Bourse de Casablanca : les IPO, une espèce en voie d’extinction ?
L’introduction en Bourse de CMGP Group, seule opération de l’année, remet à l’ordre du jour une question récurrente sur le marché depuis la crise de 2008 : pourquoi les IPO s’y font-elles aussi rares ?
À croire que décembre est le mois de prédilection des introductions en bourse. CMGP Group, à l’instar de CFG Bank (2023), Akdital (2022) ou encore TGCC (2021), confirme cette petite manie des émetteurs de choisir la fin d’année pour entrer en scène. Quoi qu’il en soit, décembre semble réunir toutes les conditions pour séduire les marchés, et visiblement, personne ne s’en plaint. Mais au-delà de ce timing soigneusement calibré, une question persiste : où sont passées les IPO le reste de l’année ? À vrai dire, il s’agit là avant tout d’une tendance structurelle.
Entre 2000 et 2024, la Bourse de Casablanca a enregistré 52 introductions pour un montant total de 37 milliards de dirhams. En moyenne, seulement 2,3 IPO sont réalisées par an. Parmi elles, 25 introductions concentrées sur trois ans (entre 2006 et 2008). Passé cet épisode d’années fastes qui ont suivi l’introduction en bourse d’Itissalat Al Maghrib (2004), le rythme chute à une moyenne d’à peine 1,4 IPO par an, révélant une capacité limitée à maintenir un flux continu d’opérations.
Cette fragilité se manifeste également à travers le phénomène des radiations, qui concerne 28 sociétés sur la même période, selon la revue du marché des capitaux publiée par l’AMMC. Les montants levés n’ont pourtant rien d’insignifiant. Avec 36 milliards de dirhams mobilisés – hors l’IPO de CMGP Group -, dont 26 milliards issus de cessions et 10 milliards de levées de fonds, la Bourse de Casablanca démontre son potentiel pour attirer des opérations significatives.
L’introduction d’Itissalat Al-Maghrib, ayant généré à elle seule 8,9 milliards de dirhams en 2004, demeure l’exemple le plus marquant. Mais ces chiffres révèlent également la prédominance des cessions de titres, souvent perçues comme un levier de monétisation pour les actionnaires existants, au détriment des levées destinées à financer la croissance.
La concentration sectorielle accentue ce déséquilibre. Dominée par les banques, l’immobilier et les télécommunications, la cote offre peu de diversification, ce qui limite son attrait pour les investisseurs. À cela s’ajoute un manque d’incitations fiscales et une liquidité souvent jugée insuffisante pour encourager l’entrée des PME, pourtant essentielles à la vitalité des marchés émergents.
Facteurs structurels
L’introduction récente de CMGP Group, unique IPO de l’année, peut être perçue comme un signal encourageant. Elle témoigne d’un potentiel encore intact, mais largement inexploité. Pourtant, ce manque de dynamisme trouve ses origines dans plusieurs phénomènes structurels qui freinent l’attractivité de la bourse. Le principal frein reste la concurrence aux financements classiques. L’accès au capital constitue, certes, la première motivation pour une entreprise à envisager une IPO, mais les solutions bancaires, plus rapides et moins exigeantes en termes administratifs, sont souvent privilégiées.
«Une introduction en bourse nécessite des efforts soutenus en communication financière et une transparence accrue, là où un simple accord bancaire peut suffire», explique un expert.
Ce choix s’avère davantage un problème de perception puisque la bourse est, de facto, un levier pour diversifier les sources de financement et accéder à des capitaux souvent inaccessibles par les canaux bancaires traditionnels. Les entreprises, notamment familiales, privilégient encore des solutions comme le private equity, qui leur propose des financements adaptés, exempts d’obligation de transparence. Par ailleurs, le désengagement des investisseurs étrangers pèse lourdement sur la dynamique du marché.
«Les investisseurs étrangers se font de plus en plus rares depuis le déclassement de la place du MSCI Emerging Market au MSCI Frontier Market», analyse Farid Mezouar, directeur exécutif de FL Markets.
Ce changement a réduit la visibilité internationale de la Bourse de Casablanca, tout en limitant l’afflux de capitaux nécessaires à son dynamisme. À cela s’ajoute une autre dynamique en perte de vitesse, à savoir les privatisations engagées par l’État qui ont progressivement laissé place à un vide. Les «champions nationaux» se font plus rares, et les conséquences se font sentir sur les marchés. Ceci dit, le faible attrait de la bourse ne s’explique pas uniquement par des facteurs structurels ou financiers. Une dimension culturelle vient également peser dans la balance.
«La culture de l’ouverture du capital reste peu ancrée dans le tissu entrepreneurial marocain», souligne Farid Mezouar.
En effet, de nombreuses entreprises, souvent familiales, hésitent à franchir le cap de la cotation, par crainte de perdre le contrôle ou de devoir se conformer aux exigences accrues de transparence. Ce poids des traditions, couplé à une méfiance envers les institutions boursières, contribue à freiner l’élan nécessaire pour alimenter un flux régulier d’introductions. Si le nombre d’introductions reste un baromètre important de la vitalité du marché, il faut dire que la confiance des investisseurs se construit davantage autour des performances et de la qualité des entreprises cotées. Ce sont là les fondamentaux qui forgent la notoriété d’une place.
CMGP Group: 1,1 milliard pour un marché en quête de souffle
À partir du 16 décembre 2024, CMGP Group, spécialisé dans l’agroéquipement et l’agrofourniture, rejoint la Bourse de Casablanca avec une levée de 1,1 milliard de dirhams. Cette opération, qui associe l’émission de 1,5 million de nouvelles actions à la cession de 4 millions de titres existants au prix fixe de 200 dirhams, ambitionne de soutenir des projets stratégiques dans les énergies renouvelables et la gestion de l’eau.
Parmi les initiatives phares, l’usine d’engrais de Jorf Lasfar reflète les objectifs du groupe, qui projette une croissance annuelle moyenne de 9,9% de son chiffre d’affaires d’ici à 2030. Au-delà des ambitions affichées, cette introduction met en lumière les limites d’un marché où les IPO font de plus en plus figure d’exception.
Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO