteurs sur la problématique.
La récente conférence régionale du Fonds vert pour le climat (GCF), à Rabat, a mis en lumière les défis cruciaux du financement des infrastructures résilientes face au climat dans la région MENA (Moyen-Orient & Afrique du Nord). Avec seulement 11% des financements climatiques mondiaux reçus ces deux dernières décennies, et encore moins pour l’adaptation, la région est confrontée à d’importantes menaces climatiques telles que les sécheresses, les inondations, ou la montée du niveau de la mer.
Comme l’a souligné Mafalda Duarte, directrice exécutive du GCF, «ces investissements montrent l’importance de combiner le leadership des pays, le financement du GCF et l’ampleur des partenariats que le GCF rend possible de manière unique».
Parmi les défis majeurs identifiés, figurent l’insuffisance de la gouvernance des infrastructures, l’analyse économique incomplète des bénéfices proposés et la prise en compte inadéquate des risques physiques liés au climat dans les évaluations financières des projets. Leila Benali, ministre de la Transition énergétique et du Développement durable, insiste sur «l’opportunité cruciale de traduire nos engagements en actions concrètes, renforçant la résilience de nos communautés face aux défis climatiques».
Les pipelines de projets intégrés et séquencés
Face à ces enjeux, le GCF propose une approche novatrice basée sur les pipelines de projets intégrés et séquencés, s’appuyant sur une analyse approfondie de la vulnérabilité climatique locale.
«Cette approche intégrée évite l’effet domino des défaillances et permet d’éviter des pertes plus importantes», explique un récent document de travail publié par le GCF.
En prenant en compte les interdépendances entre les actifs d’infrastructure et les écosystèmes environnants, ces pipelines de projets permettent de diminuer les risques de manière systémique.
«Les pipelines de projets bien conçus et gérés sont également des outils puissants de gouvernance pour les dirigeants du secteur public», souligne le document.
Ils offrent une vision prospective des investissements planifiés, permettant aux gouvernements, aux industries et aux communautés de mieux se préparer. Une approche intégrée facilite également une analyse économique plus robuste, en capturant les bénéfices des pertes évitées, de la continuité des services fournis par des infrastructures résilientes, et des solutions fondées sur la nature.
«Les investisseurs durables recherchent des projets ayant un impact positif sur les populations, les établissements humains, l’environnement et la stabilité macroéconomique», indique le document.
Cependant, des défis méthodologiques persistent, notamment la quantification des risques projet et l’évaluation des coûts et bénéfices liés au climat. Le GCF travaille à développer des méthodologies pionnières, comme l’outil d’évaluation de la résilience systémique de la Jamaïque, visant à mieux valoriser l’impact des pipelines de projets d’adaptation intégrés. Il faut dire que ces pipelines de projets intégrés et séquencés couvrent plusieurs années et impliquent un dialogue systématique avec les partenaires financiers potentiels. Une approche qui présente de multiples avantages.
Entre autres, elle permet une analyse économique complète des bénéfices proposés, en intégrant les pertes évitées grâce à une meilleure résilience climatique, les gains en continuité des activités et la réduction de l’endettement pour les pays, régions et villes ; elle encourage l’adoption de solutions fondées sur la nature, dont les bénéfices vont d’un environnement plus sain à la sécurité alimentaire, en passant par la biodiversité et l’évitement des émissions ; elle permet également une meilleure prise en compte des risques physiques liés au climat dans les évaluations financières des projets, évitant ainsi les défaillances en cascade des infrastructures.
En outre, les pipelines de projets bien structurés et à fort impact positif devraient bénéficier de capitaux moins coûteux, de conditions de financement avantageuses et d’incitations fiscales, encourageant ainsi la participation du secteur privé.
Incitations financières pour des projets climato-résilients
Afin d’attirer les investissements nécessaires, le GCF plaide pour la mise en place d’incitations financières en faveur des projets bien conçus et tenant compte des risques climatiques. Selon le Fonds vert pour le climat, les projets intégrant des analyses de vulnérabilité spécifiques aux sites et prenant en compte les interdépendances entre les infrastructures et les écosystèmes environnants devraient bénéficier de ratios de risque plus faibles et, par conséquent, de conditions de financement plus avantageuses.
Cette approche dite d’«adaptation transformationnelle», visant à s’attaquer aux causes profondes de la vulnérabilité plutôt que de se limiter à des ajustements progressifs, est conforme aux conclusions du dernier rapport du GIEC. En adoptant cette vision systémique, les pipelines de projets climato-résilients représentent un outil puissant de gouvernance pour les décideurs publics, permettant de catalyser des synergies d’adaptation et de réduire les risques de manière globale.
L’adaptation transformationnelle vise à s’attaquer aux causes profondes de la vulnérabilité des systèmes socio-écologiques face au changement climatique, plutôt que de se limiter à des ajustements progressifs. Cette approche reconnaît que les impacts du changement climatique sont interconnectés et nécessitent une vision systémique pour être traités efficacement.
Concrètement, cela implique de réaliser des évaluations approfondies des risques climatiques spécifiques à chaque site d’intervention, en tenant compte des conditions locales (géographie, écosystèmes, populations, etc.). Elle nécessite également de considérer les liens et les interactions entre les infrastructures, les écosystèmes environnants, les activités économiques et les communautés locales. Les solutions d’adaptation doivent être conçues de manière intégrée, en évitant les approches sectorielles cloisonnées. Cela suppose également la combinaison des interventions à différentes échelles (locale, régionale, nationale) pour une adaptation cohérente et coordonnée.
Mais aussi, de développer les compétences et les mécanismes de gouvernance nécessaires pour une mise en œuvre efficace et durable des mesures d’adaptation ; et d’impliquer les populations locales dans la conception et la mise en œuvre des projets, en valorisant les connaissances traditionnelles et en renforçant leur résilience. Le Fonds vert pour le climat encourage donc cette approche qui permet de catalyser des synergies d’adaptation et de réduire les risques de manière globale, conformément aux recommandations du GIEC.
Surmonter les défis régionaux
Malgré ces perspectives prometteuses, la région MENA devra relever plusieurs défis spécifiques pour concrétiser ses ambitions. Parmi ceux-ci, figurent l’insuffisance des capacités techniques, l’accès coûteux aux services et équipements (particulièrement préoccupant pour les petits États insulaires en développement), les réglementations foncières strictes entravant les investissements dans les infrastructures, la faible demande pour les nouvelles solutions durables et l’accès limité aux assurances.
En abordant ces obstacles de front, en valorisant les bénéfices des projets climato-résilients dans les analyses économiques et en encourageant les approches intégrées, la région MENA pourra mieux attirer les financements indispensables pour faire face aux défis climatiques et bâtir un avenir plus résilient.
Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO