Prix du carburant : Le Conseil prépare sa propre enquête
Alors que le gouvernement à travers son ministre chargé des Affaires générales a déclaré avoir lancé une étude sur les prix des hydrocarbures, le Conseil de la concurrence n’est pas resté les bras croisés et ceci malgré le blocage dont il souffre depuis trois ans en attendant l’installation de ses membres. Benamour réaffirme que ledit conseil est la seule autorité de la concurrence au Maroc. Il est en train de travailler sur une saisine concernant les prix à la pompe avec trois scénarios possibles. Benamour evoque l’existence de lobbies qui jouent en faveur de leurs intérêts et qui entretiendraient ce blocage.
Les Inspirations ÉCO : Aujourd’hui le gouvernement se positionne sur la problématique de la concurrence dans le secteur des hydrocarbures. Qu’en pensez-vous ?
Abdelali Benamour : Commençons d’abord par définir les compétences respectives du gouvernement et du conseil en matière de concurrence. D’après le nouveau cadre juridique du conseil, nous sommes désormais l’autorité de la concurrence au Maroc, indépendante décisionnaire avec possibilité d’auto-saisine, d’enquête et droit de plaidoyer. Les choses sont très claires, c’est le conseil qui est responsable en matière de lutte contre les pratiques anti-concurrentielles.
Quel est alors le rôle du gouvernement ?
Son rôle est de fixer les grandes lignes de la politique économique du pays et bien évidemment la politique de la concurrence. Je ne parle pas des pratiques concurrentielles telles qu’elles sont observées sur le marché, mais de la politique générale de la concurrence. Il y a une direction de la concurrence au niveau du ministère des Affaires générales qui peut mener des études concernant la concurrence, à distinguer des saisines qui supposent des possibilités de sanction qui relèvent uniquement du Conseil de la concurrence. Donc cette direction peut mener des études et éventuellement nous transmettre une saisine concernant un domaine donné. Comme nous, lorsque nous effectuons une saisine ou une
auto-saisine, nous pouvons envoyer au gouvernement les résultats. Ceci dit, le gouvernement ne peut mener qu’une étude car le conseil a été justement créé pour éviter que les gouvernements de façon générale ne deviennent juge et partie. Maintenant, si monsieur Lahcen Daoudi (ministre délégué aux Affaires générales, ndlr) veut mener une étude sur la concurrence, c’est une bonne chose, mais qu’il nous transmette ensuite les résultats car seul le conseil a l’autorité juridique pour sanctionner les pratiques anti-concurrentielles.
Mais est-ce qu’il a l’obligation de vous transmettre cette étude ?
Non, il peut la garder, mais je réitère que nous sommes les seuls à pouvoir sanctionner. Le ministre a dit qu’en l’absence du conseil, il a pris l’initiative de mener une étude. Nous sommes d’accord, mais ce que le gouvernement devrait faire c’est activer la nomination des nouveaux membres du conseil pour que nous puissions faire notre travail. C’est plus positif que de faire une étude car nous sommes déjà en train de traiter deux saisines concernant le secteur des hydrocarbures. La première saisine provient d’une association qui prétend qu’il y a des possibilités d’entente au sein de l’oligopole concerné. Nous avons également une autre saisine concernant le fuel industriel pour lequel un opérateur dit qu’il a demandé à importer ce produit et qu’on lui a refusé sachant, comme il l’a expliqué, que ce produit serait du ressort d’une seule société, à savoir un monopole pas de droit mais de fait. À partir de ces saisines, nous sommes en train d’examiner les faits et nous avons nommé des rapporteurs. Leur travail sera bouclé bientôt, mais malheureusement nous ne pouvons pas publier les résultats. Nous attendons que nos instances soient installées pour le traiter.
Parlons un peu de la première saisine, concernant la possibilité d’entente sur les prix des hydrocarbures, quels sont les scénarios possibles ?
Cette saisine peut aboutir à trois types de résultats. On peut ne rien trouver, ce qui signifie que la concurrence joue son rôle normalement. Même si les indices sont en faveur du non respect de la concurrence. Ou bien on va trouver qu’il y a une entente et dans ce cas la sanction s’impose. Et le conseil peut appliquer la sanction d’autant plus qu’il a un droit d’enquête qui permet d’avoir accès aux comptes et tous les documents nécessaires. Troisième possibilité qui est nouvelle dans les économies où il y a des oligopoles, ce qui est le cas au Maroc. Quand il y a un leader dans un domaine donné, on peut au lieu de s’entendre sur les prix, ce qui est illégal, laisser le leader prendre les décisions qu’il veut et s’aligner avec un centime en plus ou en moins. C’est une sorte d’entente qui ne dit pas son nom.
À quel niveau ressentez-vous qu’il y a un blocage quant à la mise en place des instances du conseil pour qu’il puisse enfin publier ses saisines ?
Les membres du conseil sont nommés de la façon suivante, le président par SM le roi et les membres par le chef de gouvernement. Cela fait trois ans que le mandat des membres du conseil est arrivé à terme. Pas celui du président, car dans l’ancien texte, il n’y avait pas de définition du mandat du président. Par contre, dans le nouveau texte, le président est nommé pour cinq années et renouvelable une fois. Vous savez, l’autorité allemande de la concurrence, avec laquelle nous sommes en jumelage, nous a toujours dit que lorsqu’une entité de la concurrence débute, elle est confrontée à des problèmes de textes ensuite au niveau des instances car il y a des lobbies qui jouent en faveur de leurs intérêts, peut être qu’il y a aussi un retard classique au niveau de l’administration. Maintenant, le conseil dispose d’un excellent texte depuis une année et demie, mais nous sommes bloqués autrement. Croyez-vous que c’est du hasard ? Lorsque le conseil a été installé en 2009, nous étions plein d’entrain, mais au bout de trois ans de blocage, forcément que l’on se relâche. Cela me touche aussi personnellement et pas uniquement les rapporteurs du conseil. Ceci dit, nous avons continué à travailler et nous recevons six à sept saisines par an, ce qui est un bon rythme. Nous avons aujourd’hui une trentaine de saisines prêtes, mais qui attendent le conseil pour être publiées.