E-Payment : quels obstacles à lever ?
Les obstacles rencontrés par la monétique au Maroc ont été analysés par Karima Zouhairi et Rachid Driouch, de Bank of Africa, Zouheira Belkrezia, du groupe Marjane, et Rachid Saihi, du CMI, femmes et hommes de terrain.
«Le e-paiement est élément qui améliore de manière drastique l’expérience de l’usager, quelle que soit sa catégorie», affirme d’emblée Rachid Saihi, directeur général du Centre monétique interbancaire (CMI). Pour régler une facture de frais de scolarité, un agriculteur, comme un ingénieur ou autre, doit se déplacer physiquement, perdre deux heures, faire la queue pour honorer son obligation. Lorsqu’il peut la régler à 2 heures du matin, à 16 ou 22 heures, depuis Casablanca, Londres ou Ouarzazate, cela devient une expérience client extraordinaire. C’est un gain de temps pour le client comme pour la partie qui encaisse.
Avec plus de 20 millions de porteurs de cartes, le Maroc devrait terminer l’année avec 21 millions. Mais le nombre de transactions électroniques n’a pas encore atteint les 20 millions par mois. Le rôle du CMI est de proposer un large éventail de solutions et d’outils, mais il ne peut rien imposer aux citoyens. Ce sont ces derniers qui choisiront, en fonction de leur situation, de leur quotidien, etc.
Pour résoudre la problématique de l’adoption du ePayment, personne ne peut prétendre savoir ce qu’il faut faire. Rachid Saihi préconise donc d’organiser des focus groups, pour la catégorie des agriculteurs, par exemple, qui permettront à un designer d’inventer une solution qui réponde aux problématiques. Mais personne ne peut prétendre, à partir de Casablanca, connaître les besoins des cultivateurs de Meknès, de Ouarzazate ou d’Agadir.
Les grandes structures, qu’elles soient bancaires ou le CMI, essayent d’apporter les technologies disponibles. Le paiement sans contact a été introduit en 2016 au Maroc, puis d’autres ont suivi. Les premiers utilisateurs ont été les étrangers. Les cartes marocaines ont suivi environ 18 mois plus tard. Cette année va se terminer avec quasiment 5% de l’ensemble des volumes encaissés par le CMI à travers les nouveaux moyens de paiement. Donc la technologie est adoptée, mais le Centre monétique interbancaire est obligé d’être deux ou trois vagues en avance par rapport au comportement du citoyen marocain.
Le CMI est aussi au service des porteurs internationaux qui sont beaucoup plus exigeants. «Le challenge est de démocratiser l’expérience de paiement électronique développée avec les utilisateurs les plus exigeants, comme ceux de l’international. Cette démocratisation doit se faire selon les différentes catégories d’usagers marocains et selon leur géographie. 90% des flux du CMI viennent de Casablanca, Marrakech, Rabat, Agadir et Tanger. Le reste du Maroc fournit les autres 10%», explicite Rachid Saihi.
L’expérience client au cœur de la démarche
Pour Zouheira Belkrezia, directrice Tech et Innovation digitale du groupe Marjane, «la clé réside dans l’expérience client, qu’il soit du monde rural ou pas. Si la première expérience n’est pas simple, n’est pas fluide ou présente une faille, il va décrocher.
Lors des études et focus groups, la première réponse est : «J’ai testé, je n’ai pas réessayé parce que c’était une mauvaise expérience». La catégorie des sceptiques que l’on cherche à intégrer doit se voir proposer un parcours fluide, sans faille ni erreur. Il faut de la simplicité et beaucoup d’écoute».
Le monde rural a adopté les transferts d’argent instantanés, c’est une innovation. Les étudiants et la jeunesse en général aussi. Leurs expériences se sont bien passées. La responsable Marketing marché des particuliers de Bank of Africa, Karima Zouhairi, estime que l’idéal est que le client commence par une petite transaction très simple, d’un petit montant. C’est ce qui permet l’évolution vers d’autres opérations, plus évoluées, sur des terminaux de commerçants ou des sites de e-commerce, voire une transition vers des produits plus élaborés, comme le crédit ou l’épargne.
La première expérience est donc importante et doit bien se passer, afin qu’elle se transforme en déclic. C’est à partir de l’expérience client, et de son retour, que l’on peut détecter les points d’amélioration ou les failles à corriger, remarque Rachid Driouch, responsable Expertise monétique et Mobile payment de Bank of Africa. L’adoption passe par l’utilisation et par la familiarisation.
«Les wallets, au début, n’avaient pas été adoptés par les utilisateurs. Mais dans les circonstances particulières de la pandémie, les aides ont été versées sur des wallets. Actuellement, les aides sociales directes sont elles aussi versées sur des wallets. Cela a entraîné une familiarisation à ces outils pour l’une des populations ciblées, plutôt défavorisée, qui n’a pas toujours accès à la bancarisation». Elle va goûter à la facilité et à la simplicité qu’offrent ces moyens électroniques.
Parmi les autres efforts mis en place, il y a l’éducation financière, dans un cadre scolaire ou par des initiatives sur le terrain, des comptes bancaires aux tarifs adaptés aux besoins de cette catégorie.
Effet générationnel
Il y a enfin un effet générationnel, puisque les plus jeunes sont très connectés. La génération Z est encore plus avertie, juge Zouheira Belkrezia, du groupe Marjane, elle est encore plus curieuse, encore plus exigeante. Si une transaction se bloque, souffre d’un temps de latence trop long, ces clients ne reviennent plus. C’est la génération Z. Elle est encore plus exigeante dans le monde du digital. Tout doit y être simple et performant, comme pour les images, les vidéos.
Cette génération est donc un grand challenge pour le métier de Zouheira Belkrezia. Karima Zouhairi, de Bank of Africa, confirme le propos et partage une même expérience sur ses plateformes. Les offres plus complexes que le simple transfert d’argent, ou ouverture de compte en ligne, par exemple, sont adoptées par des jeunes, dans des pourcentages très élevés. La banque propose des offres dédiées à cette clientèle, et l’appétence est là, l’adoption est là, clairement, pour cette génération.
Rachid Saihi
Directeur général du Centre monétique interbancaire (CMI)
«Le challenge est de démocratiser l’expérience de paiement électronique développée avec les utilisateurs les plus exigeants, comme ceux de l’international. Cette démocratisation doit se faire selon les différentes catégories d’usagers marocains et selon leur géographie. 90% des flux du CMI viennent de Casablanca, Marrakech, Rabat, Agadir et Tanger. Le reste du Maroc fournit les autres 10%».
Zouheira Belkrezia
Directrice tech et Innovation digitale du groupe Marjane
«La clé réside dans l’expérience client, qu’il soit du monde rural ou pas. Si la première expérience n’est pas simple, n’est pas fluide ou présente une faille, il va décrocher. La catégorie des sceptiques que l’on cherche à intégrer doit se voir proposer un parcours fluide, sans faille ni erreur. Il faut de la simplicité et beaucoup d’écoute».
Rachid Driouch
Responsable expertise monétique et mobile payment de Bank of Africa
«Les wallet, au début, n’avaient pas été adoptés par les utilisateurs. Mais les circonstances particulières de la pandémie ont entrainé une familiarisation à ces outils».
Murtada Calamy / Les Inspirations ÉCO