Développement : il ne faudra pas compter sur l’effet de levier de la recherche scientifique !
Le rôle de la connaissance, du savoir et de la créativité intellectuelle dans la croissance n’est plus à démontrer. Qu’en est-il au Maroc, dans un contexte marqué par des perspectives en demi-teinte ?
Face à la croissance économique qui a du plomb dans l’aile, à la recrudescence des crises (Covid-19, pénurie de matières et de composants, hausse des prix de l’énergie, du transport et du fret maritime…), le secteur de la recherche scientifique marocaine brille par son absence.
Et ce, en dépit des actions menées par le Moroccan foundation for advanced science, innovation and research (MAScIR) et des initiatives comme Imtiaz-technology porté par le ministère de l’Industrie et le Programme de soutien à la recherche scientifique et technologique, en lien avec le Covid-19, porté par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique.
Et pourtant, le rôle de la connaissance, du savoir et de la créativité intellectuelle dans la croissance n’est plus à démontrer ! En effet, une recherche scientifique de haut niveau, couplée et adossée à une formation et à une éducation de qualité, représentent un investissement rentable pour la société, son bien-être et sa prospérité. Il faut dire que le contexte constitue logiquement un gisement d’opportunités pour le développement du tandem université-entreprise, voire de nouvelles relations science-industrie.
En effet, la crise sanitaire, avec la pandémie du coronavirus et ses ramifications, est venue corroborer davantage l’importance cruciale que revêt la recherche scientifique, et ce pour deux raisons. La première est l’intensification récente du soutien à la recherche avec l’accélération des procédures, particulièrement par les pays développés et émergents.
Toutefois, comme le démontre le récent rapport du Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique, la productivité scientifique, telle qu’elle se manifeste à travers les publications, demeure limitée et dissymétrique et appelle à des stratégies offensives pour en rehausser le niveau et la qualité.
Globalement, 15 défis sont à relever par le Maroc pour donner un renouveau à l’organisation de son système de recherche et insuffler une nouvelle dynamique dans la production de la recherche fondamentale, appliquée et technologique.
Le défi de la pérennisation du cap stratégique et du modèle économique
L’harmonisation de la stratégie de recherche et de la stratégie globale de développement du pays étant aujourd’hui un défi majeur, il devient opportun d’élaborer une feuille de route pour entrevoir les perspectives stratégiques pour le développement de la recherche scientifique nationale et une planification de sa promotion, au moins à l’horizon 2030.
Cette stratégie devrait, non seulement énumérer les grandes thématiques de recherche, mais aussi proposer les mécanismes et les instruments à même de dynamiser la production de la recherche et du savoir et de mobiliser les chercheurs. Il faudrait, également, augmenter et rationaliser le financement.
L’article 49 de la loi cadre 51.17 prévoit le renforcement du Fonds national de soutien à la recherche scientifique créé dès 2001, pour pallier aux insuffisances en financement qui induisent, à leur tour, des déficits en termes d’infrastructure de recherche et de formation des compétences.
Ouvrir les universités sur l’offre de prestation de service en R&D
En raison des limites des ressources de l’État, et de la nécessité pour les universités de rehausser la qualité des formations et de développer la recherche, avec un financement adéquat, il va falloir ouvrir les universités sur l’offre de prestation de service en R&D.
Laquelle offre devra se décliner en termes d’études et d’expertises afin de favoriser le financement des structures de recherche et le développement du lien entre la recherche fondamentale et opérationnelle ainsi que la valorisation de leur potentiel. D’où la nécessité de créer un cadre et des procédures qui facilitent la gestion financière et encouragent les chercheurs, tout en privilégiant la bonne gouvernance, la responsabilisation, la transparence et le contrôle a posteriori.
L’État doit assurer sa mission d’orientation, en orientant la plus grande partie de la recherche vers les besoins du pays, tout en favorisant les initiatives des chercheurs et leur liberté académique, et en liant la recherche aux avancées de la science et du savoir au niveau international.
À cela s’ajoute la nécessité de prendre en considération les particularités des disciplines et leurs besoins, indispensables à leur développement, aux niveaux de la stratégie de recherche, des instruments de financement, des procédures d’appel à projets et des dispositifs d’évaluation (recherche fondamentale, sciences médicales, sciences de l’ingénieur…).
Il y a nécessité d’instaurer une culture de l’initiative, de l’innovation et de l’entrepreneuriat et de la vulgariser pour qu’elle fasse partie de la valorisation de la recherche universitaire. D’où l’accompagnement et l’encouragement, avec financement du rapprochement entre l’université et l’entreprise, en associant le capital-risque, de manière à valoriser les résultats de la recherche et à transférer la technologie.
La refonte du statut des ressources humaines s’impose
Une refonte du statut des ressources humaines s’impose ainsi que celle des référentiels de compétences et des dispositifs de gratification, afin d’attirer et fidéliser les talents nationaux de chercheurs. L’objectif étant de sanctuariser la communauté de ces chercheurs productifs pour rompre avec la règle selon laquelle seule une minorité est active face à une majorité qui ne l’est pas et qui, pourtant, se rejoignent dans le statut, la rétribution et la promotion de carrière.
La nouvelle matrice fondatrice serait celle qui ne considérerait pas l’activité de recherche comme un acquis statutaire même sans aucune production scientifique et sans aucun engagement en encadrement de recherche. Il faudrait, tout en préservant et fidélisant la communauté existante des chercheurs actifs, anticiper pour préparer sa relève tout en les orientant vers les disciplines scientifiques porteuses, émergentes et interdisciplinaires, qui répondent aux besoins de la recherche développement et de la recherche fondamentale.
La faiblesse des communautés scientifiques disciplinaires et le nombre limité des associations de chercheurs reconnus, et ayant une autorité scientifique, est un réel défi pour l’activité de recherche au Maroc et pour sa soutenabilité.
Or, les sociétés savantes sont encore embryonnaires dans le pays, au stade d’associations s’activant, pour la plupart dans l’animation culturelle et scientifique. Un fonds de soutien en faveur de ses entités spécifiques pourra, sans nul doute, les renforcer et les pérenniser.
Imposer la langue anglaise
L’activité de recherche au Maroc semble pâtir, en aval, de la problématique linguistique dans le système d’éducation et d’enseignement. Ainsi, le rapport préconise que la maîtrise de la langue anglaise soit un prérequis pour s’inscrire dans les études doctorales, sans prétendre faire de l’anglais l’unique langue de référence, tout en sachant que la langue arabe peut être aussi la langue de la science.
Mais aussi, implémenter une politique de régionalisation fera émerger des pôles territoriaux d’excellence spécialisés tout en garantissant une complémentarité. Dans la même optique, et même si la période de création de la première génération des Cités d’Innovation est courte, il est opportun d’évaluer cette expérience afin d’apprécier leur apport à faire émerger de véritables pôles d’excellence régionaux spécialisés et complémentaires. Il y a lieu enfin d’initier les jeunes générations, en cours de scolarité, à la recherche et à la culture scientifique dès le jeune âge.
Déficit flagrant d’évaluation
L’autre défi est qu’en 20 ans, une seule évaluation a été menée pour les sciences exactes et une seule pour les sciences humaines et sociales. En effet, non seulement l’évaluation doit être pratiquée selon l’esprit de la loi-cadre, mais elle doit être une véritable culture, seul gage pour garantir une évolution constructive du système de recherche en veillant à son efficacité, en faisant bon usage des ressources, et en se conformant aux orientations tracées et aux objectifs fixés.
Sans compter le plagiat, la complaisance dans l’encadrement des doctorants, l’octroi de thèses sans qualité requise et les conflits d’intérêt… autant de dérives qui menacent et entachent le travail scientifique. Même si ces phénomènes sont marginaux, ils portent atteinte à la communauté des chercheurs.
C’est ainsi que l’université doit être le garant contre ces dérives en créant un environnement qui favorise la recherche, encourage les chercheurs-leaders dans leur travail de recherche et instaure des règles de déontologie académique, des comités et des chartes d’éthiques, connus et auxquels tous les chercheurs doivent se conformer.
Modeste Kouamé / Les Inspirations ÉCO