Banques. Une réussite qui dérange ?
Le secteur bancaire a connu, ces dernières années, une forte croissance et des changements structurels importants. Pourtant, les banques de la place ont été taclées sur la faible qualité de leurs actifs et le manque de fonds propres qui pèsent sur la viabilité. Leur exposition sur le continent a également été mise en cause. Les réactions ne se sont pas fait attendre.
Pour la deuxième année consécutive, l’agence Fitch tacle le secteur bancaire marocain sur la faible qualité des actifs, la concentration des crédits et l’insuffisance de fonds propres qui continueraient, selon elle, de peser lourdement sur la viabilité des banques marocaines. L’agence estimait dans son rapport que le taux moyen de 10% affecté à l’encours des créances douteuses au Maroc ne correspond pas à la réalité. Elle pense qu’une analyse plus rigoureuse et mieux renseignée du volume des créances douteuses révélerait un niveau plus élevé. Fitch estime par ailleurs que la situation pourrait être pire, puisque la robustesse des modèles de dépréciation des prêts utilisés sous la norme IFRS 9 doit encore être testée. À fin juin 2018, les provisions couvraient en moyenne 83% des prêts douteux des sept plus grandes banques, contre 73% à fin 2017.
Résilience confirmée
Le risque lié aux actifs serait également exacerbé par le risque élevé de concentration. Pour focaliser l’attention sur la vulnérabilité du secteur, Fitch ajoute qu’elle n’aurait pas maintenu sa note si les banques ne pouvaient pas compter sur le soutien de l’État. La réponse de la Banque centrale n’a s’est pas fait attendre. Le wali de Bank Al-Maghrib, Abdellatif Jouahri, aurait même adressé une lettre à l’agence pour répondre argument par argument. Selon lui, Fitch s’inscrit en contradiction avec les autres agences de notation et institutions internationales sur les chiffres du secteur bancaire marocain. Il soutient: «Nous maintenons notre position, nous ne sommes pas une Banque centrale bananière et ils le savent». S’il est vrai que le secteur bancaire marocain peut receler certains risques tels que le ralentissement du crédit, la forte concurrence qui écrase les marges, les difficultés de certains secteurs comme la promotion immobilière ou encore les volumes importants de dations en paiement pas forcément comptabilisées aux prix du marché, il n’en demeure pas moins que sa résilience et son niveau de développement sont confirmés par les institutions internationales qui comptent, à l’instar du FMI et de la Banque mondiale. Celles-ci ne manquent d’ailleurs pas de donner le secteur bancaire marocain en exemple dans la région et dans le continent. Ce n’est pas l’avis de Fitch, qui juge que les risques seraient encore plus importants, pour des banques marocaines en phase d’expansion dans les autres pays africains, en raison de la faible régulation bancaire sur les marchés où sont implantées leurs filiales. Même son de cloche auprès de CDG Capital, qui révèle que les banques des Pays d’implantation des banques marocaines en Afrique (PIBMA) se démarquent, certes, par rapport aux autres banques à l’échelle internationale en termes de rentabilité. Seulement, celle-ci serait atténuée par une structure de coûts élevés et des créances en souffrance en hausse. Les analystes estiment qu’à court terme, les revenus des banques des PIBMA devraient être sous pression.
«Les revenus des banques sont marqués par une baisse graduelle de la contribution de la marge d’intérêt, qui devrait se développer à un rythme plus lent par rapport aux cinq dernières années, compte tenu de la tendance baissière des taux débiteurs et de la décélération de la distribution des crédits avec l’entrée en vigueur, en janvier 2018, de Bâle II & III», soulignent-ils.
Le durcissement des règles prudentielles devrait avoir un impact sur les bénéfices des banques africaines. L’adoption du ratio de couverture des liquidités (LCR) risque de freiner les rendements des actifs, tandis que le ratio de financement net stable (NSFR) pourrait faire grimper les coûts de financement pour les banques. De leur côté, les banques marocaines réfutent les conclusions des deux établissements. Les groupes bancaires estiment adopter une politique très prudente en termes de provisions. Certains anticipent même les changements réglementaires en disposant d’un matelas confortable leur permettant de faire face aux changements de normes de réglementation. Lors de la dernière présentation des résultats de la Banque Centrale Populaire, le PDG du groupe, Mohamed Karim Mounir, s’indigne. «Nous ne savons pas comment ils ont fait pour obtenir ces calculs. Les chiffres de CDG Capital sont erronés puisqu’ils n’ont pas intégré un certain nombre d’augmentations de capital que nous avons opérées en fin d’année sur quelques filiales africaines», explique-t-il.
Selon lui, sa banque est conforme aux ratios réglementaires, que ce soit localement, au niveau de ses filiales, ou globalement, au niveau du groupe. «Considérée comme une banque systémique, la Banque centrale exige de nous une certaine rigueur par rapport à certains ratios», conclut-il.
Idem pour Mohamed El Kettani, qui défendait les performances de son groupe lors de la présentation des résultats. Selon lui, les conclusions de Fitch ne refl ètent pas la réalité du secteur. Concernant les ratios de CDG Capital, le PDG du groupe «ne se reconnaît pas du tout dans ces chiffres». Pour lui, l’explication serait toute simple: l’expansion réussie des banques sur le continent en a dérangés plus d’un, et donne lieu à pareilles conclusions subjectives.
Fitch. Une sanction record
L’agence de notation américaine Fitch vient d’écoper d’une sanction record pour confl it d’intérêt. En effet, le gendarme européen des marchés fi nanciers (ESMA) a annoncé jeudi avoir condamné l’agence de notation à 5,1 millions d’euros d’amendes pour avoir noté des sociétés au sein desquelles son ancien actionnaire, Marc Ladreit de Lacharrière, siégeait en Conseil d’administration. Karma ou pas? L’agence de notation s’acharne à faire mauvaise presse au secteur bancaire.