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Adil Bennani était l’invité des ECO, le grand récap’ (VIDEOS)

Le représentant exclusif de Mercedes-Benz au Maroc livre sa vision sur le développement du marché automobile mondial ainsi que ses prévisions pour une éventuelle sortie de crise. Par ailleurs, Adil Bennani ne cache pas son souhait de voir de nouveaux constructeurs automobiles intégrer le paysage national, en l’occurrence  Mercedes-Benz.

Quelle a été l’ampleur de l’impact des crises consécutives (Covid, semi-conducteurs et guerre en Ukraine) sur le secteur de l’automobile ?
Depuis quelques années, le secteur automobile connaît plusieurs soubresauts, au même titre que d’autres secteurs. La dernière secousse importante qui a impacté l’automobile mondiale remonte à 2009 avec les subprimes, où la demande et la production avaient atteint leur niveau le plus bas, qui demeure le plus bas historique. Ensuite, jusqu’en 2019, la production mondiale a connu une croissance importante qui a dépassé les soixante-dix millions de véhicules par an. Une fois la crise Covid déclenchée en 2020, l’impact était tel que nous sommes revenus aux niveaux de 2009. La production mondiale a perdu subitement 20 % de sa croissance. Il a donc fallu que le monde se réorganise. Du jour au lendemain, nous sommes entrés en mode confinement, nous avons arrêté de travailler, les showrooms et les ateliers ont été fermés, la production s’est arrêtée… Fort heureusement, l’activité a repris vers la fin de l’année. 2020 restera une année noire dans le monde de l’automobile.

Pour 2021, bien qu’il y eût de la demande, les effets de la crise sanitaire ont déréglé plusieurs aspects du marché. Il y a eu, d’abord, la problématique des semi-conducteurs, qui sont les petits composants qu’on trouve de plus en plus dans les équipements électroniques. Il faut noter dans ce sens que ce marché est estimé à environ 630 millions de dollars, dont 70 % de la production se fait à Taïwan, 20 % en Corée et puis 10 % dans d’autres pays. Au moment où les constructeurs automobiles étaient en crise et n’avaient pas de visibilité sur la reprise de leur marché et la cadence de production à suivre, d’autres acteurs mondiaux de l’électronique (téléphonie, ordinateurs, PC…), étant très sollicités pendant la crise, ont passé leurs commandes fermes en semi-conducteurs pour des durées qui dépassent les trois ans. À noter dans ce sens que l’automobile, c’est à peine 20 % de la production mondiale des semi-conducteurs. Ceci au moment où les distributeurs se posaient aussi des questions existentielles sur la reprise ou pas de la demande et donc sur la quantité de véhicules qu’ils devaient commander chez les constructeurs. Faisant face à un flou total, ces derniers ne pouvaient pas s’engager sur des quantités importantes.

Quid de la chaîne logistique ?
À côté de ce problème de fond, il y eut aussi la chaîne logistique qui a été complètement chamboulée. Un semi-conducteur prenait quatre à cinq jours pour être livré au constructeur automobile, avec la crise sanitaire, le délai de livraison atteint 21 à 22 semaines, car les vagues du Covid-19 ne cessaient de se succéder. Avec les fermetures puis les ouvertures des usines de semi-conducteurs, les usines des constructeurs étaient aussi chamboulées pour les mêmes raisons. Sauf que cela ne se passait pas au même moment, ce qui rendait la tâche encore plus délicate.
Comment les constructeurs mondiaux se sont ils adaptés ?
Quoi qu’il en soit, 2021 se termine sur une note meilleure que l’année d’avant, mais moins bonne que 2019. À ce moment-là, les constructeurs automobiles se sont rendu compte qu’ils devraient impérativement revoir leurs stratégies d’approvisionnement, mais aussi celle de vente. C’est là où la digitalisation démarre. Ayant moins de volumes de production, les constructeurs se doivent de générer du résultat, en utilisation leurs stocks disponibles de semi-conducteurs dans les modèles et marques qui leur rapportent le plus. De ce fait, si le distributeur automobile veut avoir des véhicules haut de gamme, il doit attendre quatre mois. Pour l’entrée de gamme, il devrait patienter un minimum d’un an pour se faire livrer.
En outre, 2022 allait démarrer sur une note positive, il était question de revenir à la normale et puis surtout rattraper le temps perdu. Toutefois, la guerre en Ukraine a engendré d’autres nouvelles problématiques. D’abord, un problème au niveau de l’énergie avec la flambée du carburant, qui a impacté le secteur du transport. Mais pas seulement, le marché des semi-conducteurs, lui-même, a subi un choc, car deux composantes importantes sont nécessaires à la production de semi-conducteurs, le néon et le palladium. L’Ukraine assure 70% de l’approvisionnement mondial du néon et la Russie est un fournisseur important du palladium. Du coup, le retard de fourniture de semi-conducteurs est devenu plus important en 2022 et il ne fera que s’accentuer en 2023. Et comme les volumes ne peuvent toujours pas assurer les niveaux de rentabilité d’avant-crise, en sus de l’inflation intrinsèque du constructeur qui doit assurer ses marges, et l’inflation des matières premières, les prix des véhicules sont encore plus chers.

