Parc des abris-serres : Les débouchés commerciaux freinent la reconversion
Même si les producteurs-exportateurs de primeurs sont conscients de la nécessité d’opter pour des structures modernes permettant de mieux contrôler les variables micro-climatiques, le coût d’installation de la serre multi-chapelles et les débouchés commerciaux en plus de la subvention fixée à 10% limitent encore la reconversion du parc serricole, dominé par le type canarien au niveau de la région du Souss-Massa.
«Donnez-moi le débouché commercial et je supporterai le fardeau d’investir dans une serre multi-chapelles». Cette réaction, lancée sur le ton du défi, est revenue dans la majeure partie des commentaires reccueillis auprès des producteurs-exportateurs de primeurs. Une réaction, aussi, qui résume l’obstacle majeur auquel est exposée actuellement l’agriculture intensive au Maroc, de l’avis de la profession pour parler de la reconversion du parc serricole. Ceci à un moment où le Conseil de gouvernement vient d’adopter un projet de décret portant sur l’interdiction d’importation de couvertures et d’emballages en plastique utilisés dans la production agricole.
Au niveau de la région du Souss-Massa, première zone primeuriste du pays, il est pratiquement impossible de se promener dans les périmètres irrigués de cette région sans croiser des abris-serres dont l’architecture et l’armature diffèrent selon le type adopté par chaque producteur-exportateur. Néanmoins actuellement, les structures installées pour la protection, en hiver, de cultures maraîchères de primeurs sont marquées par une prédominance de type canarien amélioré, qui est qualifié de rudimentaire, aussi bien par les entités publiques que privées. Partant de ce constat, les professionnels s’accordent à dire que les abris-serres canariens en bois ont atteint leurs limites à cause de l’évolution observée sur les marchés internationaux, mais aussi dans les pays concurrents tels que l’Espagne et la Turquie.
Dans ces pays, en effet, les professionnels ont déjà procédé à la mise à niveau de leurs outils de production intensive. Ce n’est pas tout : les tendances de consommation et de commercialisation exigent de plus en plus le renforcement du profil variétal vers d’autres produits de segmentation, sans négliger les facteurs environnementaux liés aux aléas climatiques qui affectent régulièrement la production agricole et les campagnes d’exportation. «Certes, le parc des abris-serres est appelé à se reconvertir vers d’autres structures plus modernes, notamment une multi-chapelles adaptée aux nouvelles conditions climatiques pour accompagner les défis d’une intensification durable, mais à quel prix ?», s’interroge Saâd Soulaimani, secrétaire général de l’Association des producteurs et exportateurs des fruits et légumes (Apefel). Et, en la matière, le volet chiffres est éloquent: en dépit des avantages liés à la multi-chapelles (voir encadré) dont le montant minimum d’investissement est d’1,5 MDH contre 500.000 DH pour la canarienne, le niveau des prix de l’acier et de l’équipement de cette serre sophistiquée (à ventilation fixe ou motorisée) restent des variables déterminantes. «La multi-chapelles présente un outil de production intensif, qui est trois fois plus cher par rapport à la canarienne améliorée, notamment grâce à sa maîtrise des facteurs de production et les variables du micro-climat, qui permettent l’optimisation de l’eau en plus de l’amélioration du rendement dont la moyenne pour la tomate ronde est de 320 tonnes brut par hectare, contre 250 tonnes», note Brahim Ouaddich, directeur du Centre de transfert de technologie (CCT) à Aït-Amira. C’est pourquoi, «la profession ne peut pas s’aventurer sans garantie de débouchés commerciaux dans des investissements colossaux qui sont certes indispensables pour le développement de variétés conduites surtout en hors sol», ajoute Saâd Soulaimani.
Aide financière
Aussi souvent que nécessaire, la décision de l’acquisition d’une telle structure est d’abord basée sur l’analyse du coût d’installation et le prix de revient en comparaison avec les retombées positives de commercialisation. Néanmoins, en dehors de ces paramètres, il y a la subvention de l’État qui freine la reconversion vers ce type de serres. Le taux de cette aide accordée aux producteurs pour l’acquisition et l’installation de serres est fixé à 10% pour l’armature de la serre, mais aussi pour sa couverture, soit un plafond de 3 à 9 DH pour le mètre couvert en fonction de la composition de ladite serre (en métal ou en bois ou sous forme de tunnel métallique). «Le plafond de la subvention reste de toute évidence dérisoire et insuffisant par rapport au montant d’investissement engagé par le producteur afin de déclencher le processus de renouvellement», explique Ahmed Mouh Mouh, professionnel du secteur dans le Souss. D’où la doléance de la profession quant à l’augmentation de cette aide financière.
À cet égard, le fait d’augmenter la subvention de l’ordre de 30% permettra de réduire la différence entre la multi-chapelles et l’abri canarien à hauteur de 15 à 20%. Cela permettra d’encourager l’installation de cette structure donnant lieu à une maîtrise du calendrier de production (contrôle de facteurs climatiques) et par conséquent une planification pertinente de la commercialisation. «Durant la période estivale, la tomate a été quasi-absente dans le Souss à cause de la température de juillet et août derniers à tel point que la caisse a été vendue à 150 DH, d’où la nécessité de disposer de ces structures modernes où le climat est mieux contrôlé», ajoute Mouh Mouh. L’autre aspect et non des moindres est la question de l’assurance qui doit accompagner ces investissements agricoles dans le cadre de l’assurance multirisque climatique.
