La recette d’El Khalfi pour dynamiser les associations
Le département de la société civile est en train de se pencher sur plusieurs dossiers pour redresser les dysfonctionnements : la révision de l’arsenal juridique, la réforme du système fiscal, le renforcement des compétences des acteurs associatifs, l’accès aux médias, la promotion du financement public…Les détails avec le ministre chargé des Relations avec le Parlement et la société civile, Mustapha El Khalfi.
Les Inspirations ÉCO : Les associations parviennent-elles à jouer leur rôle de médiation ?
Mustapha El Khalfi : Le rôle de la société civile en tant que système de médiation est on ne peut plus important. Il permet la prévention et la résolution des problèmes sociaux, et par conséquent, le renforcement des capacités proactives de l’État dans le traitement de nombre de dossiers ainsi que l’instauration de la convergence entre les politiques et les initiatives publiques. À ce titre, le rôle des associations est fondamental. La médiation permet aussi l’interactivité avec les initiatives de l’État. Or, on assiste actuellement à une atrophie du rôle de la société civile en matière de médiation entre l’État et la société. Il est à noter que la société civile n’est pas un rassemblement quantitatif des associations. Dans une région, les associations pourraient être nombreuses, mais sans pour autant qu’elles aient un lien entre elles et puissent constituer une vie associative. Cette situation ne permet pas de créer une société civile ; laquelle est la résultante d’une dynamique entre les associations elles-mêmes, d’une part, et du développement des relations avec la société et l’État, d’autre part.
Quelles sont vos priorités pour vous attaquer aux divers dysfonctionnements constatés ?
Le projet du ministère est basé sur le diagnostic que nous avons établi, les rapports du CNDH et du CESE, les résultats du dialogue de la société civile, les travaux de la Commission du contrôle des finances publiques… Cinq projets sont ficelés avec cinq mécanismes. Le premier mécanisme est relatif au cadre juridique. Il faut une réforme globale du système juridique. Nous avons avancé au niveau du texte encadrant la bienfaisance publique et celui du volontariat. Nous allons passer, par la suite, aux textes des fondations, des consultations publiques et des associations.
Où en sont ces projets de loi ?
Le projet de loi portant sur la bienfaisance publique est presque prêt. Des consultations ont été lancées pour le projet du volontariat que j’ai transféré au Secrétariat général du gouvernement. La préparation du projet de la consultation publique est en cours. Par ailleurs, une commission commune avec le Secrétariat général du gouvernement a presque finalisé le projet sur les fondations.
Quels sont les autres mécanismes pour dynamiser la société civile ?
Sur le volet de la formation, nous avons lancé un programme pour renforcer les capacités des acteurs associatifs (1.200 acteurs, formation des formateurs, formation à distance, édition des guides de formation..). À cela s’ajoute la nécessité de la réforme du système fiscal. Une étude préliminaire du Code général des impôts a été faite. Quelque 10 dispositions nécessitent d’être révisées. D’ailleurs, l’une d’elles a été revue dans la Loi de finances 2018. Il s’agit de l’encouragement de la participation des associations en matière d’emploi en leur offrant des avantages fiscaux octroyés à l’entreprise nouvellement créée pendant 24 mois. On est en discussion avec le ministère de l’Économie et des finances sur les autres dispositions.
Quelles sont les plus importantes dispositions fiscales à réviser au profit des associations ?
L’une de ces dispositions fiscales est relative à la formation. L’objectif est d’aligner le système fiscal des formateurs des associations sur celui des entreprises. À cela s’ajoutent la réduction fiscale forfaitaire ainsi que la révision du système de la taxe sur la valeur ajoutée. L’association n’est pas, en effet, le consommateur final. Le paiement par les associations des frais d’enregistrement et de timbre n’est pas logique. Il faut élargir le champ de certains avantages fiscaux comme ceux ayant trait aux personnes en situation de handicap à d’autres catégories comme des femmes en situation de difficulté, les personnes âgées…Certaines dispositions qui bénéficient aux associations reconnues d’utilité publique doivent être généralisées. Il faut adopter un cadre juridique spécifique à la comptabilité financière des associations.
Quid du financement des associations qui demeure très limité ?
C’est le quatrième mécanisme. Une étude a été lancée pour évaluer le cadre de partenariat de 2003 qui a besoin d’être revu, quinze ans après son adoption. La totalité des ressources des associations est de 10 milliards de dirhams. L’énergie potentielle de la société civile est dix fois supérieure à ces ressources. En tant que pays, on n’a pu mobiliser que 10% du potentiel de la société civile. On n’a pas encore atteint l’investissement global des potentialités. Il faut doubler le financement et garantir l’égalité en matière d’accès à ce financement. Quant au financement étranger, il est traité dans le cadre de la loi actuelle des associations. Le Secrétariat général du gouvernement reçoit les déclarations. Et notre objectif est de renforcer la transparence.
Ne pensez-vous pas que l’égalité en matière d’accès des associations aux médias à laquelle vous aspirez est un objectif difficile à atteindre ?
