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Said Bennis : «La classe moyenne court le danger d’un déclassement»

Said Bennis, professeur de sciences sociales à l’Université Mohammed V de Rabat

Said Bennis, professeur de sciences sociales à l’Université Mohammed V de Rabat analyse le sens social du mouvement de boycott. Lecture éclairante.

Les Inspirations ÉCO : Que signifie ce mouvement de boycott ? Une révolte de la classe moyenne ou un coup de gueule politique ?
Said Bennis : Le mouvement de boycott peut revêtir deux significations de facture différente. La première renvoie à une valeur matérielle d’ordre économique visant à réagir à un coût de consommation jugé et estimé comme étant hors norme compte tenu de la plage des salaires et du niveau de vie au Maroc. La seconde réfère à une valeur symbolique aspirant à ancrer et à initier un nouveau comportement citoyen de facto sans leader (s) ni meneur (s) affiché (s), lequel comportement est co-construit virtuellement pour infléchir les politiques économiques au profit du citoyen. Est-ce qu’il s’agit d’une révolte de la classe moyenne ou d’un coup de gueule politique ? La réponse se situe entre une situation d’émiettement de la classe moyenne et une re-politisation de la tranche des jeunes à travers un hacktivisme responsable, intelligent et créatif.

L’institution visée par ce mouvement est «l’entreprise». peut-on dire que cette institution est en train de perdre sa légitimité à l’instar des partis politiques, des syndicats, des associations ?
Le constat général tend à discréditer les «structures» organisées telles que l’entreprise, le parti politique, les organisations de la société civile et les associations. Cette tendance peut être inférée à une transition citoyenne qui affecte non seulement le Maroc mais tous les pays de la région MENA. Cette transition citoyenne peut être décrite à partir du passage d’une citoyenneté réelle à une citoyenneté virtuelle neutralisant toute médiation organisée. Ce dernier type de citoyenneté ne reconnaît pas les contraintes induites du principe de «la structure» autrement évince et remet en cause la légitimité de toutes les institutions sociales parmi lesquelles se trouve l’entreprise. La légitimité contrôlant la dynamique sociale est confrontée au principe de l’agentivité suivant lequel l’individu citoyen est libre de sa décision, de ses comportements, de sa vie et réagit hors de l’emprise de «la structure» que représentent la société, les institutions, les compromis sociaux, le vivre ensemble… Aussi, le boycott est-il une stratégie de délégitimation de l’entreprise à partir d’une «singularité collective» au travers de laquelle l’individu se «confond» avec la collectivité et la collectivité «se noie» dans l’individu, notamment en érigeant des mots d’ordre et des hashtags en arabe du genre de :  

Comment expliquez-vous la posture du gouvernement à vouloir défendre à tout prix les entreprises au détriment du mouvement de boycott ?
Devant l’absence d’un interlocuteur «affiché», le gouvernement est acculé à défendre les institutions organisées, en l’occurrence les entreprises, à la fois pour des raisons objectives se résumant dans le fait que ces dernières représentent des partenaires et aussi pour des raisons subjectives ; c’est qu’il ne peut supporter et corroborer une position sociale, en l’occurrence le boycott puisqu’il est tenu responsable et «complice» de la hausse des prix de produits de consommation, objets du boycott. Toutefois, les sorties médiatiques de responsables gouvernementaux ont décelé une ambivalence qui bascule entre déni et reconnaissance du boycott.

Dans le cas précis du lait, est-ce que la campagne du boycott ne relève pas d’une incompréhension entre le monde rural (les éleveurs et producteurs de lait) et le monde urbain (consommateur de la production) ?
Dans le contexte de la vague de boycott qui dure depuis plus d’un mois, il ne s’agit pas d’incompréhension entre deux espaces de vie, le rural et l’urbain, il est foncièrement question d’une nouvelle conscience citoyenne des droits, notamment le droit à un niveau de vie accessible aussi bien à une classe urbaine «pauvre» qu’à une classe urbaine «moyenne» qui court le danger d’un émiettement, d’une «chute», d’un déclassement et d’une descente vers la classe «inférieure». Les éleveurs et les producteurs de lait ne sont pas en situation d’«adversaire social», ce qui est visé par les consommateurs urbains c’est la justification sociale de l’entreprise, autrement dit la conviction que les activités de l’entreprise doivent servir le bien commun collectif, que l’entreprise est une affaire de société et que sa légitimité est fonction de son rapport et apport à l’environnement marocain.


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