Éco-Business

Croissance : Où va l’économie marocaine ?

Najib Akesbi : Professeur à l’IAV Hassan II

Le 2e Forum marocain des sciences économiques s’est intéressé à l’état de l’économie marocaine. Déchiffrage en sept points.

Cette année de faible croissance (moins de 1%) est propice à un état des lieux de l’économie du royaume.  C’est le choix de l’Association marocaine des sciences économiques pour son 2e forum, ouvert le 3 juin à Rabat. Najib Akesbi, professeur d’économie à l’Institut agronomique et vétérinaire Hassan II, s’est livré à cet exercice avec, pour grille d’analyse, l’observation des tendances longues de cette économie.

1. Démographie
Le Maroc connaît une transition démographique marquée par une baisse de croissance démographique (2,2%), vieillissement de la population et surtout arrivée massive d’actifs sur le marché de l’emploi (600.000 jeunes/an). Le Maroc ne profite pas de cette «aubaine démographique». Alors que la population active augmente, le taux d’activité est en baisse depuis 2003 (voir graphique). Durant les années 2000, l’économie marocaine a créé, en moyenne, 120.000 emplois. Dès 2008, cette création s’est dégradée à 90.000 emplois/an. Cette situation impacte négativement les régimes des retraites, les caisses de protection sociale et l’épargne. «Nous connaissons désormais les problèmes des pays riches tout en restant un pays économiquement pauvre», commente Akesbi.

2. Ressources naturelles
Les ressources naturelles se dégradent fortement sous la pression de leur exploitation. Les changements climatiques, avec leurs effets sur le secteur agricole, devront peser sur l’économie nationale pour les prochaines années. Les surfaces cultivables sont sous pression. Un actif agricole dispose de 2.3 ha contre 5.2 en Tunisie et 14.1 en Espagne. Le Maroc connaît aussi une forte baisse des eaux disponibles, elles sont passées de 1.185 en 1999 à 700 actuellement. À cela s’ajoutent la désertification, l’érosion et salinisation des sols et la déforestation.

3. Production
«La croissance est globalement molle et aléatoire», constate avec amertume Akesbi. Ceci se traduit sur la structure productive qui est «désespérément stagnante et figée». Le symbole de cette stagnation est la production céréalière qui, en dix ans, a progressé de 1 quintal. Par contre, la part
de l’industrie dans l’économie est
en baisse. «Les structures productives continueront à se
désintégrer dans la chaîne de valeur mondialisée», prévient-il. «Comme dans l’automobile et l’aéronautique, nous sommes en train d’être intégrés dans des maillons mondiaux pour devenir des ateliers d’une chaîne internationale. Les multinationales déterminent ainsi notre sécurité alimentaire et le degré d’industrialisation ou de désindustrialisation».

4. Répartition
L’économie marocaine ne permet pas une répartition de richesses créées. Selon les chiffres du HCP, la répartition de la Valeur ajoutée (VA) reste très favorable au capital contre le travail. Le capital s’offre 64,4% de la VA contre 34,6% pour le travail. «Ces inégalités sociales et territoriales seront de moins en moins acceptables et donc porteuses d’explosions sociales et politiques», alerte cet expert.

5. Ouverture de l’économie
Le taux d’ouverture commerciale du Maroc est passé de 40%, en moyenne au cours de la période 1990-1999, à 51% pendant celle de 2000-2008 et à environ 65% depuis. «Le fait est que cette ouverture, plus subie que voulue, n’a guère produit les effets attendus», analyse Akesbi. Sur près de 20 ans, entre 1995 et 2012, la contribution du solde commercial des Biens & Services à la croissance du PIB a été négative de 0.5 point en moyenne annuelle.

6. Accumulation
L’investissement public dépasse l’investissement privé depuis 2010. Cet effort public ne se traduit pas par une croissance économique, au contraire, il y a déconnexion entre les deux. Durant la période 2002-2012, l’évolution du taux d’investissement public était de 8% alors que la croissance n’a pas dépassé les 2%.

7. Financement
«Le Maroc a un déficit structurel», tonne Akesbi. Cette année, les finances publiques n’ont pas échappé à cette règle, les emprunts nouveaux sont de 70.5 milliards DH, soit 25% des recettes du Budget général de l’État (BGE) Le service de la dette représente 22% des dépenses du BGE (69 MMDH). Par rapport aux 197 MMDH de recettes fiscales attendues : Le service de la dette en représente 35% des recettes fiscales. Akesbi s’inquiète d’une nouvelle crise de la dette : «Chaque 10 ou 20 ans, nous connaissons une crise financière avec son lot de cures d’austérité et interventions du FMI». La dette publique a atteint 82% du PIB. 


 

Najib Akesbi
Professeur à l’IAV Hassan II

L’économie marocaine connaît des problèmes structurels depuis une très longue période. En 2016, l’économie marocaine offre une image guère reluisante : taille modeste (0,14% du PIB mondial), croissance faible et volatile (moins de 4% en moyenne au cours des vingt dernières années), déficits internes et externes (déficit commercial de près de 20% du PIB, déficit budgétaire supérieur à 3%), chômage, pauvreté et endettement. Cet état de fait est le produit de choix fondateurs et cinquantenaires : économie de marché et intégration à l’économie nationale. L’économie marocaine peut survivre dans ces conditions. Mais est-ce que pour autant nous serons maîtres de notre destinée ? Nous sommes déjà consommateurs et nous serons appelés à le devenir davantage. Les mêmes causes continueront à produire les mêmes effets. Les problèmes sont devant nous. Pour ces raisons, il faudra changer de cap. Concrètement, il faut changer les choix lourds, qui durent depuis cinquante ans. Une économie de marché qui n’en est pas une, le secteur privé qui ne marche qu’avec les béquilles de l’État, une ouverture sur l’extérieur qui plombe nos choix économiques, voilà ce qu’il faut bien remuer, sans passer du noir au blanc, bien sûr. Enfin, au-delà des choix en termes de stratégies économiques, le cœur du problème est politique. La reddition des comptes, la gouvernance et l’évaluation doivent permettre la correction de ces choix s’ils s’avèrent contre-productifs.


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