Il s’agit du cinquième mécanisme. Certes, l’objectif est difficile. Mais, nous avons fait une note sur les critères d’accès des associations aux médias comme : l’année de constitution, le domaine d’action, le registre des initiatives, l’adhésion aux instances de consultation publique et à celles de la démocratie participative. Il existe des critères relatifs estimatifs qu’on peut prendre en considération. La note a été envoyée à la HACA pour prendre une décision prenant en considération tous ces éléments.
Le financement public connaîtra-t-il un changement sur les plans quantitatif et qualitatif ?
La tendance est vers le renforcement des compétences financières de la société civile, car ses ressources demeurent limitées. Mon ambition est de doubler le financement public et faire adhérer la société civile au projet de développement de notre pays. Il faut aussi adopter les critères de transparence, d’égalité des chances et du mérite sur la base d’une évaluation axée sur des indicateurs précis. La réforme à laquelle nous aspirons au niveau du nouveau système de partenariat vise à prendre acte de ces critères. La concrétisation de cet objectif est tributaire de l’adhésion de la société civile. L’étude en cours va impliquer la société civile pour prendre en considération leurs propositions et leurs opinions en se basant sur l’évaluation de cette étape. Si on veut accorder un rôle important à la société civile dans le développement, il faut promouvoir le financement. Il ne faut pas compter uniquement sur le financement public. Il faut miser aussi sur les incitations fiscales. Il faut innover pour trouver de nouvelles sources de financement de l’action associative.
Pourquoi est-il difficile pour les associations d’avoir le statut d’utilité publique ?
Le nombre des demandes présentées est très limité. À cela s’ajoute la procédure. La demande est transférée au Secrétariat général du gouvernement. Il faut une enquête administrative de la part des ministères de l’Intérieur, des Finances, de la Santé, de la solidarité. Les conditions sont claires comme la nécessité d’avoir une comptabilité financière et de disposer des ressources. Parfois, il est compliqué pour l’association de tenir une comptabilité claire, vu que le système fiscal et celui du financement ne sont pas encourageants.
Quelle est la marge de manœuvre dont vous disposez pour imposer la création des instances de consultation publique?
La consultation est l’une des structures de la médiation. Notre ministère avec celui de l’Intérieur, organise des rencontres régionales avec les instances de consultation et les régions. Outre les consultations, nous dispensons des formations. Nous avons constaté qu’il fallait déployer de grands efforts en matière de création des instances de consultation, de leur activation et du suivi de leur action. La direction des collectivités territoriales a édité un guide important relatif à la consultation publique.
Réforme de la loi de la bienfaisance publique
La réforme de la loi portant sur la générosité publique devra permettre l’adaptation aux changements numériques au niveau de la collecte des dons. Elle s’assigne pour objectifs de combler les lacunes en matière de répartition des dons et d’instaurer les règles garantissant la transparence pour que les fonds collectés puissent bénéficier aux personnes cibles sur la base d’une comptabilité financière. La nouvelle loi va renforcer les dispositions de sécurité au niveau de la distribution. Il s’agit de tout un système de protection des données personnelles des bénéficiaires de la bienfaisance publique. On vise aussi le renforcement des dispositions interdisant son exploitation à des fins partisanes, politiques ou électorales.
Cinq mécanismes pour cinq projets
Mustapha El Khalfi mise sur cinq mécanismes pour la concrétisation de cinq projets visant la promotion de la société civile. Le premier a trait à la démocratie participative (les pétitions et les motions ainsi que les mécanismes de consultation publique au niveau des associations) qui est un axe complémentaire de la démocratie représentative. C’est ainsi que le programme d’activation de la démocratie participative a été lancé pour renforcer les compétences des associations en matière de présentation des pétitions et motions législatives.
Le deuxième programme a trait au rôle des associations en matière de sécurité sociale. L’objectif est de booster les associations pour qu’elles soient un acteur principal dans la lutte contre la criminalité de tout genre en les encourageant à assumer leur rôle en la matière.
Le troisième projet est relatif au modèle de développement : comment produire la richesse et la distribuer ? La société civile est, en effet, un levier pour le modèle de développement. Il s’avère nécessaire de renforcer son rôle en matière de suivi et d’évaluation de l’impact des politiques publiques relatives à la production de la richesse et sa distribution comme, à titre d’exemple, le programme de lutte contre les disparités sociales et spatiales. Les associations doivent non seulement évaluer les politiques publiques, mais aussi être une force de propositions. Sur le plan local et régional, elles doivent formuler des propositions dans le cadre des plans de développement. Elles peuvent jouer un rôle important en matière de respect des délais d’exécution des projets prévus dans les programmes d’investissement public sur le plan régional. Ce qui pourrait donner un véritable coup de fouet à la médiation.
Le quatrième projet porte sur le renforcement des capacités des acteurs associatifs en matière de plaidoyer autour de la cause nationale. L’investissement dans l’acteur associatif est une nécessité dictée par l’évolution de la société civile et la diversité des tribunes à l’échelle internationale permettant le plaidoyer autour de cette cause.
Le cinquième est relatif au défi de la transformation digitale. Les associations sont appelées à s’adapter tant au niveau de leurs méthodes de travail que des techniques utilisées à l’air du temps pour la formulation des projets, les formations, la collecte des financements…La révolution numérique permet de grandes opportunités pour l’action associative.