Abdoul Kane : “Le programme économique rythme le quotidien des institutions sous-régionales”
Selon Abdoul Kane, expert et consultant en intégration régionale, les institutions sous-régionales, ainsi que les banques et fonds de développement, jouent un rôle économique essentiel. Dans cette interview, l’expert cartographie ces institutions et parle de leur utilité.
Pouvez-vous nous faire une brève cartographie des organisations sous-régionales en Afrique ?
Quand on regarde la typologie des organisations sous-régionales en Afrique, on note trois types d’institutions. Les premières sont celles appelées Communautés économiques régionales (CER). De facto, ces CER sont nées de l’héritage colonial d’États qui avaient le même système juridique, administratif, politique, ou par exemple des infrastructures communes. C’est le cas par exemple de l’Union douanière de l’Afrique de l’Ouest qui est devenue plus tard l’Union douanière des États de l’Afrique de l’Ouest, puis la Communauté économique de l’Afrique de l’Ouest, avant de devenir actuellement l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). L’autre exemple type, c’est l’UDEAC qui est devenue la CEMAC en Afrique centrale. Je peux aussi citer la Communauté économique des pays des Grands Lacs (CEPGL) qui regroupe les anciennes colonies belges. La Communauté économique de l’Afrique de l’Est (EAC) regroupe les anciennes colonies britanniques, alors qu’en Afrique australe, l’Union douanière y existe jusqu’à présent bien qu’elle soit peu connue. Elle a perduré malgré l’avènement de la SADC. Ces unions douanières ont survécu aux indépendances et à la nouvelle définition de la carte géopolitique et de découpage du continent.
Quid des autres catégories d’institutions ?
Il s’agit des institutions nées du Plan d’action de Lagos, vers la décennie 70, et que nous appelons communément aujourd’hui Communautés économiques sous-régionales. Elles sont davantage connues que les premières. Il s’agit de la CEDEAO en Afrique de l’Ouest, de la CEEAC en Afrique centrale, de la SADC en Afrique australe, de l’UMA au Maghreb, mais aussi du COMESA. Il y a aussi d’autres institutions qui, au départ, avaient une vocation sous-régionale, mais qui ont demandé et obtenu une reconnaissance pour être des communautés économiques régionales. On peut citer l’IGAD dans la Corne de l’Afrique, et l’EAC en Afrique de l’Est. Il y a aussi une sorte de communauté transrégionale qui s’appelle la CEN-SAD, qui réunit des États de plusieurs sous-régions. Elle avait été créée par la Libye de l’époque Kadhafi. Alors, évidemment, au-dessus de toutes ces institutions, nous avons l’Union africaine.
On parle également d’une troisième catégorie d’institutions sous-régionales…
Il s’agit en effet de ce que nous appelons des «Organisations intergouvernementales à objectifs plus spécifiques». Généralement ce sont des institutions nées des besoins de la copropriété des biens publics régionaux et de la nécessité de les mettre en valeur ensemble. Il s’agit de massifs forestiers, ou bien de bassins fluviaux ou encore de corridors de transit inter-États ou parfois de corridors de transhumance de bétails. On peut citer l’OMVS (Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal), l’OMVG (Organisation pour la mise en valeur du fleuve Gambie), la Commission internationale de navigation sur le Bassin du Congo-Oubangui-Sangha, l’Accord de coopération transport-transit en Afrique de l’Est, entre le Kenya, la Tanzanie et le Burundi. La Commission des forêts d’Afrique centrale (COMIFRAC) peut également être citée, tout comme la Conférence internationale de la région des Grands Lacs. Il s’agit d’un ensemble d’institutions qui ont été créées pour gérer des biens publics régionaux.
Au final, combien d’institutions régionales et sous-régionales compte-t-on en Afrique ?
Les Communautés économiques sous-régionales sont environ au nombre de quatre ou cinq. Les Communautés économiques régionales sont elles supposées être à cinq, mais elles sont désormais huit. Puisque l’IGAD et la CEN-SAD ont demandé à en faire partie. Les OIG à objectifs plus spécifiques sont beaucoup plus nombreuses. Elles sont une quarantaine environ et ont la particularité d’avoir la gestion sur un bien public régional, comme un fleuve, un lac ou encore un corridor de transport, etc.
Quelles sont les activités économiques de ces institutions sous-régionales
?
Malgré la surmédiatisation des activités politiques de ces institutions, c’est en réalité leur programme économique qui constitue leur quotidien, notamment de leur secrétariat et de leurs commissions et de la fonction publique régionale qui est mise en place en leur sein afin de dérouler et de concrétiser leurs politiques et programmes de développement. Il est difficile de quantifier les contributions économiques de chacune de ces institutions dans la marche de leurs États membres.
Leur premier apport c’est d’abord l’existence d’un marché régional. Ce marché permet naturellement d’impacter l’activité économique dans son ensemble au niveau des États concernés. La gestion et la mise en valeur des biens publics régionaux figurent également dans leurs contributions. Quand vous prenez le cas de l’OMVS, avec les barrages de Diama et de Manantali, cela vous donne une idée de l’apport en énergie électrique aux trois États membres (Mali, Mauritanie et Sénégal). Et c’est énorme. D’autres exemples existent à travers le continent, notamment au niveau de la région des Grands Lacs et en Afrique centrale.
Abdellah Benahmed / Les Inspirations ÉCO