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La situation actuelle arrange les constructeurs automobiles. Avec peu de volumes, ils font des marges énormes…
C’est la loi de l’offre et la demande. La rareté a créé l’inflation, si les coûts augmentent de 5%, le constructeur peut relever ses prix de 5% aussi, voire 6%, sans aucun effet sur le client final. Nous sommes dans une configuration dans laquelle, à côté des raisons structurelles, d’augmentation de prix des matériaux, il y a un alpha que les opérateurs des différents secteurs appliquent pour assurer leurs marges. Car il y a une telle fluctuation qu’ils n’ont plus de visibilité sur les marges qu’ils peuvent assurer dans le court terme. Je note que les couvertures ne sont pas possibles dans le marché automobile lorsqu’on voit le yo-yo des monnaies depuis la crise Covid, et même maintenant. Plus encore, aujourd’hui des plans de développement qui s’étalent sur trois-quatre ans, c’est plus possible, le secteur manage au trimestre, et encore ! La crise nous a imposé à tous d’adopter une certaine agilité.

L’avenir de l’automobile est-il incertain ?

Je pense que l’humanité aura toujours besoin de se déplacer. Maintenant, comment elle se déplacera, c’est là où on observe des changements de fond. Nos enfants n’ont pas cette volonté que nous avions de passer le permis de conduire. Toutefois, leur volonté de se mouvoir est supérieure à la nôtre à leur âge. Mais les moyens sont différents. Les applications de mobilité ont fleuri.

Les citoyens peuvent se déplacer facilement à n’importe quel moment et à n’importe quel endroit. Cette facilité n’est pas accessible dans tous les pays, mais c’est en train d’arriver progressivement. À côté de cela, il y a un changement de paradigme en termes de respect de l’environnement, qui, d’une année à l’autre, se confirme. Cela pousse les gouvernements à instaurer des réglementations qui restreignent la mobilité polluante. En tout cas, pour se déplacer, nous aurons toujours besoin d’un véhicule. La question qui se pose, c’est quel type de véhicule, quel type d’énergie et quel type de puissance ? Sur les cinq à dix prochaines années, le paysage changera autant qu’il a changé durant les 50 dernières années. C’est maintenant que les constructeurs revoient leur vision de la mobilité du futur. Cela implique une adaptation des circuits de distribution. Pour leur part, les distributeurs sont justement engagés dans cette réflexion et se préparent à cette révolution.

Qu’en est-il de la situation des stocks au niveau international ?
La logique du marché automobile a changé. La production se faisait à pleine capacité, les véhicules non écoulés étaient stockés pour une vente ultérieure. À part les constructeurs japonais qui produisent selon le carnet de commandes de leurs distributeurs, les Européens et les Américains avaient l’habitude de faire des stocks. Aujourd’hui, sous la pression des composants, les choses ont changé. Le constructeur ne pousse plus le distributeur à faire plus. Les rapports ont également changé, c’est le distributeur qui demande au constructeur de lui fournir davantage de véhicules. Plus encore, de nouvelles conditions rentrent désormais en jeu, notamment la négociation des prix, chose qui n’existait pas avant. Est-ce qu’on va revenir à la situation d’avant-crise ? Cela dépendra des constructeurs. Je pense qu’aujourd’hui, ils ont tous expérimenté qu’en produisant moins, ils pouvaient se concentrer sur des produits ayant plus de valeur et donc gagner encore plus, sans pour autant brader les prix.

Et si la crise des semi-conducteurs se dissipe ?
Les constructeurs des semi-conducteurs ont tous lancé des extensions de capacités. Mais dans ce secteur, une extension de l’activité prend entre un an et demi et deux à se mettre en place, contrairement à d’autres secteurs, donc ça prend du temps. Et même avec une abondance des semi-conducteurs sur le marché mondial, est-ce que les constructeurs vont suivre et produire plus ? Personne ne le sait. Cela dépendra de la stratégie de chaque constructeur. Ce qui est certain, c’est qu’ils sont tous montés en gamme dans leurs produits et ont réduit les versions disponibles sur leurs modèles. Chez Mercedes, on monte en gamme et, pour y rester, c’est un changement stratégique, structurel, avec beaucoup d’implication.

