Entretien. Mohamed Rahj : “C’est un gros coup contre l’informel et le blanchiment d’argent”
Pour le fiscaliste Mohamed Rahj, il faut tout d’abord faire la différence entre montants déclarés par les contribuables et recettes effectivement perçues par l’administration fiscale. Cela dit, cette opération constitue, selon lui, un premier pas dans la lutte contre l’informel et le blanchiment d’argent. Interview.
Quelle lecture faites-vous des résultats de cette opération d’amnistie fiscale ?
Tout d’abord, il faut faire attention quant aux montants qui circulent ici et là, et surtout faire la différence au niveau de la terminologie. On peut, à la limite, comprendre que le montant total déclaré soit de l’ordre de 100 MMDH. Mais cela ne veut pas dire que l’État a récolté 100 MMDH.
En effet, de ce montant déclaré, il faut déduire les 5% qui sont en réalité les recettes, et vous faites le calcul. Pour ma part, et en attendant que ce montant soit officiellement annoncé par les services concernés, je pense qu’au grand maximum, l’État aurait perçu entre 3 et 5 MMDH. C’est impossible de récolter 100 MMDH alors que, selon les chiffres de Bank Al-Maghrib, tout le cash qui circule actuellement au Maroc se situe autour de 450 MMDH.
J’invite donc à plus de prudence, et surtout à plus de pédagogie, afin d’éviter des amalgames qui peuvent faire des dégâts insoupçonnés vis-à-vis de la perception des services fiscaux. On se rappelle qu’en 2013, la contribution libératoire au profit des Marocains qui ont des avoirs à l’étranger n’avait permis de percevoir que 27 MMDH déclarés et des recettes effectives de 5 MMDH, malgré des taux libératoires plus importants selon le niveau.
Au-delà des chiffres, quel est l’impact économique probable d’une telle initiative, qui a rencontré, malgré tout, un certain succès ?
C’est une initiative destinée à attirer l’attention des contribuables qui gagnent de l’argent mais ignorent le fisc. Il s’agit d’une partie de nos concitoyens qui travaillent dans l’informel, qui sera désormais amené à intégrer le secteur formel.
À partir de cette année 2025, quelqu’un qui, par exemple, a gagné 200.000 DH via l’informel et qui compte acheter un appartement, ne pourra plus le faire s’il passe chez le notaire, un avocat d’affaire ou un expert. Désormais, il faudra apporter la preuve de l’origine de l’argent.
En plus, l’administration fiscale est en train de procéder à des opérations de contrôle au sujet de la situation fiscale d’ensemble. Nous sommes donc de plus en plus obligés d’aller vers le formel, hormis les activités illicites, comme la drogue, la contrebande qui, certainement, ne seront jamais déclarées. Globalement, le blanchiment d’argent devrait se réduire, ainsi que l’informel.
C’est donc une façon de lutter contre l’informel ?
Oui, il s’agit d’un bon coup pour réduire l’informel dans notre pays. C’est une façon de tâter le terrain, parce que le gouvernement doit trouver une solution politique. C’est une décision grave à prendre concernant l’informel, car aujourd’hui, un vrai débat se pose, surtout que vous avez, même au niveau des officiels, ceux qui défendent le secteur informel.
Cela dit, le Maroc était inscrit, il y a encore à peine deux ans de cela, sur la liste grise du GAFI relative au blanchiment d’argent. Et il avait alors accepté de lutter contre le blanchiment et d’introduire des réformes, également. D’ailleurs, on assiste actuellement à une affaire retentissante devant la justice, et qui concerne des personnalités du monde économique et du sport.
Dans un contexte d’inflation persistante, est-ce que ce genre de mesures ne risquent pas d’avoir des contre coups ?
Non, je ne pense pas. L’inflation est toujours là, mais, dans ce cas, l’argent déposé au niveau des banques est constitué de liquidités constituées au Maroc. Il ne s’agit pas, en l’occurrence, de faire tourner la planche à billets, par exemple. Et franchement, comme je le disais plus haut, les recettes réelles perçues par l’administration fiscale ne devraient pas dépasser les 5 MMDH.
Donc, ce n’est pas grand-chose, même si ce sont des liquidités qui vont aider, dans une certainement mesure, au financement d’une partie de l’économie. Mais cela suppose d’avoir des recettes beaucoup plus considérables.
L’essentiel est que, pour les autorités, une partie de l’économie qui échappait au fisc soit désormais bien identifiée. Et là, je ne parle pas vraiment des petits vendeurs et autres commerçants, mais plutôt d’entreprises bien structurées et qui opèrent dans l’informel.
Abdellah Benahmed / Les Inspirations ÉCO