Mélita Toscan du Plantier : «Le Festival m’a manqué»
Après une année blanche, le FIFM revient du 30 novembre au 8 décembre prochains, avec une nouvelle équipe et une programmation tournée vers les cinémas marocain, africain et arabe. Rencontre avec Mélita Toscan du Plantier, conseillère du président du festival, qui se confie sur les coulisses d’un des événements phares de l’agenda culturel marocain.
Les Inspirations ÉCO : Pourquoi cette année blanche ?
Mélita Toscan du Plantier : La Fondation a estimé que le festival avait besoin d’une pause pour mener une réflexion profonde sur sa ligne éditoriale et faire un bilan. On ne peut pas nier les acquis du festival. Il y a eu 16 années formidables. Nous avons tenu la première édition du festival 15 jours après le 11 septembre 2001. Le roi Mohammed VI n’a pas hésité: il fallait maintenir le festival même si beaucoup de personnalités avaient annulé. Mais Youssef Chahine, Charlotte Rampling, Omar Sharif, Jeremy Irons et d’autres sont venus. Nous avons eu des invités incroyables très vite. Dès la deuxième édition, le FIFM accueillait Francis Ford Coppola, David Lynch… Et cela n’a jamais cessé. Après 13 ans de collaboration avec Public Système Cinéma, qui était co-organisateur, la Fondation, forte de son expérience, a aussi eu besoin de cette année pour restructurer les équipes du festival.
Comment justifiez-vous le départ de Public Système Cinéma ?
La collaboration avec Public Système Cinéma s’est toujours très bien déroulée. Leurs équipes ont réalisé un formidable travail et leur apport au festival a été très important. J’ai adoré travailler avec Bruno Barde et ses équipes. Certains sont devenus des amis. Ils nous ont apporté toute leur expertise artistique et organisationnelle. À présent, la Fondation ne souhaite plus faire appel à une société pour organiser le festival, mais plutôt le produire intégralement. Pour cela, elle a mis en place ses propres équipes avec notamment une nouvelle direction artistique.
L’agence est remplacée par les équipes de la Fondation…
La Fondation a voulu qu’il y ait une équipe artistique avec différentes personnalités internationales incluant une personnalité marocaine. Ce comité est dirigé par Christoph Terhechte, très réputé dans le monde de la cinéphilie et des festivals. Il a quitté la Berlinale pour rejoindre le Festival de Marrakech. À ses côtés, on retrouve Rasha Salti, qui a travaillé aux festivals de Toronto et d’Abu Dhabi. Ali Hajji, qui a travaillé au FIFM en 2002 et 2003, est un grand cinéphile et un expert en cinéma, mais aussi le coordinateur général du festival. Anke Leweke, critique de cinéma, oeuvre au sein du comité de sélection de la Berlinale. Rémi Bonhomme est le coordinateur général de la Semaine de la critique au festival de Cannes. La compétition sera toujours axée sur les premiers et deuxièmes films. Marrakech a toujours eu cette envie de découvrir des talents. Je rappelle qu’Alexander Payne avait reçu l’Étoile d’Or à Marrakech avant de recevoir un Oscar. Alicia Vikander a reçu son premier prix d’interprétation à Marrakech avant son Oscar… Notre volonté est donc de continuer à découvrir des réalisateurs du monde entier et notamment du Maroc, du monde arabe et d’Afrique. La qualité va primer comme toujours, tout en privilégiant la découverte de nouveaux réalisateurs.
Quelles sont les grandes nouveautés de cette année ?
