Financement de l’enseignement. Des milliards partis en fumée ?

Le niveau élevé de financement de l’enseignement au Maroc ne s’est pas accompagné par l’amélioration escomptée de la performance du système éducatif. Certes, il faudra encore augmenter le budget pour accompagner la grande réforme de l’éducation mais le royaume est appelé, en premier lieu, à améliorer la gouvernance de la gestion financière de ce secteur et renforcer la reddition des comptes.
Le secteur de l’enseignement accapare environ le quart des dépenses de l’État. Les ressources financières allouées au secteur augmentent d’année en année. En 2019, un budget de 68,28 milliards de dirhams a été accordé à l’enseignement contre 59,29 milliards de dirhams en 2018. En dépit de cet effort financier, la qualité n’est pas au rendez-vous. Le contraste est en effet saisissant entre le niveau des crédits dédiés à l’éducation et les résultats obtenus sur le plan qualitatif. Faut-il augmenter davantage le budget consacré à l’éducation pour concrétiser enfin la réforme tant souhaitée ? D’aucuns soulignent la nécessité de miser sur l’amélioration de la gouvernance du secteur et l’efficience de la gestion financière. Le Maroc a été épinglé par les institutions financières à plusieurs reprises sur cette question. L’OCDE, à titre d’exemple, estime que malgré l’investissement important du Maroc dans le secteur éducatif, le retour sur investissement du système, en termes d’accès à l’éducation et de qualité des apprentissages, demeure faible. En moyenne les pays arabes et les pays à revenus moyens atteignent des taux de scolarisation plus élevés et un niveau d’apprentissage plus important que le Maroc avec un investissement plus faible. Du côté de la Banque mondiale, les experts plaident à la fois pour l’augmentation du budget de l’enseignement et l’amélioration de la gouvernance de la gestion des ressources financières. Les pouvoirs publics marocains sont visiblement conscients de cet impératif. Le même son de cloche est en effet noté chez le ministre de l’Éducation nationale, de la formation professionnelle, de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique.
Said Amzazi, rappelons- le, estime en effet nécessaire de concilier l’amélioration de la gouvernance à la poursuite de l’effort financier au profit du secteur, précisant que plus de 80% du budget est consacré à la masse salariale et aux dépenses du personnel. Moins de 20% du financement dédié au secteur est destiné au fonctionnement des établissements, à l’appui social et aux investissements. Très peu de ressources sont ainsi disponibles pour mener des actions pédagogiques. La mise en oeuvre de la réforme après l’adoption de la loi-cadre de l’enseignement nécessitera un budget annuel supplémentaire estimé à au moins 10 milliards de dirhams. Encore faut-il que la gestion des ressources financières soit axée sur les résultats, comme le soulignent les experts. Les responsables notamment au niveau des Académies régionales de l’éducation et de la formation, qui reçoivent plus de 90% du budget du département de tutelle, devront être mieux formés sur le volet de la gestion financière.
Aujourd’hui plus que jamais, les académies sont appelées à jouer un rôle important dans la dynamisation du secteur de l’enseignement qui constitue l’une des priorités nationales. Toutefois et en dépit de la volonté nationale de décentraliser l’éducation, plusieurs contraintes limitent les capacités des AREF à assumer un rôle moteur dans la gouvernance du secteur. À l’heure où le Maroc tend à réussir le chantier de la régionalisation avancée, il s’avère nécessaire de repenser le rôle des académies qui souffrent de l’insuffisance de leurs ressources humaines. Ce handicap de taille empêche quelques AREF d’accomplir, comme il se doit, les tâches qui leur sont dévolues. Cette lacune pourrait être comblée par le renforcement de la formation continue des ressources humaines dont dispose déjà les AREF. Les pouvoirs publics sont ainsi appelés à gérer au mieux les ressources tant humaines que financières dont ils disposent et à mettre en place des mécanismes innovants de financement de l’éducation car il faut dire que l’État, à lui seul, ne peut pas répondre efficacement aux besoins de plus en plus urgents dudit secteur de l’éducation. L’accroissement du potentiel de mobilisation des ressources pour le financement de ladite éducation exige par conséquent l’exploration de nouvelles sources de financement. À ce titre, il serait bon de penser, entre autres, à développer les capacités des AREF en matière de levées de fonds auprès des autorités locales et des donateurs nationaux et internationaux, comme le soulignent les experts. Or actuellement, il s’avère que la plupart des académies n’ont pas encore les capacités techniques pour mener à bien cette mission, qui pourrait donner un véritable coup de fouet à l’investissement dans le secteur. Aujourd’hui en effet, les moyens privés et ceux des collectivités territoriales représentent moins de 5% du budget des AREF.
