Écosystème : pourquoi les fintechs tardent-elles à décoller?
Freinée par des inerties structurelles et la prédominance de l’argent liquide, l’écosystème fintech peine à prendre son envol, malgré un potentiel économique considérable.
Dans un village reculé du Kenya, un agriculteur peut écouler sa récolte sans intermédiaire grâce à M-Pesa, une application de paiement mobile qui a révolutionné les usages en Afrique. En quelques clics sur un téléphone basique, il reçoit le paiement de ses clients, règle ses fournisseurs et peut même épargner pour la prochaine saison. À des milliers de kilomètres de là, en Chine, Alipay a bouleversé les modes de consommation pour des millions d’usagers.
Dans les grandes métropoles, acheter un café, réserver un billet de train ou souscrire une assurance se fait désormais d’un simple scan de QR code, rendant caduc l’usage du cash. Au Maroc, le basculement vers une société «cashless» demeure une chimère.
D’après les statistiques de Bank Al-Maghrib (BAM), la circulation de l’argent liquide a atteint en octobre 2024 un total de 425,9 milliards de dirhams, en hausse de 10,6% par rapport à l’année dernière. En dépit d’une infrastructure bancaire parmi les plus développées du continent, très peu de solutions fintech voient le jour au Maroc.
Ce paradoxe a été timidement abordé lors de l’Africa Financial Summit (AFIS) à Casablanca, un rendez-vous où banquiers, capital-risqueurs et figures de la tech ont débattu des défis de la finance numérique.
«L’intégration régionale et l’innovation technologique sont essentielles pour bâtir un écosystème financier inclusif en Afrique», a insisté Mohamed El Kettani, PDG d’Attijariwafa bank, en soulignant l’urgence d’une mobilisation concertée pour rattraper le retard accusé face à d’autres économies plus avancées.
Selon le rapport Startup country guide 2024, le Maroc abrite une quarantaine de fintechs, spécialisées dans les paiements et les transferts de fonds. Peu d’entre elles parviennent néanmoins à s’imposer à l’international, à l’instar de HPS, enseigne casablancaise qui s’est hissée au fil des années au rang d’acteur mondial des solutions de paiement électronique. Malgré un potentiel incontestable, le secteur des fintechs demeure pénalisé par de nombreux facteurs structurels. En cause, les lourdeurs administratives, pointées du doigt par les porteurs de projets, en particuliers, les appels d’offres qui ne correspondent pas aux réalités des startups.
«Les entrepreneurs se retrouvent accablés par des formalités complexes, ce qui bride leur capacité à innover», confie un entrepreneur.
Ce cadre rigide contraste avec la souplesse d’autres marchés africains où les startups s’expriment plus librement. À cela s’ajoute l’attrait persistant pour le cash, qui demeure un frein de taille à la généralisation des services numériques. Alors que d’autres pays africains adoptent massivement des solutions de paiement mobile, les habitudes locales, notamment en milieu rural, en ralentissent encore l’adhésion.
«L’absence de solutions adaptées aux spécificités locales empêche une adoption large», précise Yassine Regragui, expert en Fintech.
Des initiatives encourageantes existent pourtant, sous l’impulsion de Bank Al-Maghrib, de la CDG, ou encore de structures privées, qui témoignent d’une volonté d’accompagner le secteur. Les banques, de leur côté, s’ouvrent peu à peu aux collaborations avec les fintechs, mais ces efforts restent encore dispersés et insuffisamment coordonnés.
«Les banques gardent tout de même le monopole dans la gestion des services financiers», remarque Yassine Regragui.
Bien que prometteur, le secteur des fintechs tarde à prendre son envol, à en juger par les dernières données disponibles. En 2023, sur les 2,9 milliards de dollars levés par les startups africaines, le Maroc n’a capté que 17 millions de dollars, soit à peine 0,4% de cette enveloppe conséquente consentie à l’investissement.
Cette situation contraste avec celle de pays comme le Nigeria, l’Afrique du Sud, l’Égypte et le Kenya, qui absorbent 91,2% des investissements sur le continent. Pour surmonter ce retard, une concertation entre acteurs publics et privés pourrait permettre de lever les obstacles structurels et d’adopter des solutions mieux adaptées aux réalités locales.
Une quarantaine de fintechs spécialisées dans le paiement et transfert de fonds
Bien que le Maroc abrite une quarantaine de fintechs, principalement dans le paiements et transfert de fonds, l’éclosion de nouvelles innovations se heurte toujours à une forte dépendance au cash et à un cadre administratif jugé contraignant.
Selon le rapport Startup country guide 2024, le Royaume dispose d’une infrastructure solide, avec un taux de pénétration d’Internet de 93% et un marché des transactions mobiles estimé à 40 milliards de dollars.
Cependant, 56% de la population reste non bancarisée, soulignant les défis persistants de l’inclusion financière, dans un contexte où les transferts de fonds en provenance de la diaspora atteignent 11 milliards de dollars chaque année.
Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO