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Défaillances d’entreprises : L’État se sacrifie pour les banques

La baisse des crédits de trésorerie augmente la pression sur les TPE. L’État voie ses privilèges rétrogradés au profit des créanciers privés. Une réforme du Livre V du Code de commerce est à noter.

20% d’augmentation chaque année depuis 7 ans. C’est l’évolution du nombre de procédures collectives (redressements/liquidations judiciaires) au Maroc. Un chiffre «hautement inquiétant» comme l’affirme Amine Diouri, responsable des études chez Inforisk. En effet, cette tendance fait du système marocain de traitement des difficultés d’entreprises l’un des pires du monde, après celui du Danemark, de la Chine, du Viêt Nam et de la Thaïlande, la tendance mondiale sur cette même période étant une baisse de 5% annuellement. «La majorité écrasante (ndlr : plus de 95% des cas) des structures en difficultés sont des TPE agissant principalement dans le commerce, les BTP et la promotion immobilière, qui croulent sous les impayés (avec un délai de paiement moyen de 10 mois) et sont très peu financés par les banques», affirme-t-il. En effet, les derniers chiffres de Bank Al-Maghrib parlent d’une baisse des crédits de trésorerie au moment où la pression des délais de paiement se fait de plus en plus grande.

Les créances publiques «systématiquement» rétrogradées
Cette tendance est d’autant plus préoccupante que la majorité des cas finissent sur une liquidation plutôt qu’un redressement, synonyme de la survie de l’entreprise. Les juges préfèrent donc désintéresser les créanciers plutôt que de risquer une rechute fatale de la société. Seulement, les principaux démembrements de l’État se plaignent d’un certain «favoritisme» au profit des créanciers privés. «Le principe est celui de l’égalité des créanciers (ndlr, d’un même rang : hypothécaire, chirographaire…). Seulement l’État, et rarement aussi les banques, est le seul à devoir concéder des remises en cas de redressement», explique un juriste de la CNSS.

En effet, la réévaluation des dettes pour la sauvegarde de l’activité de l’entreprise est, d’après la jurisprudence du Tribunal de commerce de Casablanca, principalement le fait de l’État (82% des cas, selon les magistrats). Une «injustice» pour les agents de l’État qui se plaignent de la tendance des juges-commissaires à rétrograder leurs créances au profit de celles des banques et des fournisseurs en cas de liquidation. La jurisprudence démontre en effet que la hiérarchie classique des créanciers met les Administrations en dernier lieu, derrière les salariés, les établissements de crédit et les fournisseurs. Sauf que les praticiens considèrent souvent les dettes de l’État comme «un fardeau» supplémentaire pour l’entreprise en difficulté, à plus forte raison lorsque les caisses publiques peuvent s’en passer, mais il faut toutefois préciser que l’État n’est rétrogradé que lorsque sa créance est inférieure (en termes de valeur brute) à celle des créanciers privés.

De plus, la vérification des créances publiques conformément aux dispositions des articles 695, 696 et 697 du Code de commerce soulève le problème de la compétence du juge-commissaire (créances fiscales, créances de la douane, créances de la CNSS). Le Tribunal de commerce de Meknès a adopté une solution selon laquelle les contestations des créances publiques ne rentrent pas dans la compétence du juge-commissaire conformément aux dispositions de l’article 8 de la loi relative à la création des tribunaux administratifs. Néanmoins cette position n’a pas été admise par la Cour d’appel de commerce de Fès, argumentant que les créances de la CNSS sont des créances commerciales liées à l’activité de l’entreprise.

Rééquilibrer les rapports, le but de la réforme
Une profonde modification du droit des entreprises en difficulté est donc en cours. Une réforme qui a pour objectif de «mettre en place une procédure équilibrée qui puisse garantir les droits corollaires des débiteurs et des créanciers des entreprises en difficulté». En effet, le rapport de la commission parlementaire chargée de peaufiner le projet depuis 2015 indique que d’après «les entretiens menés et l’étude des évaluations, des rapports et des articles de presse antérieurs, il semblerait que bon nombre d’intervenants, notamment les représentants de l’industrie bancaire, estiment que le cadre juridique actuel des entreprises en difficulté ne permet pas une participation suffisante des créanciers aux procédures collectives». Estimant que les droits des créanciers ne sont pas équitablement protégés par rapport à ceux des débiteurs, les banquiers perdent confiance dans le système de traitement des difficultés, ce qui contribue, à son tour, à limiter le crédit disponible et, par extension peut-être le développement économique plus généralement. Un état de fait expliqué par le dernier rapport de l’USAID sur la législation commerciale au Maroc, qui indique que «les débiteurs de mauvaise foi et leurs conseillers juridiques ont trouvé des stratagèmes tels que celui d’omettre des créanciers de la liste des créances afin de retarder l’action en justice et susciter les litiges. Les juges et syndics sont souvent incapables de dépister les requêtes abusives de dépôt de bilan, et ceci en raison du manque de transparence des rapports financiers et de l’insuffisance de leur formation et des ressources disponibles». Le nouveau texte va donc réviser le système entier de la déclaration des créances afin que les créanciers soient mieux avisés et protégés. Il vise aussi une meilleure participation des créanciers durant la procédure de redressement, notamment en leur donnant accès à davantage d’informations financières sur le débiteur et en mettant en place des mécanismes efficaces pour les représenter, en leur permettant de participer à la préparation du plan et/ou en prévoyant des mécanismes de vote des créanciers.


Améliorer les prestations du Syndic

Ainsi, les critères de sélection du syndic, qui est le régulateur en chef des procédures, vont être revus. Selon de nombreux intervenants, un obstacle important à la mise en œuvre effective du système de procédures collectives est la qualité des prestations fournies par les syndics. Le syndic est nommé par le Tribunal de commerce pour un dossier spécifique mais en l’absence de tout cadre réglementaire, sa sélection et sa désignation ne sont soumises à aucune condition de formation, d’ancienneté ou de déontologie. Le projet de loi pose ainsi une série de conditions pour la désignation de ce syndic : ancienneté, relation étroite avec le domaine d’activité de l’entreprise en difficulté et mise en place d’un tableau de rémunération proportionnelle aux montants des créances. Cependant, seuls 3 articles concernent les syndics alors qu’il s’agit d’un auxiliaire de justice dont la profession devrait être réglementée : «L’absence d’un cadre réglementaire régissant les syndics au Maroc est frappante, alors qu’en France la profession d’administrateur judiciaire se prévaut d’une expérience qui remonte à plusieurs décennies, et d’être régie par un cadre réglementaire bien établi. Il en est de même des normes et des principes internationaux en matière d’entreprises en difficulté qui exigent clairement que les professionnels du domaine, tels que les syndics, soient réglementés», indique le juriste Mohamed Jenkal.


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