Les leviers en panne
Au-delà de l’impact de la campagne agricole, le ralentissement de la croissance s’explique par la décélération de certains leviers de croissance comme l’investissement ou la demande intérieure. D’après l’analyse du HCP, les conditions de ce début d’exercice 2016 sont porteuses d’un contexte social où la problématique de la pauvreté et des inégalités sociales et territoriales devrait se poser avec une nouvelle acuité. Le HCP plaide pour qu’au-delà de la donne climatique de 2016, le Maroc s’inscrive dans la perspective de l’année 2017 afin de relancer la machine économique et lui permettre de tirer profit de certains comportements positifs de sa dynamique actuelle.
Agriculture : Entre optimisme et incertitudes !
Les inquiétudes relatives aux risques d’une mauvaise campagne agricole en 2016 se confirment de jour en jour avec le retard des pluies qui se poursuit. Même s’il faudrait encore attendre jusqu’au mois de mars pour confirmer cette tendance, le déficit pluviométrique, qui a atteint 61% au mois de décembre dernier, va impacter le secteur primaire avec une production céréalière que le HCP estime déjà en deçà de 40 millions de quintaux. La campagne 2015/2016 risque donc de figurer parmi les années les plus sèches qu’ait connues le Maroc. Le fait qu’elle coïncide avec l’apparition du phénomène «El Nino» fait rapprocher son profil des campagnes de 95 et de 2007 durant lesquelles la valeur ajoutée du secteur agricole a connu des baisses respectives de l’ordre de 41 et 20,8%. Pour cette année, cette baisse est estimée à 10,2% selon les projections du HCP, sous condition de révision en fonction de l’évolution de la situation à partir des deux prochains mois. Toutefois, le HCP tempère les inquiétudes en soulignant que «la valeur ajoutée agricole devrait bénéficier de la contribution des différentes cultures irriguées et des retombées positives de la précédente campagne». De même, le renforcement des programmes d’investissement et l’appui technique et financier du Plan Maroc vert (PMV) tendent à renforcer le long processus de modernisation des structures du secteur agricole et par conséquent l’amélioration de sa productivité. «Il continuera, cependant, à marquer pendant longtemps, une grande sensibilité aux conditions climatiques et à impacter la croissance». La preuve, par effet domino, si l’impact de la campagne 2016 sera en partie atténué par l’excellente production de 2016, la mauvaise récolte de cette année aura également des répercussions sur celle de 2017.
Demande intérieure : La dynamique s’essouffle
Selon le constat dressé par le HCP, la tendance au ralentissement de la demande intérieure qui constitue la principale source de croissance des activités non agricoles est en train de persister. Cela d’autant plus que les indicateurs font état d’une maîtrise de l’inflation et d’une aisance des liquidités monétaires soutenue par une nette reconstitution des réserves de change du pays. Le ralentissement est accentué par un effort d’investissement moins soutenu et une baisse de régime de la consommation. En 2016, la demande finale intérieure devrait continuer, malgré son ralentissement, à soutenir la croissance du PIB. Elle devrait s’accroître de 1,7% contre 2,2% en 2015 maintenant ainsi sa contribution à 2,4 points. La consommation des ménages devrait s’accroître de 2,9% de volume et celle des administrations publiques de 1%, ce qui devrait se traduire par une croissance globale de la consommation finale de 2,5% en 2016 alors que sa contribution à la croissance du PIB devrait être d’1,9%.
Investissement : L’effort baisse en régime
Selon les données du HCP, l’investissement a baissé pour la première fois depuis 2006 sous la barre des 30% de PIB dans le sillage du trend baissier entamé en 2012 avec 29,1% en 2016 contre 34,7% en 2013. Il s’agit d’un réel motif d’inquiétude surtout que relève Lahlimi : «ce revirement de tendance est observé alors que le Maroc a besoin encore de l’accumulation du capital physique pour améliorer la productivité de son économie». Cela d’autant plus que le rôle de l’investissement est de plus en plus érigé comme un facteur stratégique pour une amélioration durable de la croissance et de l’emploi alors que parallèlement l’atténuation du déficit budgétaire se réalise par un relâchement de l’effort de l’investissement public sans que le capital privé ne prenne le relais, «ni qu’une politique monétaire, confortée par une situation internationale favorable n’apporte sa contribution à la redynamisation de l’activité non agricole». Pour le HCP, il est impératif que le secteur privé prenne une part plus substantielle dans l’investissement national tout comme le niveau des investissements publics devrait être maintenu. «Il apparaît aujourd’hui que si l’intensification des investissements publics est encore nécessaire pour absorber le passif en infrastructures économiques et sociales, elle ne serait plus à elle seule déterminante pour redynamiser l’initiative privée», a alerté le HCP.
Au-delà du débat…
La messe est dite ! Avec un rythme de croissance d’un peu plus d’1% attendu cette année, le gouvernement devra s’attendre à une véritable levée de boucliers sur sa capacité à relancer la machine économique, comme il l’a promis. L’année 2016 étant une année électorale par excellence avec la fin du mandat de l’actuel chef du gouvernement et les législatives d’octobre prochain, le débat sera d’autant plus amplifié qu’il servira la cause de l’opposition, qui n’a jamais manqué l’occasion de tirer à boulets rouges sur le faible impact des lois de Finances adoptées ces dernières années. Au-delà du taux de croissance qui est, on le concède, un indicateur de premier ordre de la santé économique du pays, les véritables enjeux sont à chercher ailleurs. Le ralentissement de croissance de cette année, aussi marqué soit-il, ne doit pas occulter le bilan économique de ces dernières années, qui lui est plus reluisant. La preuve, les institutions internationales et autres agences de notation, qui ont aussi leur mot à dire, ne cessent de tresser des lauriers au Maroc pour les résultats macroéconomiques enregistrés à la suite de la mise en œuvre d’une série de réformes dont le coût politique est notable.
Il ne faudrait pas l’oublier aussi, des mesures impopulaires ont été prises pour faire face à la situation alarmante dans laquelle végétait l’économie nationale en 2012. On ne pourrait aller jusqu’à concéder à l’Exécutif un argument de parade en abusant du célèbre mais désuet prétexte que c’est la faute à la pluie car gouverner c’est prévoir ! Et c’est à note avis tout l’enjeu de l’heure, lequel devrait transcender les débats politiques actuels afin que la dynamique soit maintenue pour qu’in fine, le Maroc continue d’avancer en consolidant les acquis enregistrés. Les bons crus comme les mauvaises passes, dont la paternité ne doit pas être toujours mise à l’actif de l’Exécutif, sont donc à prendre en considération, celui d’aujourd’hui comme de demain, et au nom de la continuité de l’État.