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Finance participative : un secteur aux ailes bridées

Près de sept ans après son avènement, le secteur de la finance participative poursuit sa lente consolidation. Réunis à Rabat à l’occasion du Forum annuel de l’IFSB, les régulateurs appellent à lever les blocages de liquidité et à renforcer les instruments de marché.

Depuis l’octroi des premières licences, la finance participative n’a cessé de gagner en visibilité au Maroc. Pourtant, à entendre le gouverneur de Bank Al-Maghrib, le chantier est loin d’être achevé.

«Nous avons été parmi les premiers à œuvrer pour le développement de la finance islamique», soutient Abdellatif Jouahri, en clôture du 23e Forum sur la Stabilité financière islamique, tenu du 1er au 3 juillet à Rabat.

Hôte de l’événement annuel du Conseil des services financiers islamiques (IFSB), le Royaume entend désormais franchir un cap, alors même que le secteur ne pèse encore que 2% des actifs bancaires nationaux. Côté résultats, les progrès sont tangibles.

En l’espace de cinq ans, les encours de financements participatifs ont atteint près de 35 milliards de dirhams. Ces performances s’appuient notamment sur la généralisation progressive des contrats Mourabaha et la consolidation d’un cadre institutionnel adossé à un système centralisé de fatwas. Jouahri salue à ce titre «l’implication active du Conseil supérieur des oulémas dans l’architecture du secteur».

Financement de l’économie
Ce n’est qu’un début pour cette branche appelée à jouer un rôle plus structurant dans le financement de larges segments de l’économie. La conférence, organisée en marge des assemblées annuelles de l’IFSB, a permis de pointer les blocages persistants, à commencer par l’épineuse question de la liquidité.

«Parmi nos priorités figure la question de la gestion de la liquidité», fait valoir Jouahri, pour qui celle-ci est entravée, en l’état actuel, par la rareté des instruments disponibles, l’absence d’un marché secondaire actif et la faible interconnexion avec les marchés étrangers.

Le sujet revient d’ailleurs à l’ordre du jour avec la possible relance des émissions de sukuk souverains, après une première opération d’un milliard de dirhams lancée en 2018 et arrivée à échéance en 2023.

«La question, désormais, est de savoir sous quelle forme reconduire cette émission, perçue comme un levier essentiel pour consolider la liquidité du secteur participatif», glisse-t-il.

L’autre chantier en cours porte sur la mise en place de l’assurance Takaful. Si le cadre juridique est désormais posé, sa mise en œuvre a nécessité de longues négociations entre la Direction des assurances et la Commission charaïque, autour de la validation «doctrinale» des modèles économiques proposés. Opérationnel depuis 2022, le Takaful connaît une montée en puissance progressive, avec une offre encore concentrée sur des produits simples et adossée aux financements participatifs. Le gouverneur l’admet à demi-mot. «Il y a eu des allers-retours avec le Conseil des oulémas, sur ce qui est considéré comme conforme», indique-t-il, sans s’attarder sur les points de friction.

Concurrence rude
Mais c’est sur le terrain de la concurrence que les tensions sont les plus vives. Portée par une demande populaire et par des attentes de clarté religieuse, la finance participative attire de nouveaux acteurs, parfois au prix de pratiques commerciales agressives.

«C’est une finance tirée par les besoins sociaux, pas par des logiques de business», souligne Jouahri. Et d’ajouter : «La concurrence au sein de la branche participative est plus dense que dans le secteur bancaire dans son ensemble».

La Banque centrale reste néanmoins attentive à ce que cette rivalité ne débouche pas sur des ententes illicites ou des chevauchements de périmètres.

«Nous n’acceptons aucune forme d’entente», tranche le wali de BAM.

Cette vigilance s’exerce également sur la dynamique de transformation des guichets participatifs en banques à part entière. Le phénomène, encore marginal, interroge le modèle dual qui prévaut depuis 2017.

Pour rappel, les fenêtres sont des structures internes aux banques conventionnelles, autorisées à proposer des produits conformes à la charia tout en partageant leur infrastructure. Leur montée en puissance, doublée d’un flou sur leur autonomie réelle, nourrit l’idée d’une reconfiguration silencieuse du paysage participatif. Soucieuse de préserver la lisibilité de l’offre pour les consommateurs, la Banque centrale veille à éviter une dilution des lignes entre les établissements spécialisés et ces entités hybrides.

