Exclusif. Ahmed Abdel-Azeem : “La coopération scientifique entre le Maroc et l’Égypte reste sous-développée”

Ahmed Abdel-Azeem
Membre du département de botanique et de microbiologie, Université du Canal de Suez
Comment l’Égypte peut-elle inspirer le Maroc en matière de gestion de la crise de l’eau et de l’insécurité alimentaire ? Pionnier de la biotechnologie, Ahmed Abdel-Azeem, membre du département de botanique et de microbiologie à l’Université du Canal de Suez, et chercheur à l’Université de Bucarest, explique l’impact de CRISPR-Cas9 sur les cultures et l’importance stratégique de la collaboration régionale pour construire une agriculture durable et résiliente face aux changements climatiques.
Comment la technologi CRISPR-Cas9 est-elle intégrée dans le paysage agricole égyptien et quel est son potentiel pour l’avenir ?
Le secteur agricole égyptien représente une mosaïque unique, allant des pratiques conventionnelles intensives le long de la vallée et du delta du Nil à l’agriculture biologique émergente dans les zones désertiques réhabilitées.
Dans ce contexte diversifié, l’intégration des technologies CRISPR-Cas9 offre un potentiel de transformation. En tant qu’outil d’édition du génome précis et rentable, le CRISPR peut être utilisé pour améliorer la résilience des cultures à la salinité, à la sécheresse et aux ravageurs, des défis de plus en plus urgents face au changement climatique et à la dégradation des terres.
Les instituts de recherche égyptiens, tels que l’Institut de recherche en génie génétique agricole (AGERI), s’engagent activement dans la recherche basée sur le CRISPR. La compatibilité de cette technologie avec les systèmes à hauts et à faibles intrants la rend adaptée aux divers modèles agricoles égyptiens.
Par exemple, des variétés de blé ou de riz éditées par CRISPR peuvent être conçues pour résister au stress hydrique tout en maintenant leur rendement, ce qui profite à la fois aux systèmes conventionnels et biologiques, à condition que des cadres réglementaires et éthiques appropriés soient en place. Cependant, la clarté réglementaire et la sensibilisation du public restent essentielles.
L’Égypte doit développer un cadre de biosécurité transparent pour les organismes génétiquement édités, qui les distingue des organismes transgéniques, en s’alignant sur les directives de l’Union africaine et les normes internationales. L’intégration responsable du CRISPR-Cas9 peut positionner l’Égypte comme un leader régional en matière d’innovation agricole durable.
Quelles sont les innovations biotechnologiques majeures développées par l’Égypte pour la conservation de l’eau, et comment peuvent-elles servir de modèle à d’autres pays africains ?
L’Égypte a lancé plusieurs initiatives biotechnologiques pionnières visant à conserver l’eau, une nécessité dans un pays largement dépendant du Nil. Parmi les efforts les plus notables, on trouve le développement de variétés de cultures tolérantes à la sécheresse par sélection assistée par marqueurs et édition du génome, comme le maïs et le sorgho.
L’utilisation de biofertilisants et de consortiums microbiens qui améliorent l’efficacité de l’utilisation de l’eau par les plantes et la structure du sol permet également de réduire les besoins en irrigation. De plus, des systèmes d’irrigation intelligents intégrés à l’Internet des Objets (IdO) et à l’intelligence artificielle sont en cours de déploiement, comme les projets pilotes «Agriculture économe en eau» en Haute-Égypte.
Enfin, l’utilisation d’halophytes et de cultures génétiquement optimisées qui prospèrent dans les sols salins ou marginaux permet d’étendre l’agriculture aux lisières du désert. Ces approches offrent des solutions évolutives pour les nations africaines confrontées à des sécheresses récurrentes.
