«Les plans d’aménagement devront intégrer la verticalité»
Les grandes villes s’attendent à de gros changements sur le plan urbanistique. La rareté du foncier et l’augmentation de la demande en sont la cause. Une réalité qui interpelle en premier lieu la tutelle. Nabil Benabdallah explique sa recette pour la gestion de ce chantier.
Les Inspirations ÉCO : Comment les données des études que vous avez menées seront-elles exploitées dans le cadre des politiques publiques sur l’habitat ?
Nabil Benabdallah : L’un des premiers axes sur lequel devra s’attarder le gouvernement, que ce soit l’actuel ou celui à venir, concerne la problématique du foncier. Partant des résultats de ces études, il apparaît de plus en plus clairement qu’il y aura des changements sur le plan urbanistique. Il s’agit aujourd’hui d’une nécessité étant donné que le foncier est rare et que la demande reste importante. Nous allons donc nous résigner à aller vers la verticalité. Il faudra donc que nous revoyons les plans d’aménagement pour permettre la construction au-delà du R+4 ou du R+5 pour satisfaire la demande grandissante en appartement dans les villes. Aujourd’hui, la seule solution qui nous reste, c’est de monter en hauteur. Nous pourrons monter jusqu’à du R+8 en vue de rentabiliser l’investissement des promoteurs.
La demande est d’ailleurs principalement dirigée vers le logement social et celui pour la classe moyenne…
En effet, il existe une forte demande vers le logement social et le logement de classe moyenne. Cela veut dire qu’il faudra répondre à cette demande spécifique. Autrement dit, il faudra trouver du foncier disponible et abordable, ce qui est pratiquement impossible dans les grandes villes. Il apparaît clairement que l’essentiel de la demande est une demande urbaine. Il faut préparer le terrain pour ces familles qui s’installeront bientôt dans ce périmètre urbain, dont une bonne partie est issue de l’exode rural. Il faudra prévoir du logement qui corresponde au pouvoir d’achat réel des gens. Les promoteurs seront appelés à adapter leur offre à ce que dégagent ces études. Pour ce qui est de la classe moyenne et en vue d’encourager la vente d’appartements à 7.200DH le m2 (TTC), nous avons accordé des avantages non pas aux promoteurs mais aux acheteurs en les exonérant de la taxe foncière et de la taxe d’enregistrement. Il y a un certain nombre de réflexions à avoir dans ce cadre et nous sommes en train de réfléchir aux inflexions que nous pouvons apporter aux politiques publiques à partir des résultats de ces études.
Quelle lecture faîtes-vous des résultats de l’enquête de satisfaction du programme villes sans bidonvilles ?
La première étude que nous avons menée avec ONU-Femmes concernant la situation des femmes dans les bidonvilles a confirmé une évolution indéniable de la situation des femmes vu les indicateurs sociaux. Sur le champ de l’habitat, elle nous donne des résultats qui vont à l’encontre de ce qui se dit concernant les politiques publiques de lutte contre l’habitat insalubre. Elle répond aux allégations selon lesquelles les logements proposés à ces personnes ne sont pas de qualité, que les bénéficiaires sont envoyés plus loin que leur cité d’origine ou qu’ils revendent leur bien pour se réinstaller à nouveau dans des bidonvilles. L’étude montre exactement le contraire avec un taux de stabilité de 87% et un taux de satisfaction d’environ 90%. Cela veut dire que ces gens sont satisfaits et c’est normal qu’ils le soient. Ils sortent d’une situation de bidonvilles et se voient dotés d’un logement propre, doté d’eau, d’électricité et de sécurité.
La deuxième étude a démontré la subsistance d’un important déficit en logements…Quelles leçons en tirer ?
La deuxième étude était tout aussi importante car elle nous permettait de savoir comment a évolué le parc logement urbain au Maroc. Il s’agit d’une photographie à un instant T en l’occurrence à fin 2012. Nous avons constaté que près de 67% des logements font partie de ce que l’on appelle la «maison marocaine moderne». Cette étude a démontré aussi une évolution accrue en appartement qui est passée d’une demande de 12% à environ 18%. L’un des principaux enseignements qui ressort de l’étude de manière claire et confirmée est que le déficit en logement se situe à environ 500.000 unités. L’étude prévoit à ce titre des projections sur 10, 15 ou 20 ans pour combler ce déficit en logement. Nous travaillons actuellement sur le choix du scénario le plus intéressant.
La 3e étude sur le logement est de loin la plus ambitieuse. Pourquoi une telle étude ?
Il s’agissait pour nous de savoir ce que veulent vraiment les Marocains comme logement. Il ne s’agit pas ici d’exprimer une aspiration ou l’expression d’un désir mais de savoir ce que l’on cherche concrètement aujourd’hui. Les familles que nous avons questionné, plus de 55.000 familles dont 42.000 ménages en milieu urbain et 13.000 en milieu rural, font état d’un besoin immédiat et ce que ce soit par un achat par paiement direct ou un paiement en différé. La demande globale en habitat, au niveau national, est de l’ordre de 1,5 million d’unités d’habitations. L’essentiel de cette demande est orienté vers l’appartement et le logement collectif. Il y a une évolution des mentalités au Maroc : Les gens ne veulent plus des lots de terrain, très souvent situés en dehors du périmètre urbain et des grandes villes et préfèrent rester proches dans le cadre d’appartements. 80% de la demande est exprimée pour des appartements. Autre détail qui a son importance : La demande est surtout dans les villes et dans les grandes régions. Ce qui souligne qu’il n’y a pas beaucoup de mobilité. Ce sont les mêmes régions qui reviennent, le Grand Casablanca, Rabat-Salé Kénitra et Marrakech. Soulignons aussi que l’immense majorité de cette demande est une demande en acquisition et pas en location.