Les avantages de la multi-chapelles
Contrairement au type canarien, qui présente l’inconvénient d’être à climat subi (par opposition au climat contrôlé), les multi-chapelles offrent une serre modulable en armature d’acier. Elles sont conçues pour être résistantes aux vitesses de vent en plus des autres aléas climatiques et permettent de facto des améliorations principales, notamment la question du rendement grâce au contrôle des variables microclimatiques (aération, température, humidité…). En plus de l’économie d’eau, les écarts de triage enregistrés au niveau de la multi-chapelles sont d’un maximum de 10%, par rapport à 25 et 30% pour la canarienne. D’autres améliorations secondaires sont citées. Il s’agit de l’amélioration de la lutte intégrée, la baisse de consommation des pesticides et la possibilité d’intégrer d’autres technologies, notamment la culture hors sol, les écrans thermiques, le chauffage d’appoint et bien d’autres.
«La serre canarienne a atteint ses limites»
Comparé aux serres modernes et performantes, l’abri canarien est de conception rudimentaire, selon Farid Lekjaa, directeur du complexe horticole d’Agadir.
Les Inspirations ÉCO : Pourquoi la reconversion du parc des abris-serres est nécessaire aujourd’hui ?
Farid Lekjaa : Le parc des abris-serres est majoritairement constitué du type canarien. Celui-ci a été introduit dans la région de Massa vers la fin des années 70. À l’époque, c’était une innovation majeure dans le mode de production en automne-hiver, essentiellement entre octobre et mars, pour répondre aux besoins du marché extérieur en produits frais et profiter d’une rentabilité économique confortable à l’export de tomates, d’aubergines, de poivrons, de courgettes et autres. L’aspect économique explique en grande partie l’extension des superficies couvertes (presque 15.000 ha aujourd’hui), puisque le coût de construction est d’environ 20 à 2DH/m² couvert lorsque l’armature est en bois, et entre 40 et 45 DH/m² lorsque l’armature est métallique.
La structure de ce type de serres a-t-elle été améliorée depuis son introduction ?
La technologie de construction n’a guère évolué, à l’exception de la hauteur de ces abris canariens qui, aujourd’hui, est passé de 4 m à 6 m au niveau du faîtage pour les cultures maraîchères et le bananier, ce qui offre un grand volume à l’abri et améliore sensiblement les conditions de croissance des plantes. Les considérations économiques continuent à être prises en compte, et les producteurs privilégient l’extension des surfaces couvertes en abris canariens plutôt que de disposer de serres plus performantes (jusqu’à 500 dh/m²) sur de petites surfaces, mais dans lesquelles le climat peut être maîtrisé. Dans de telles structures modernes, qui offrent la possibilité de produire la tomate toute l’année, la rentabilité n’est effective que si les prix sont maintenus entre les mois d’avril et de septembre. Ce n’est pas le cas au Maroc. Les pays européens disposant d’unités de serre de moins de 1 ha par exploitation (en majorité) enregistrent des rendements de tomate de plus de 80kg/m² grâce à la technologie apportée.
Pourquoi la serre canarienne a-t-elle atteint ses limites, en termes de production ?
Comparé aux serres modernes et performantes, l’abri canarien est de conception rudimentaire, aussi bien au niveau de l’armature que de la fixation du matériau plastique de couverture. Par conséquent, le microclimat offert aux cultures ne répond que partiellement aux exigences des plantes pratiquées sous abri. En d’autres termes, le microclimat obtenu sous abri canarien résulte des conditions climatiques enregistrées en plein air. Ainsi, lorsque la température est de 35°C à l’extérieur, elle affiche des valeurs proches de 40 °C sous abri canarien, ce qui est néfaste pour les plantes cultivées. À l’inverse, lorsque la température de nuit est de 5 °C à l’extérieur, elle est de 8 à 10°C sous abri. Toutes ces conditions obtenues sous abri ne répondent que partiellement aux exigences des cultures telles que la tomate ou le poivron. Ces cultures ne peuvent donc pas extérioriser leur potentiel de production. Des rendements de tomate dépassant 20 kg/m² sont considérés comme très performants. De plus, le mode de construction des abris canariens ne qualifie pas ces derniers à l’automatisation de la gestion des abris (aération en période chaude, chauffage en période froide). Et même lorsque les artifices de conditionnement de l’air sont installés (chauffage par aérotherme, par exemple), l’efficience est très médiocre car les abris canariens ne sont pas étanches. D’où l’intérêt des multi-chapelles qui peuvent facilement être équipées en moyens de gestion du climat.
À votre avis, quelles sont les contraintes qui freinent le recours à des outils de production plus performants, notamment les serres multi-chapelles, mieux adaptées aux conditions climatiques marocaines ?
Au Maroc, les grands domaines disposent déjà, sur de petites superficies, d’unités hautement performantes de serres multi-chapelles dans lesquelles les conditions climatiques sont contrôlées et la technologie de production maîtrisée. C’est le cas de l’assistance informatique des fonctions d’ouverture et de fermeture des serres en fonction de l’intensité du rayonnement solaire, des écrans d’ombrage et des écrans thermiques, du déclenchement automatisé de la brumisation, de la gestion automatique de l’irrigation et de la fertigation en circuit fermé pour les cultures hors-sol, de la lutte phytosanitaire intégrée, de la production en mode biologique et autres. Tous ces artifices demandent des ressources humaines hautement qualifiées, que seuls les grands domaines peuvent se permettre. Pour rentabiliser tous ces investissements, il faut continuer à produire plus de 30 bouquets de fruits par plant de tomate, pour pouvoir atteindre des rendements de 800 tonnes/ha, c’est-à-dire produire toute l’année. Cet objectif ne sera atteint que si les prix à l’export sont soutenus. Une condition difficile à satisfaire.