Profondes fragilités
Le bilan des Assemblées annuelles de l’IFSB, tenues à Rabat, dresse un état des lieux contrasté à l’échelle internationale. Les discussions ont mis en lumière une industrie en pleine expansion, mais encore marquée par des déséquilibres structurels. En effet, malgré une croissance annuelle de 14,9 % en 2024, avec un total d’actifs atteignant 3.880 milliards de dollars, l’industrie des services financiers islamiques reste traversée par de profondes fragilités.

Le secrétaire général de l’IFSB, Ghiath Shabsigh, rappelle que l’extension géographique ne garantit ni la résilience ni la cohérence. «Nous observons encore des cadres réglementaires faibles, une supervision qui varie d’un pays à l’autre, et à des infrastructures de marché qui peinent à suivre», alerte-t-il.

La transition vers une finance islamique mieux outillée passe, selon lui, par la standardisation des instruments, le renforcement de la gestion des risques et une meilleure intégration aux filets de sécurité financière. L’IFSB s’y attelle en multipliant les chantiers techniques.

En 2025, quinze activités sont prévues dans neuf juridictions, en partenariat avec des institutions comme le FMI. De nouveaux outils sont également en cours de déploiement, dont une base de données législatives et une plateforme d’e-learning révisée. «Le vrai défi n’est pas tant de produire des normes que de garantir leur compréhension et leur mise en œuvre effective», insiste Shabsigh.

Dynamique régionale
Dans ce contexte, le Maroc suscite l’intérêt. Grâce à une architecture centralisée autour du Conseil supérieur des oulémas et à une coordination étroite entre régulateurs, le pays est souvent cité en exemple pour la robustesse de son «dispositif doctrinal».

À long terme, cet atout, associé au statut de place financière aux portes de l’Europe, confère au Royaume un avantage certain pour l’extension de la finance participative en Afrique de l’Ouest et dans le bassin méditerranéen.

«Le Maroc est bien placé pour porter cette dynamique régionale», estime le secrétaire général de l’IFSB.

Les spécialistes de la finance islamique le rappellent avec constance, le devenir du secteur reste intimement lié à sa capacité à élargir sa palette d’instruments et à s’ancrer davantage dans l’économie réelle. Si la finance participative a contribué à l’inclusion, elle peine encore à s’imposer comme levier de financement productif.

Interrogé sur le rôle de cette finance dans la dynamique actuelle de développement et projets d’investissement prévus dans le cadre du Mondial 2030, Jouahri rappelle que «les entreprises sont libres de choisir leur mode de financement». Le Forum s’est conclu sur une conviction largement partagée. Tant que les vulnérabilités structurelles ne seront pas traitées, la consolidation du secteur restera hors de portée.

Parmi les recommandations formulées, figure ainsi l’importance d’élargir la base d’investisseurs, de consolider les filets de sécurité et de mieux intégrer les segments non bancaires. Au-delà des normes, seule la mise en application appuyée par une coopération transfrontalière, permettra à la finance participative d’affirmer davantage sa place dans le système financier mondial.

Abdellatif Jouahri
Wali de Bank Al-Maghrib et président du Conseil de l’IFSB pour l’année 2025

«La gestion de la liquidité reste entravée par la rareté des instruments disponibles, l’absence d’un marché secondaire actif et la faible interconnexion transfrontalière. Il est impératif de développer davantage d’outils liquides, notamment les sukuk».

Ghiath Shabsigh
Secrétaire général du Conseil des services financiers islamiques

«Les vulnérabilités structurelles, comme le développement régional inégal, les cadres réglementaires faibles et les lacunes en matière d’infrastructures de marché exposent le secteur à de réels risques pour la confiance, les flux de capitaux et la stabilité à long terme»

Le Maroc, futur carrefour régional de la finance participative ?

Encore marginale au sein des bilans bancaires, la finance participative nourrit pourtant des ambitions régionales. Ghiath Shabsigh, secrétaire général du Conseil des services financiers islamiques, estime que le Royaume «est idéalement positionné pour servir de passerelle à l’expansion de la finance islamique vers l’Afrique de l’Ouest et le bassin méditerranéen». Un avis qui fait écho à l’architecture institutionnelle centralisée du pays et à la coordination étroite entre régulateurs. Cette projection régionale pourrait constituer un levier d’influence pour Rabat, à condition que l’offre locale parvienne à s’affranchir du cadre jugé trop étroit.

Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO



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