Multinationales installées au Maroc : Ces milliards qui échappent au fisc
Assistance technique, management fees…certaines opérations entre filiales et maison-mère peuvent cacher une évasion fiscale qui se chiffre à des montants mirobolants. Rien que sous couvert de l’assistance technique, la Cour des comptes avait évalué les transferts irréguliers à 31 MMDH. Le dispositif des accords préalables sur les prix de transfert, prévu par la loi de Finances 2015, devait encadrer ces opérations. Mais, en attendant le décret d’application, il est resté lettre morte.
«L’arrêté est fin prêt. Il a été signé par le ministre de l’Économie et des finances et devait passer devant le Conseil de gouvernement juste avant les élections. En principe, une fois le gouvernement constitué, le texte verra le jour». Khalad Zazou, directeur de la législation, des études et de la coopération internationale, à la Direction générale des impôts (DGI), fait allusion au texte d’application du dispositif des accords préalables en matière de prix de transfert prévu dans la loi de Finances 2015. Un nouvel arsenal juridique très attendu par les multinationales installées au Maroc, car il devrait dissiper le grand malentendu avec le fisc. Il s’agit, plus clairement, de se mettre d’accord sur les méthodes de détermination des prix auxquels sont effectuées les transactions entre entités appartenant au même groupe. Transfert de biens, de services y compris le «management fees», ventes, concessions d’incorporels économiques et juridiques (licences, brevets,…), opérations financières, mises à disposition de biens ou de personnes…Derrière ces opérations, des opérations irrégulières peuvent être pratiquées pour se soustraire à l’impôt. Achat à prix majoré, prix de vente gonflé, redevances de marque…Mais le cas le plus pointé du doigt par le fisc demeure les frais d’assistance technique.
31 MMDH évaporés
Sur ce registre, la Cour des comptes avaient jeté un véritable pavé dans la mare en consacrant tout un chapitre au transfert irrégulier de capitaux à l’étranger dans l’un de ses rapports. Et c’est à ce moment que l’on s’est rendu compte de l’ampleur du phénomène qui se traduit par un manque à gagner conséquent pour le fisc et donc pour les caisses de l’État. La Cour des comptes a constaté une insuffisance dans le contrôle des opérateurs faisant recours à l’assistance technique étrangère, des opérations de transfert de dividendes, des banques, des sociétés d’assurance et de réassurance et des sociétés de Bourse. Ceci a permis à ces opérateurs de procéder à des transferts irréguliers ou à des non rapatriements de devises. «Pour la seule période 2005 à 2009, le montant total des transferts, effectués par les personnes morales résidentes, au titre de l’assistance technique étrangère, a atteint 31,38 milliards DH.
Le montant de ces transferts est en augmentation continue, notamment par les sociétés opérant dans le secteur des télécommunications et celui de la gestion déléguée des services publics», avait conclu la juridiction financière. Et d’asséner: «Cette augmentation importante des transferts en matière d’assistance technique étrangère n’a pas été accompagnée d’un suivi rigoureux de la part de l’Office des changes qui ne dispose pas encore de base de données lui permettant un suivi régulier et efficace de cette activité». Les conclusions des magistrats de la Cour ont mis la puce à l’oreille aux départements qui ont pris les choses en main pour rectifier le tir. Ainsi, fisc et office des changes ont multiplié les coups de filet. Entre 2013 et 2014, une série de contrôles fiscaux avait ciblé les filiales marocaines des laboratoires pharmaceutiques et des groupes opérant dans l’agroalimentaire. Résultat, des redressements qui se sont élevés à plusieurs millions de dirhams. Plus récemment, l’Office des changes a eu la main lourde avec Amendis lui réclamant quelque 332 MDH.
Accord et désaccords
La chasse aux pratiques irrégulières avait créé un climat délétère entre les multinationales et le fisc. Le dispositif en gestation devrait donc garantir une sécurité fiscale pour les entreprises. Mais, à en croire plusieurs opérateurs interrogés sur la question, il y a plusieurs zones d’ombre qui n’aspirent pas confiance. À commencer par la lourde procédure. Le projet de décret exige en effet une panoplie de documents à fournir par l’entreprise. Structure juridique, répartition du capital des entreprises faisant partie du groupe, données financières et fiscales certifiées couvrant les derniers exercices comptables non prescrits…certains documents sont jugés sensibles. Il en est ainsi du business plan. Mieux encore, « la contrepartie de la sécurité juridique que confère l’accord préalable est constituée par un engagement de transparence totale du contribuable qui doit dévoiler sa politique de prix de transfert à l’administration fiscale. Cette transparence n’est pas sans risque en cas de désaccord d’interprétation, dans la mesure où il ne peut alors être exclu que l’administration fiscale marocaine procède pour le passé à des redressements, qui pourraient être assortis de pénalités pour mauvaise foi », estiment les experts, Marc Veuillot et Cédric Mahéo de CMS Bureau Francis Lefebvre Maroc, dans une analyse consacrée au sujet.