Capital humain : un nouveau contrat

À l’heure où les jeunes générations redessinent les contours du monde professionnel, les entreprises marocaines font face à un défi majeur: réinventer leur relation aux talents. Attentes accrues en matière de sens, quête de flexibilité, valorisation de la culture d’entreprise…, les DRH doivent désormais composer avec un paradigme en pleine mutation, dans un marché globalisé et hautement concurrentiel. Organisé par le groupe Horizon Press dans le cadre de son cycle Le Cercle des ÉCO, un débat riche sur la thématique «Capital humain : les secrets des best employers» a permis une analyse croisée de dirigeants RH qui dessinent les contours d’une nouvelle ère du travail. Principaux enseignements.
Dans un Maroc en pleine transformation socio-économique, les ressources humaines s’imposent comme un levier stratégique central pour les entreprises soucieuses d’attirer, de fidéliser et de faire évoluer leurs talents. À l’heure où les attentes des jeunes diplômés et des collaborateurs évoluent, entre quête de sens, besoin d’autonomie et aspirations à une meilleure qualité de vie, les DRH doivent repenser leurs pratiques et leur positionnement. Pour comprendre les dynamiques profondes qui traversent aujourd’hui la fonction RH, le groupe Horizon Press a organisé un débat sur la question dans le cadre de son cycle Le Cercle des ÉCO.
La thématique choisie est parlante à plus d’un titre : «Capital humain : les secrets des best employers». Y étaient conviés Raouia Zaroual, directrice Capital humain chez Les Eaux minérales d’Oulmès, Fedoua Ikkez, directrice des Ressources humaines à Ciments du Maroc, Yasmine Joutel, finance director Northern & Western Africa à JTI, Rachid Bakkar, directeur des Ressources humaines à inwi et Mourad El Gour, directeur du Capital humain Afrique – Teleperformance.
Ce qui en ressort, c’est que dans un monde du travail en pleine mutation, les entreprises marocaines sont appelées à repenser leur approche RH pour attirer, engager et fidéliser des talents issus de nouvelles générations aux attentes profondément renouvelées.
Ce bouleversement, porté par des évolutions sociétales, technologiques et économiques, impose une transformation structurelle de la gestion du capital humain.
Rachid Bakkar, directeur des Ressources humaines à inwi dresse un constat clair : « Aujourd’hui, le monde a changé et, encore plus, le marché de l’emploi. Les nouvelles générations arrivent avec des aspirations différentes, dans un monde encore incertain, et où tout va très vite», résume-t-il.
Autant dire que nous assistons à la fin d’un modèle où l’entreprise était perçue comme un havre de stabilité à long terme. Désormais, les jeunes professionnels envisagent leur parcours en termes d’expériences successives, et non de carrière linéaire. Cette donne du marché s’inscrit dans un contexte de guerre des talents à l’échelle mondiale. «On est en concurrence avec l’Europe, l’Amérique du Nord, l’Afrique… Ce n’est plus un marché marocain, c’est un marché global des compétences», ajoute-t-il.
Attirer, c’est bien. Retenir, c’est mieux !
Fedoua Ikkez, DRH de Ciments du Maroc, insiste sur l’importance de définir un noyau dur de collaborateurs clés. Pour elle, «on ne peut pas retenir tout le monde. Il faut se concentrer sur les key people dans les key positions».
Dans un marché «qui tire», la fidélisation devient stratégique, et elle repose autant sur la culture d’entreprise que sur la pertinence des leviers d’engagement. La marque employeur ne doit pas se limiter à une vitrine externe.
«Ce qui fait la différence aujourd’hui, ce sont la culture et les valeurs. C’est notre essence», affirme l’experte RH.
Un point que reflète l’esprit de solidarité fort au sein de Ciments du Maroc, renforcé par une transition vers une industrie durable, un axe attractif pour les jeunes générations sensibles aux enjeux environnementaux. Chez Teleperformance, Mourad El Gour, directeur du capital humain pour l’Afrique, rappelle que les leviers traditionnels (statut social, sécurité de l’emploi…) ne suffisent plus.
«Aujourd’hui, les jeunes cherchent un lien émotionnel et symbolique avec l’entreprise», déclare celui qui cite Maslow pour illustrer la montée en complexité des attentes : «Une fois les besoins primaires satisfaits, place à la quête de sens et de fierté.» Cela implique un management participatif, une communication fluide et une politique RH ouverte. «Nous organisons des brainstormings, des échanges réguliers avec les collaborateurs. C’est en les rendant acteurs que l’on crée un sentiment d’appartenance», illustre-t-il.
Le sens comme moteur d’engagement
Raouia Zaroual, DRH des Eaux Minérales d’Oulmès, partage cette lecture d’une génération en quête de cohérence et d’impact. Pour elle, les collaborateurs veulent aujourd’hui un travail qui fait sens, dans une entreprise ancrée localement et ayant un impact positif. Elle souligne aussi l’importance de la confiance mutuelle, à tous les niveaux de l’organisation.
«Ce besoin de sens et de confiance n’est pas réservé au management. Il est présent chez les opérationnels aussi», observe-t-elle.
Yasmine Joutel, finance director pour Northern & Western Africa chez JTI, insiste de son côté sur les attentes spécifiques des générations montantes qui ont besoin de flexibilité, d’une vision claire et ambitieuse, ainsi que d’un vrai moteur interne.
Chez JTI, cela se traduit par une culture imprégnée de l’héritage japonais et d’un modèle de gouvernance intégré appelé 4S (Stakeholders, Consumers, Employees, Society), mettant l’employé au même niveau que le client et l’actionnaire. La communication interne devient alors un outil stratégique.