La Banque mondiale plaide pour le développement de la qualité
Parmi les priorités du nouveau cadre de partenariat-pays entre le Maroc et la Banque mondiale (2019-2024) figure le défi de la qualité à tous les stades de l’enseignement. Il s’agit de miser sur des axes stratégiques comme la petite enfance, l’amélioration de la qualité de l’éducation à travers des approches pédagogiques modernes et le renforcement de la gouvernance financière du système. L’un des axes stratégiques du cadre de partenariat pays s’articule autour du renforcement du capital humain pour doter le Maroc des compétences nécessaires en vue de soutenir la concurrence dans l’économie mondiale. Pour la Banque mondiale, l’éducation jouera un rôle essentiel dans la transformation de l’économie et permettra de donner à chacun la chance de réaliser tout son potentiel.
Marie Françoise Marie-Nelly.
Directrice des opérations de la Banque mondiale pour le Maghreb
“Le Maroc peut mieux faire ”
Le problème de la qualité de l’enseignement au Maroc est-il dû à un manque de financement ou s’agit-il d’une question de gouvernance du système ?
Ce sont les deux volets à la fois. En effet, 80% du budget de l’éducation va aux salaires des enseignants. Ainsi, il n’y a pas suffisamment d’espace pour la mise en place des approches pédagogiques modernes. Cette question devra être traitée dans la structure du budget de l’enseignement mais lorsqu’on compare le Maroc avec d’autres pays, beaucoup de ressources financières y sont allouées à l’enseignement et il pourrait faire beaucoup mieux avec le budget alloué au secteur. En gros, il ne s’agit pas uniquement d’un problème de gouvernance, force est de constater que le Maroc peut mieux faire avec les montants alloués actuellement à l’éducation.
Justement, comment le Maroc pourrait- il mieux faire ?
En premier lieu, le renforcement des capacités des gestionnaires s’impose. Toutes les académies de l’éducation et de la formation sont des entreprises avec des milliers d’employés. Les AREF doivent être dotées des capacités de planification, de gestion, de suivi d’exécution… Deuxièmement, la capacité des enseignants et les méthodes pédagogiques doivent être renforcées en vue d’obtenir une meilleure relation entre les ressources allouées au secteur et les résultats. Il faut former les responsables des AREF, s’assurer qu’ils sont dotés des outils de suivi et d’évaluation. Le Maroc est doté d’un bon système, «Massar», qui suit l’enfant depuis qu’il rentre à l’école. C’est un bon instrument pour renforcer le suivi et l’évaluation. Troisièmement, il s’avère nécessaire de mettre en place des instruments de gestion financière et comptable beaucoup plus performants (outils administratifs, outils de gestion…). On a parfois des directeurs qui ne sont pas formés à la gestion. Ce sont de bons enseignants mais pas forcément de bons gestionnaires car ce sont deux métiers différents. L’approche devra être axée sur le suivi par les résultats.
Quid du profil des enseignants ?
Le gouvernement est en train de mettre en place un nouveau programme de formation d’une nouvelle catégorie d’enseignants. D’ici cinq ans, on aura des enseignants qui seront beaucoup mieux formés aux questions pédagogiques dans le cadre de l’environnement moderne qui requiert de l’élève et de l’étudiant une approche plus analytique qu’un apprentissage par coeur.
Que pensez-vous de l’approche de contractualisation au niveau régional ?
Il faut savoir quelle est la capacité du Maroc à mobiliser des financements dans la durée. Je pense qu’on cherche une certaine flexibilité pour avoir des personnes qui répondent mieux aux besoins du moment. Il faut en discuter dans le cadre de la réforme du système de la fonction publique et de la décentralisation. Beaucoup de pays sont passés à la contractualisation pour avoir plus de flexibilité.