L’industrie automobile est devenu le fer de lance de l’économie marocaine. Comment mieux la développer ?
Il se trouve qu’aujourd’hui le Maroc est une importante plateforme de production pour des constructeurs internationaux, dont la grande majorité est destinée à l’export. Ces derniers ont trouvé dans le Maroc une terre d’accueil favorable, pour produire à des coûts plus intéressants, avec une flexibilité importante, et des connectivités efficaces et compétitives, dans un bassin de demande important. Maintenant, afin que l’industrie automobile nationale se développe davantage, il faudrait que la demande augmente encore plus au niveau de ce bassin. Si demain, l’Europe, qui est le territoire de prédilection de l’export automobile national, vend plus, il faudra alors produire davantage.

Le Maroc sera ainsi le premier pays à profiter de cette demande. Il faut dire que le Maroc a mis en place les lois, les accords de libre-échange, les dispositifs d’accompagnement au niveau du foncier, de l’énergie, de la formation ainsi que les ressources humaines. Ces aspects représentent l’ensemble des cases qu’un constructeur doit cocher avant de décider d’installer sa production dans un pays donné. Toutefois, même en ayant ces atouts, si le pays d’accueil n’a pas de débouchés pour écouler les véhicules produits sur son territoire, y installer une production ne servira pas les intérêts du constructeur. A vrai dire, dans un contexte d’instabilité de la demande mondiale, les constructeurs y réfléchissent à deux fois avant d’étendre leur capacité de production. En tout cas, ce qui est intéressant de noter, c’est que la stabilité économique et politique d’un pays est un facteur fondamental dans la prise de décision d’un constructeur. Ce qui se passe en Ukraine a fait que le secteur du câblage a changé la direction de sa production vers le Maroc. En somme, l’équation est simple chez les constructeurs.

Pour s’installer dans un pays, de deux choses l’une: soit le pays lui-même est un gros demandeur de véhicules, comme le Brésil, donc le constructeur s’y installe pour répondre à 100% à la demande locale ; soit le pays n’est pas fortement demandeur en interne, mais les pays de son bassin environnant le sont et là aussi le constructeur y trouve de l’intérêt. C’est la stratégie qu’a suivie le Maroc il y a une quarantaine d’années et elle a bien fonctionné. Aujourd’hui, le pays a pris un nouveau virage, celui de la décarbonation de la production qui est un sujet cher aux constructeurs.

Quid de Mercedes, le constructeur pourrait-il s’installer un jour au Maroc ?
Je suis un des VRP les plus actifs pour le Maroc et je rêverais de voir un troisième et un quatrième constructeur venir s’installer au Maroc, et je ferai tout ce qui est de mon ressort pour y parvenir. Mais il faut dire que les processus sont longs, et il y a aussi ce besoin d’aligner plusieurs éléments favorables à un instant donné. A ce moment-là, il faut être capable de saisir l’occasion et de foncer. C’est ce que le Maroc avait fait, et, aujourd’hui, c’est une réussite dont nous sommes fiers, en tout cas le meilleur est à venir. Mais ce qui est clair c’est avec 700 voire 800.000 véhicules produits au Maroc, on frôle le million. Et c’est à partir de ce seuil que le Maroc entrera effectivement dans la cour des grands. Ça ne saurait tarder (ndlr: Stellantis a justement annoncé le doublement de sa capacité de production dans le Royaume).

Bio Express

Agé de 49 ans, Adil Bennani est marié, père de trois enfants, et diplômé de Paris Business School et de Sorbonne. Il est actuellement directeur général d’Auto Nejma, et président de l’AIVAM (Association des importateurs des véhicules au Maroc). Bennani a démarré sa carrière dans l’édition professionnelle en France, à Paris, pendant six ans, avant d’être appelé pour prendre des fonctions au Maroc dans le secteur automobile. Après une vingtaine d’années chez Toyota, il rejoint Auto Nejma pour donner une nouvelle impulsion au groupe qui est en activité depuis plus de 60 ans, et qui aujourd’hui représente la marque premium Mercedes. En parallèle à ce parcours dans le secteur automobile, Adil Bennani a toujours agi dans le monde associatif, notamment dans l’AIVAM, pour laquelle il assure la présidence depuis plus de cinq ans.

Sanae Raqui & Moulay Ahmed Belghiti / Les Inspirations ÉCO


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