Spoliation foncière : La Justice entre enfin en ligne
La commission chargée de mettre en place un plan d’action vient de dévoiler les mesures législatives et pratiques pour lutter contre le phénomène. Enregistrement audiovisuel des actes, élargissement de la responsabilité aux avocats, inventaire des biens immobiliers revenant à des absents, accès électronique à la base de données de la conservation… un chapelet de mesures vient d’être dévoilé par le ministère de la Justice.
Certes, le nombre de dossiers de spoliation foncière actuellement traités au niveau de toutes les juridictions du pays ne dépasse pas les 37. Mais dans le domaine juridique, le nombre des affaires n’est pas toujours -ou uniquement- le seul indicateur sur la nature des réformes à apporter. Le cas de la spoliation foncière est assez éloquent à ce propos, tant et si bien que le souverain, conscient de la gravité et de l’extrême injustice que peut représenter l’acte de déposséder une personne de son bien, a adressé une lettre le 30 décembre 2016 au ministre de la Justice. Le contenu de cette lettre porte essentiellement sur l’urgence de lutter fermement contre toute acte de spoliation à travers la mise en place d’un plan intégré ainsi que la prise des mesures préventives, législatives, organiques et pratiques nécessaires à la lutte contre ce fléau.
Ces dernières devaient être fixées et mises en place par un mécanisme créé à cet effet et composé de représentants de toutes les parties et institutions concernées. Le ministère de la Justice vient donc de dévoiler un arsenal de mesures en coordination avec d’autres partenaires institutionnels concernés. La commission mise en place est composée, outre du ministère de la Justice, de représentants des ministères de l’Intérieur, des Affaires étrangères et de la coopération, des Habous et des affaires islamiques et du Secrétariat général de gouvernement. Dans la même structure siègent également le procureur général du roi près la Cour de cassation, le directeur général de l’Agence nationale de la conservation foncière, du cadastre et de la cartographie, le conservateur général de la propriété foncière, un représentant de la Direction générale des impôts, l’agent judiciaire du royaume, le président de l’Association des barreaux du Maroc, le président du Conseil national des notaires et le président de l’Instance nationale des adouls.
Toutes les parties prenantes, de près ou de loin, à un acte lié à la propriété foncière, à la procuration, au transfert de bien immobiliers ou autre y sont présentes, faisant barrage aux éventuelles velléités de spoliation à venir. Ce maillage d’intervenants s’explique par la nécessité de lutter contre un phénomène qui a été qualifié fin 2015, par Mustapha Ramid, ministre de la Justice, de facteur nuisible à l’image du pays au sein des milieux d’affaires, qui porte atteinte aux droits des personnes et surtout au sacro-saint droit de propriété. Ainsi, et à l’issue de plusieurs réunions, la commission a mis en place un plan d’action bien ficelé. Outre le volet juridique (voir entretien), ces mesures visent à accorder au représentant du ministère public, au juge d’instruction et à la Cour la prérogative de gestion du contrat de propriété en question au cours de l’examen de l’affaire jusqu’au prononcé du verdict.
Il s’agit aussi de procéder à une modification législative portant sur le registre commercial afin qu’il soit «registre de commerce et des sociétés» pour regrouper, en plus des sociétés commerciales, les sociétés civiles qui n’exercent aucune activité commerciale. Concernant les mesures pratiques, l’on prévoit une publication numérique, par l’Agence nationale de la conservation foncière du cadastre et de la cartographie (ANCFCC), de l’ensemble des titres fonciers, ce qui permettra aux propriétaires de suivre la situation de leurs biens immobiliers sur son site électronique. Un inventaire des biens immobiliers conservés, dont la propriété revient à des absents étrangers ou marocains, sera également effectué. Par ailleurs, toutes les dispositions seront prises pour vérifier l’authenticité des documents et contrats signés à l’étranger et ce, en contactant les autorités étrangères compétentes conformément aux conventions internationales en vigueur.
Enfin, l’enregistrement audiovisuel sera systématique lors de l’élaboration des contrats par les adouls, les notaires et les avocats. Enfin, la commission encourage les propriétaires à demander des copies de leurs certificats de propriété, et incite les conservateurs à ne pas restreindre les actions des sociétés civiles immobilières exerçant des activités commerciales par des titres fonciers avant leur immatriculation au registre du commerce.
Hicham Mellati
Juge, conseiller en politique pénale du ministre de la Justice
Fini, la falsification de documents !
Les Inspirations ÉCO : Pourquoi y a-t-il, aujourd’hui, cette mobilisation, contre la spoliation foncière?
Hicham Mellati : Avant, le cabinet royal recevait les plaintes des victimes de spoliation et les redirigeait vers le ministre de la Justice pour un traitement rapide. Lorsqu’on scrute ces affaires de spoliation, l’on constate que généralement les moyens utilisés par les contrevenants portent sur la falsification de documents liés à l’héritage, à la procuration ou à la tutelle entre autres. Ainsi, le spoliateur muni de ces documents falsifiés entamaient les procédures auprès de la conservation, d’un notaire ou un adoul sans que l’on puisse déterminer l’existence d’un vice ou d’une anomalie. Aujourd’hui, avec la mise en place du mécanisme multipartite, on va pouvoir colmater les brèches par lesquelles se faufilaient les falsificateurs dans le cadre d’une coordination rapprochée.
Quelle est l’envergure de la spoliation foncière ?
Les dossiers qui sont actuellement instruits au niveau des différentes juridictions sont au nombre de 37. Mais il ne faut pas se fier à ce chiffre qui peut paraître insignifiant car l’ampleur de l’acte de spoliation en lui-même est telle que la justice marocaine ainsi que les différents intervenants dans le domaine ne peuvent l’accepter.
En termes législatifs, quelles sont les améliorations nécessaires ?
Le Conseil de gouvernement a d’ores et déjà adopté un amendement de l’article 4 du Code des droits réels, stipulant que l’attestation de procuration aux documents doit être rédigée par un rédacteur officiel ou un avocat compétent. Auparavant, le fait de simplement légaliser une procuration auprès d’un arrondissement permettait d’y avoir facilement accès et de pouvoir ensuite l’utiliser. L’autre amélioration juridique a trait à l’article 352 qui, jusqu’ici, ne concernait pas les avocats. Désormais, avocats, adouls et notaires seront sur le même pied d’égalité en termes de droits et de devoirs.
L’on parle aussi de moyens à mettre en place, notamment l’usage de caméras …
Effectivement, il s’agit là d’un moyen nécessaire pour mettre les contractants face à leurs actes en cas de délit ou de litige. C’est aussi un moyen de préserver les droits aussi bien des adouls et notaires que des parties contractantes. C’est un moyen parmi tant d’autres, à l’instar de la mise en place d’une plateforme électronique d’accès au document de la conservation, qui amélioreront la pratique d’enregistrements des transactions, ventes ou procurations. Et ce, toujours en vue de plus de transparence, afin de lutter contre le phénomène à ses racines.