Nous avons mis en place un panorama du cinéma marocain avec une sélection des productions de l’année à destination, notamment, de directeurs de festival et sélectionneurs que nous allons inviter pour leur faire découvrir ces productions récentes. Il est indispensable de promouvoir le cinéma marocain. Il y aura aussi une section de films plus expérimentaux dans une plus petite salle. Nous allons également créer des ateliers de travail pour accompagner les productions marocaines, africaines et arabes. Ces ateliers sont organisés par Rémi Bonhomme, dont c’est aussi la spécialité puisqu’il en organise déjà dans plusieurs pays, depuis plusieurs années. L’idée est de sélectionner 6 films en postproduction, des films fragiles financièrement, qui ont besoin d’aide, et 8 films en développement. Nous allons inviter des vendeurs internationaux, des producteurs, des directeurs de festival, des techniciens qui peuvent apporter leur savoir-faire à ces jeunes réalisateurs et producteurs. N’oublions pas qu’il existe un fonds au CNC baptisé «L’aide aux cinémas du monde», dont le Maroc fait partie. Un producteur français peut donc co-produire un film marocain. Le Maroc a signé plus de 20 traités de coproduction avec des pays européens, américains, africains et arabes. C’est pour cela que nous inviterons des producteurs du monde entier, mais aussi des producteurs français de films d’auteur, ouverts au cinéma marocain et de la région. Cela s’étalera sur plusieurs jours et il y aura des prix remis pour aider ces projets à voir le jour.
Ce programme ambitionne-t-il de remplacer Cinécole ?
Pas vraiment. Il s’agit d’un autre projet, beaucoup plus ambitieux. Mais contrairement à Cinécole, où l’on remettait un prix à un court métrage fini afin d’aider un jeune à continuer, nous allons effectuer un vrai travail d’accompagnement. Sur plusieurs jours, du matin au soir, ils vont travailler avec des professionnels pour améliorer leur projet et apprendre à le vendre afin de trouver des financements.
Qu’en est-il des masterclasses ?
Les masterclasses sont devenues une marque de fabrique du Festival de Marrakech, et cela fait partie des acquis qu’on ne veut pas abandonner. Au contraire, nous aimerions les développer. Nous aimerions passer à 6 masterclasses. Nous pensons aussi à des conversations avec des personnalités diverses, pas obligatoirement des acteurs et des réalisateurs. Vous avez de grands maîtres pour faire des masterclasses avec un grand nombre de spectateurs, mais il y a aussi de belles personnalités qui peuvent partager leur savoir dans une salle plus petite, avec une interaction plus aisée et un public plus averti. Ces rencontres seront ouvertes à tout le monde, et pas uniquement aux étudiants.
Vous êtes désormais Conseillère du président du festival. En quoi vos fonctions changent-elles ?
C’est un titre qui m’honore. Les fonctions restent à peu près les mêmes. Je fais partie du comité de direction. Je suis tellement heureuse de travailler étroitement avec Fayçal Laraïchi et Sarim Fassi Fihri. J’ai le plus grand respect pour eux. Je suis là depuis la première année, donc je connais bien l’organisation du festival dans sa globalité. Mais une grande partie de mon travail consiste à former le jury, proposer de grands noms pour les hommages et les masterclasses, les convaincre puis organiser leur venue. C’est aussi un travail d’ambassadrice à l’année, de promouvoir le festival ainsi que le Maroc. Avec la reprise, je me suis beaucoup impliquée. Il a fallu construire une nouvelle équipe. Nous sortons, avec l’équipe de direction, de trois jours de séminaire avec les nouvelles équipes qui sont très motivées. Il y a beaucoup de travail et je peux vous assurer qu’il y a une réelle envie de faire de ce festival une grande réussite!
À quel point ce festival est-il important, a fortiori dans le contexte international actuel ?
Ce festival est important car il véhicule des valeurs fortes comme l’ouverture, la diversité et l’échange. On reçoit des personnalités du monde entier, de religions différentes, les films ne sont pas censurés. Le Maroc est une terre d’accueil et l’a toujours prouvé. Le festival porte des valeurs marocaines et un message important.
Comment le FIFM contribue t-il au rayonnement du cinéma marocain ?
Je pense qu’il est important pour le cinéma marocain, et beaucoup de professionnels me le disent. Quand on a commencé, on recensait cinq productions par an. Aujourd’hui, leur nombre est passé à 25. Le festival, je pense, contribue de différentes manières à aider le cinéma marocain et à pointer l’importance d’avoir un cinéma au Maroc. Sarim Fassi Fihri, qui est un des vice-présidents du festival, est aussi le directeur du Centre cinématographique marocain. Cela prouve combien la Fondation veut impliquer le cinéma marocain. Avec toutes les nouveautés que je viens de détailler, on souhaite aider les professionnels marocains à rencontrer des personnalités et des producteurs pour les aider à développer leurs projets. Les ateliers et le panorama viendront renforcer cette volonté.
