Salaires des ministres : Ce que dit la loi !
Le débat bat son plein autour de la question des pensions des parlementaires et des ministres. Au moment où les mauvaises nouvelles s’enchaînent pour les citoyens avec des hausses successives du coût de la vie, la pilule passe mal concernant les salaires et surtout les pensions de retraite des parlementaires et des ministres. Certains affirment aujourd’hui que les textes relatifs à la question ne sont plus en phase avec les réalités actuelles. Retour sur un arsenal juridique contesté.
Charité bien ordonnée commence par soi-même. Cet adage semble motiver, plus que jamais, l’opinion publique concernant l’affaire des pensions des parlementaires et des ministres. Le gouvernement Benkirane, qui a fait de la moralisation de la vie publique et de l’assainissement des dépenses administratives et budgétaires l’un des slogans de sa campagne, se retrouve, en cette fin de mandat, tenu de justifier son laxisme concernant les questions des pensions des parlementaires et des ministres. Au moment où les mauvaises nouvelles s’enchaînent pour les citoyens, avec des hausses successives du coût de la vie, la pilule passe mal concernant les salaires et surtout les pensions de retraite des parlementaires et des ministres.
Il faut dire que le système marocain souffre, à ce niveau, d’un effet de comparaison, y compris avec les économies les plus avancées. «En France, pour ne prendre que cet exemple, la retraite d’un ministre n’est accordée que pour une période limitée et à condition que ce dernier soit chômeur», précise Ahmed El Bouz, professeur de droit public à la Faculté de droit de Souissi à Rabat. Dans un pays plus proche comme la Tunisie, sous le régime de Ben Ali, les pensions des parlementaires n’étaient accordées que lorsque ces derniers atteignaient 50 ans.
Au Maroc, l’arsenal juridique, portant sur les salaires et les pensions des membres du gouvernement, semble aujourd’hui dépassé. Il faut se tourner du côté du Dahir n° 1-74-331 du 11 Rabiî II 1395 (23 avril 1975), relatif à la situation des membres du gouvernement et à la composition de leurs cabinets. Il est d’ailleurs intriguant de voir que ce texte n’a jamais été publié au Bulletin officiel. Celui-ci fixe les modalités de rémunération et la retraite des membres de l’Exécutif. De nombreux juristes estiment que ce texte devrait être mis à jour, en vue de prendre en considération le changement de contexte et les réalités actuelles. Un premier pas a d’ailleurs été franchi dans l’optique d’une modernisation des textes avec l’adoption de la loi organique relative à l’organisation et la conduite des travaux du gouvernement et au statut de ses membres.
Ce texte stipulait, dans son article 30, que «les membres du gouvernement bénéficient à la cessation de leurs fonctions, d’une pension qui leur est servie dans les conditions et les modalités fixées par la loi». Beaucoup ont vu dans la promulgation de ce texte, en avril dernier, les prémices d’une réforme. Pendant ce temps, certains ministres ont décidé soit d’abandonner leur salaire, soit de réduire une partie de leur rémunération brute. C’est le cas dans le gouvernement actuel du ministre de l’Agriculture, Aziz Akhannouch ou encore du ministre de l’Industrie, du commerce, de l’investissement et de l’économie numérique, Moulay Hafid Elalamy, qui ne perçoivent pas de rémunération pour l’exercice de leurs fonctions. D’autres membres de l’Exécutif ont décidé de réaffecter une partie de leurs rémunérations vers des fonds dédiés à leurs ministères. C’est le cas du ministre de la Justice, Mustapha Ramid, qui verse une partie de ses indemnités dans le fonds du ministère dédié aux activités internes.
Salaires la partie immergée de l’iceberg
Les salaires prévus, durant l’exercice de leurs fonctions, pour les membres du gouvernement varient entre 26.000 DH pour les ministres et 32.000 DH pour le chef de gouvernement. Il est à noter que le dahir de 1975 concernant la situation des membres du gouvernement et la composition de leurs cabinets prévoit également les salaires des secrétaires d’État et des vice-secrétaires d’État auxquels sont accordés respectivement 20.000 et 16.000 DH. Selon ce même texte, des indemnités de représentation ainsi que des compensations à titre de logement et des frais d’aménagement sont accordés aux membres de l’Exécutif. Mais il ne s’agit en réalité que de la partie visible de l’iceberg, car les membres du gouvernement profitent également de nombreux avantages, à commencer par des allocations familiales en cas de «nécessité», du paiement des frais d’eau, d’électricité, de chauffage et de téléphonie ainsi que de la mise à disposition de voitures de service. 3 voitures de service sont consacrées au chef de gouvernement et deux pour chacun des autres ministres. L’article 1 du dahir de 1975 tel que modifié en 1993 précise par ailleurs que d’autres indemnités et salaires non inclus dans le dahir peuvent être accordés aux membres de l’Exécutif.