«Nos collaborateurs sont nos ambassadeurs. On mise sur la transparence et l’implication», témoigne-t-elle.
Au fil des témoignages, un consensus se dessine. La gestion du capital humain ne peut plus être pensée uniquement en termes de productivité ou de rétention. Elle doit devenir un projet de société au sein même de l’entreprise. Le métier RH se transforme ainsi en architecte du lien humain dans un monde du travail en perpétuelle redéfinition.
Rachid Bakkar
Directeur des Ressources humaines, inwi
«Les collaborateurs ne font plus carrière. Ils font des parcours. Il faut l’accepter, le comprendre et adapter nos modèles pour conserver les compétences clés, même temporairement.»
Fedoua Ikkez
Directrice des Ressources humaines, Ciments du Maroc
«Attirer les talents est essentiel, mais notre véritable ambition est aussi de les fidéliser sur le long terme. Cela passe par une démarche structurée d’identification des postes clés, afin de construire une cartographie précise des rôles stratégiques, de mieux accompagner les parcours et de sécuriser nos compétences critiques.»
Mourad El Gour
Directeur du Capital humain Afrique – Teleperformance
«Les jeunes générations ne recherchent plus uniquement un emploi, mais une connexion. Le lien avec l’entreprise devient un levier d’appartenance, de fierté, et, in fine, de performance.»
Raouia Zaroual
Directrice Capital humain, Les Eaux minérales d’Oulmès
«Les collaborateurs sont en quête de sens et de confiance. Plus l’entreprise a un impact positif sur son environnement, plus elle fédère autour d’elle une communauté engagée.»
Yasmine Joutel
Finance director Northern & Western Africa, JTI
«Chez JTI, l’employé a autant d’importance que le client ou l’actionnaire. C’est un pilier de notre modèle 4S, qui place l’humain au cœur de notre stratégie.»
Turnover : un indicateur sous tension
Le turnover est devenu une préoccupation centrale pour les DRH marocains, en particulier dans les secteurs techniques et fortement concurrentiels. Loin d’être un simple chiffre, il révèle l’intensité des dynamiques de marché, les attentes générationnelles et la robustesse des politiques RH.
Fedoua Ikkez, aujourd’hui DRH à Ciments du Maroc, évoque une précédente expérience marquante dans une entreprise d’ingénierie automobile. «Le turnover faisait très mal. Les profils étaient jeunes, très sollicités au Maroc comme en Europe, et la montée en compétence était longue. C’était une double peine: il fallait recruter, intégrer, former… et au bout de deux ans, ils partaient», témoigne-t-elle.
Selon elle, il ne s’agit pas de supprimer le turnover, ce qui est irréaliste, mais bien de le maîtriser. «Ce qu’on attend de nous, DRH, c’est d’aider à le contenir. Et cela passe par tous les leviers de rétention disponibles. Car oui, le turnover coûte cher». Un constat partagé par Mourad El Gour, directeur du capital humain Afrique chez Teleperformance, qui insiste sur l’investissement que représente chaque recrue.
«Ce n’est pas juste une question d’argent. Former un collaborateur, c’est du temps, de l’énergie, de l’engagement. Quand on le perd, c’est tout un équilibre qui est mis à mal», souligne-t-il, Pour anticiper les départs et renforcer l’ancrage, Teleperformance mise sur l’innovation RH.
«On a digitalisé l’onboarding pour créer un lien dès la signature du contrat», indique-t-il. Dès que la personne est recrutée, elle reçoit ses identifiants, accède à des contenus métiers… Le lien démarre avant même son arrivée physique. Ces nouvelles approches reflètent une tendance : le turnover ne se subit plus, il se travaille.
être «Best employer» au Maroc
Les labels internationaux tels que Best Employer ou Great place to work font désormais partie du paysage RH au Maroc. Mais dans quelle mesure ces concepts, souvent importés, trouvent-ils un véritable écho dans la réalité marocaine? La réponse est nuancée. Si l’universalité de certaines bonnes pratiques ne fait pas débat, leur déclinaison sur le terrain doit s’inscrire dans une lecture fine du contexte sociétal et culturel local.
«On le fait sans s’en rendre compte», avance Rachid Bakkar, directeur des Ressources humaines chez inwi.
Lorsqu’une entreprise est qualifiée de Best employer au Maroc, c’est toujours par rapport à son environnement. L’adaptation est donc déjà là, même si elle n’est pas toujours théorisée. Il cite l’exemple des horaires de travail durant le Ramadan ou celui de la prime de l’Aïd, des pratiques profondément enracinées dans le tissu social local, mais rarement codifiées dans les référentiels internationaux. Il insiste aussi sur l’importance d’éviter toute transposition mécanique de modèles étrangers, même performants.
Yasmine Joutel, finance director Northern & Western Africa chez JTI, abonde dans le même sens en relatant son expérience entre Genève et Casablanca. «Je me sens dans la même entreprise», dit-elle. L’équilibre semble se faire naturellement entre un socle de culture d’entreprise globalisé et des pratiques managériales qui tiennent compte des spécificités marocaines.
Pour Raouia Zaroual, directrice Capital humain chez Les Eaux minérales d’Oulmès, les labels RH viennent avant tout challenger des bonnes pratiques qui sont, dans leur essence, transposables au-delà des frontières : diversité, inclusion, équité, durabilité… Mais elle reconnaît que l’évaluation de ces pratiques reste contextuelle.
Ilyas Bellarbi / Les Inspirations ÉCO