Cette année blanche vous a permis de vous concentrer sur votre carrière de productrice avec «In the Fade», de Fatih Akin, qui a remporté un prix à Cannes et un Golden Globe…
La production est une chose que j’avais envie de faire depuis très longtemps. Depuis 15 ans, en fait. Cela me faisait un peu peur parce que devenir productrice avec le nom que je porte était un grand challenge. Mon mari était un producteur exceptionnel. Il a produit plus de 200 films dont de nombreux chefs-d’œuvre comme «Fanny et Alexandre» de Bergman ou encore «La Cité des femmes» de Fellini. Il fallait démarrer à petite échelle. Je me suis associée à une amie productrice en 2014 et nous avons produit un film indépendant indien qui a tout de suite été sélectionné dans la catégorie «Un certain regard» à Cannes, pour lequel nous avons reçu deux prix. Ça a démarré de façon magique! La production est très difficile, il y a des risques, une recherche perpétuelle d’argent. C’est angoissant et stressant. Mais lorsque l’on a la reconnaissance de ses pairs, c’est encourageant! Puis j’ai appelé Fatih Akin, que Martin Scorsese m’avait présenté il y a une dizaine d’années, et je l’ai convaincu de co-produire son film. Cela a été une expérience enrichissante et extraordinaire avec le film en compétition à Cannes et un prix d’interprétation pour Diane Kruger, puis un Critic Choice Award à Hollywood et un Golden Globe. C’était tellement émouvant! J’étais dans la salle et Fatih Akin a cité mon nom. J’en ai pleuré d’émotion…
D’où vous vient ce contact facile avec les artistes ?
J’ai un grand respect pour les artistes. Cela vient sûrement de mon mari qui avait une grande admiration pour eux. Je connais beaucoup de personnalités mais j’ai toujours eu un faible pour les réalisateurs. Je peux passer des heures à les écouter. Il n’y a pas d’école pour apprendre à créer pareils liens avec les artistes. Je pense que la vie difficile que j’ai eue, enfant, m’a donné cette sensibilité qui me permet peut-être de les comprendre. Ils sentent sûrement cette fragilité que je passe ma vie à cacher. J’aime découvrir qui sont les gens, en savoir plus sur leurs angoisses, sur leurs névroses et en produisant des films, on arrive à déceler cela chez les réalisateurs. C’est fascinant. J’aime l’être humain. Quand on me regarde, on pense que je suis une bourgeoise du XVIe arrondissement. Mes parents étaient modestes, ma mère était femme de ménage. J’ai vécu à la DDASS quand mes parents sont décédés. Je ne renie jamais d’où je viens et j’essaie d’être la plus vraie possible. J’ai compris bien tôt que la chose qui m’appartenait était ma dignité.
Comment comptez-vous jongler entre vos deux casquettes ?
Je vais ralentir la production, travailler différemment, en collaboration avec d’autres producteurs. Cela me prendra moins de temps et ce sera moins stressant. Je pourrai me consacrer davantage au Festival de Marrakech et à d’autres activités. Mes enfants sont grands, ils ont quitté la maison… Je vais devoir combler ce manque! (Sourire).
Dans quel état d’esprit êtes-vous, à la veille de cette 17e édition ?
Les deux dernières éditions du festival, j’étais moi-même essoufflée. C’était un travail intense. On me voit sur le tapis rouge et on a tendance à penser que mon travail est facile. Or, pas du tout. Aujourd’hui, je peux dire que j’ai retrouvé mon énergie et mon enthousiasme des débuts. C’est un projet qui a toujours été passionnant pour moi. Le Maroc fait partie de ma vie et de celle de mes enfants depuis 18 ans. Nous nous sommes toujours sentis chez nous au Maroc et j’y ai des amis merveilleux. Je suis toujours très émue d’y retourner. J’y ai tellement de souvenirs heureux, dont beaucoup avec mon mari et, évidemment, la création du festival à laquelle je suis fière d’avoir participé. Aujourd’hui, le festival reprend et je vous avoue qu’il m’a beaucoup manqué l’année dernière…
* SAR le Prince Moulay Rachid