Retraites oui, mais…
La question des retraites des parlementaires et des ministres a fait couler beaucoup d’encre, ces dernières semaines. Le dahir de 1975 tel que révisé en 1995 apporte un début de réponse à certains questionnements. L’article 7 bis de la mouture précise en effet que «les membres du gouvernement perçoivent à la fin de leur mandat une pension égale à leur salaire… multiplié par 1,5». Soit l’équivalent de 48.000 DH pour le chef du gouvernement et 39.000 DH pour les ministres. À cela, il faudra ajouter, «en cas de nécessité», le montant des allocations familiales. Le texte précise toutefois que cette pension n’est pas acquittée lorsque le salaire mensuel net perçu par l’ex-membre de l’Exécutif, à l’occasion de l’exercice de toute autre activité après la fin de son mandat au sein de l’Exécutif, dépasse ou égale celui perçu durant l’exercice de ses fonctions politiques. Bien plus, au cas où ce salaire perçu postérieurement à l’exercice de la fonction gouvernementale est inférieur au salaire perçu en tant que ministre, l’État ne paiera que la différence entre les deux rémunérations. Pour pouvoir bénéficier de cette retraite, les ex-ministres doivent fournir une déclaration annuelle de leur revenu compilant l’ensemble des rétributions qu’ils perçoivent. En cas de décès, les ayants droit ne pourront recevoir que la moitié de la pension touchée par l’ex-ministre.
Déclaration de patrimoine transparence et confidentialité
La loi sur la situation des membres du gouvernement et à la composition de leurs cabinets précise notamment les obligations des membres de l’Exécutif en termes de déclaration du patrimoine. Le texte impose ainsi un contrôle a priori et a posteriori de la situation financière des ministres. Dans les 90 jours suivant la nomination, le ministre doit déclarer l’ensemble de ses ressources financières durant l’année précédant sa nomination ainsi que ses activités professionnelles, missions parlementaires et l’ensemble de ses propriétés, y compris celles de ses enfants mineurs ou celles qu’il gère. Le texte prévoit également un délai de 90 jours pour la déclaration a posteriori, sauf en cas de décès. Cette déclaration, qui doit comporter l’ensemble des mouvements financiers du ministre, y compris les fonds de commerce, les dépôts bancaires ou encore les actions détenues en entreprise, doit être déposée auprès des services de la Cour des comptes. À cet effort de transparence, le dahir joint une obligation de confidentialité, étant donné que ces informations ne peuvent être divulguées qu’en cas d’injonction judiciaire ou de demande de la part des ayants-droit.
cabinets ministériels quels avantages?
S’ils sont privés de retraites, les membres des cabinets ministériels, y compris les chefs de cabinet, profitent de certains avantages. C’est le cas notamment du paiement des factures d’eau et d’électricité ainsi que du téléphone et de la voiture de service. Le texte de loi, tel que révisé en 1993, précise le montant des salaires accordés à ces conseillers et membres du cabinet. Ainsi, le chef de cabinet perçoit un salaire mensuel de 16.000 DH et le conseiller technique une rémunération de 12.000 DH. Pour ce qui est du chef du secrétariat personnel du ministre, la rétribution est de 8.000 DH. Pour les membres du cabinet qui disposent du statut de fonctionnaires publics, la loi prévoit de maintenir le salaire, perçu au titre de cette fonction, si celui-ci est plus important que les rémunérations prévues par le texte. À noter que les membres de cabinet sont tout autant concernés par les procédures de déclaration du patrimoine au même titre que les membres du gouvernement. Il est à noter que le cabinet du chef de gouvernement comporte généralement un chef de cabinet, 6 conseillers ainsi qu’un attaché de presse. Quant aux cabinets des autres ministres, ceux-ci comportent, en plus d’un chef de cabinet, 5 conseillers ainsi qu’un chef du secrétariat personnel du ministre. Concernant les autres membres du bureau personnel du ministre, la loi ne donne pas d’indication concernant les salaires perçus, ces derniers étant considérés comme du personnel administratif classique.
membres du gouvernement terminologie dépassée
Il est à noter que le texte de loi portant sur la situation des membres du gouvernement et à la composition de leurs cabinets ne prend pas en considération certains changements terminologiques ayant été opérés par la Constitution de 2011 ainsi que par la pratique. Le texte, qui parle toujours de premier ministre et non pas de chef de gouvernement, ne met pas en exergue la situation des ministres délégués par exemple. «Il s’agit d’une fonction particulière dans la hiérarchie des membres du gouvernement. Rappelons qu’un ministre délégué est toujours placé sous la tutelle d’un autre ministre», explique Ahmed El Bouz professeur de droit public à l’Université Mohammed V-Souissi à Rabat. Est-ce dire que les deux fonctions nécessiteraient une rémunération différente ? Dans la pratique il semble que les salaires restent globalement les mêmes. En tout cas, ce flou terminologique mériterait d’être clarifié. Par ailleurs, le texte ne détermine pas dans quelle catégorie il faudrait inclure les ministres sans portefeuille ou les ministres d’État. En outre, le texte inclut toujours les fonctions de secrétaire d’État et de vices secrétaires d’État qui sont des fonctions qui n’existent plus aujourd’hui. «Il s’agit de membres de gouvernement à part entière qui assistent les ministres et sont présents au Conseil du gouvernement mais pas au Conseil des ministres», précise Ahmed El Bouz.