Leur adaptation nécessiterait des données génomiques locales et des programmes de sélection spécifiques au climat, un renforcement des capacités par le biais de réseaux de recherche panafricains, ainsi que des politiques incitant à une agriculture intelligente face au climat et un accès ouvert aux outils biotechnologiques développés en Égypte. Le succès de l’Égypte dans l’intégration de la biotechnologie et de la gestion de l’eau en fait un modèle solide pour les pays africains visant à atteindre la sécurité alimentaire dans des conditions arides.
Quelles sont les stratégies proposées pour renforcer
la coopération scientifique entre l’Égypte et le Maroc dans le domaine de l’édition du génome ?
L’Égypte et le Maroc partagent des défis agro-climatiques similaires, notamment la pénurie d’eau et la dégradation des terres, et les deux pays possèdent des écosystèmes de recherche solides.
Pourtant, la coopération scientifique, en particulier dans le domaine de l’édition du génome, reste sous-développée. Pour renforcer la collaboration en matière d’agriculture résiliente à la sécheresse, plusieurs stratégies sont proposées.
Il s’agirait d’établir un fonds de recherche bilatéral axé sur la sélection par CRISPR de cultures tolérantes à la sécheresse comme le blé dur, l’orge et les olives, qui sont des aliments de base dans les deux pays. Une autre proposition est de développer des bibliothèques génomiques pan-maghrébines en libre accès pour identifier les traits génétiques régionaux liés à la résistance au stress abiotique.
Il est également suggéré de lancer des bourses d’échange et des programmes de troisième cycle conjoints entre des institutions comme l’AGERI en Égypte et l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) au Maroc pour renforcer les capacités et la formation. Enfin, il est recommandé de travailler par l’intermédiaire d’organismes régionaux comme le COMSATS ou l’AUDA-NEPAD pour aligner les réglementations de biosécurité et les cadres de propriété intellectuelle régissant les cultures génétiquement éditées.
Cette coopération pourrait servir de pierre angulaire à une intégration biotechnologique plus large en Afrique du Nord, positionnant la région pour relever collectivement les défis climatiques grâce à l’agriculture de précision.
Au-delà des stratégies globales, pourriez-vous nous donner des exemples concrets de projets de recherche que vous avez menés pour résoudre des défis agricoles spécifiques en Égypte ?
Diriger le projet financé par le STDF «Bioprospection de champignons endophytes améliorés pour la production durable de tomates en Égypte : défense liée au stress abiotique» a été une expérience vraiment enrichissante. Nous nous sommes concentrés sur l’utilisation de champignons endophytes indigènes pour aider les plants de tomates à faire face à des conditions difficiles comme la sécheresse, la salinité et les sols pauvres, des défis bien connus en Égypte. De l’échantillonnage sur le terrain aux essais en serre, chaque étape a été pratique et collaborative.
L’un des moments forts a été d’encadrer un projet de recherche qui explorait ce sujet dans le nord du Sinaï, où les résultats se sont révélés très prometteurs pour améliorer la résilience des plantes par des moyens simples et naturels. Ce fut une grande fierté de voir des idées scientifiques se transformer en solutions pratiques pour l’agriculture locale.
Dans un autre projet, «EgyBio©», financé par le programme conjoint égypto-espagnol, nous nous sommes tournés vers le stress biotique, principalement la manière de protéger les cultures de cucurbitacées contre les maladies en utilisant des champignons endophytes comme biostimulants naturels.
Ce fut une grande avancée, combinant la microbiologie et la protection des cultures de manière innovante et ancrée dans les besoins réels. Mon laboratoire a pris l’initiative d’isoler des souches fongiques prometteuses et de tester leurs effets. J’ai eu la chance de travailler avec une formidable équipe de jeunes chercheurs qui ont apporté leur énergie et leurs idées. Que ce soit lors du criblage de l’activité antimicrobienne ou de la planification des essais sur le terrain, il y avait une conviction partagée que ces champignons pouvaient faire la différence, non seulement pour la science, mais aussi dans la vie des gens.
Mehdi Idriss / Les Inspirations ÉCO