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Les syndicats en perte de vitesse

Quel est le véritable poids des syndicats au Maroc ? Une question on ne peut plus légitime dans le contexte actuel marqué par le gel du dialogue social et la difficulté pour les syndicats de faire entendre leur voix auprès du gouvernement en dépit du recours aux moyens de protestation. Les syndicats sont accusés de faiblesse et d’incapacité à mobiliser les foules. Les avis sur cette question sont mitigés.

Les syndicats au Maroc ont visiblement perdu leur éclat d’antan. Ils sont fragmentés et affaiblis, de l’avis des observateurs. En dépit des moyens de protestion observés, dont les grèves aussi bien sectorielles que nationales, les organisations syndicales ont peiné, au cours des dernières années, à convaincre le gouvernement de satisfaire leurs requêtes. Elles n’arrivent manifestement pas à mobiliser les salariés pour faire pression sur l’Exécutif. En témoigne la dernière grève dans la fonction publique et les collectivités locales dont le taux officiel de participation était de seulement 22%.

Ce pourcentage est de loin inférieur au taux de 72% annoncé par les syndicats, qui accusent le gouvernement de vouloir affaiblir le mouvement syndical. Une accusation réfutée avec véhémence par le ministre de la Fonction publique Mohamed Moubdii. Pour le professeur universitaire Miloud Belcadi, l’incapacité des syndicats à mobiliser leurs bases est avérée. Il explique cette situation par l’archaïsme dans la gestion et les méthodes de négociations des syndicats au Maroc. «Les discours n’ont pas changé pour s’adapter aux besoins de la classe ouvrière. Les syndicats qui ont perdu leur crédibilité sont toujours attachés à l’idéologie et à la culture traditionnelle. Ainsi, un fossé s’est creusé entre la classe ouvrière et les syndicats», relève-t-il. D’ailleurs, même le taux du syndicalisme au Maroc est très faible.

Selon une enquête du Haut-commissariat au Plan réalisée en 2014, seuls 3% des actifs occupés sont affiliés à une organisation syndicale, 5% en milieu urbain et moins de 1% en milieu rural. Parmi les salariés, cette proportion a atteint environ 6% au niveau national, 7% en milieu urbain et moins de 2% en milieu rural. Pourquoi les syndicats n’arrivent-ils pas à recruter des adhérents ? Le secrétaire général de la Fédération démocratique du travail, Abdelhamid Fatihi, avance plusieurs raisons à la faiblesse du taux des syndiqués au Maroc dont les discours différents des syndicats et la peur du salarié quant à l’évolution de sa carrière. À cela s’ajoute, selon lui, le manque de formation en matière d’action syndicale : «Les responsables syndicaux ne sont pas formés au travail syndical, à la gestion des dossiers et des problèmes individuels, aux techniques de négociations… On devient syndicaliste sans formation».

La balkanisation de la scène syndicale fait également partie des facteurs qui affaiblissent la force des syndicats, qui peinent à parler d’une même voix, même en cas de coordination entre certaines centrales syndicales. En témoigne le dernier round du dialogue social. Bien que l’UMT, la CDT et l’UGTM aient officiellement resserré leurs rangs, les trois syndicats ont peiné à gérer leurs différends, selon une source interne. En l’absence d’un bloc syndical homogène, il s’avère difficile de négocier en position de force. Les syndicats sont appelés à unir leurs efforts pour pouvoir jouer la même partition. Ils doivent également renforcer leur démocratie interne, l’un des piliers fondamentaux de la force syndicale. Jusque-là, la démocratie interne des syndicats est pointée du doigt.

Les guerres intestines et les scissions ont fragilisé le corps syndical. Khalid Houir Alami, membre du bureau exécutif de la CDT, tient à balayer d’un revers de main les critiques adressées au mouvement syndical soulignant que la carte de la démocratie interne est toujours brandie pour descendre en flammes les syndicats. «Je pense que la démocratie interne est du ressort des militants de chaque syndicat, qui décident et choisissent les responsables. Les statuts contiennent des articles de contrôle et de suivi ainsi que les mécanismes du choix», relève-t-il. Abdelhamid Fatihi ne semble pas partager cet avis.

Ce syndicaliste estime qu’il est on ne peut plus nécessaire de se doter d’une loi sur les syndicats, mais certains syndicalistes ne sont pas favorables à la mise en œuvre d’une loi régissant leur secteur. Gelé depuis des années, le projet de loi sur les syndicats devrait bientôt être mis dans le circuit législatif pour fixer les modalités de gestion de ces institutions tant sur le plan organisationnel que financier. Les syndicats ne sont actuellement assujettis à aucun contrôle bien qu’ils bénéficient de la subvention étatique (20 MDH répartis en fonction de la représentativité des syndicats aux élections professionnelles).

Mohamed Moubdii
Ministre de la Fonction publique et de la modernisation de l’administration

Le gouvernement ne tend nullement à affaiblir les syndicats. Le taux de participation de la dernière grève nationale annoncé par le ministère est basé sur les statistiques des différents services tant centraux que régionaux. Les centrales syndicales ont le droit d’observer la grève et d’exprimer leurs points de vue. Il est de l’intérêt du Maroc d’avoir des syndicats forts qui encadrent les salariés. Nous sommes à l’écoute des syndicats et prêts à faire des efforts sur plusieurs plans. Le dialogue social reste d’ailleurs ouvert.

Khadija Zoumi
Parlementaire de l’UGTM

Il n’est de l’intérêt de personne d’affaiblir les syndicats. La dernière grève était une réussite. L’Exécutif a l’obligation d’écouter la voix des syndicats dans un contexte où il est nécessaire de renforcer le front intérieur. Les syndicats doivent être logiques dans leurs requêtes et pour sa part le gouvernement est appelé à être logique dans sa réponse.



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