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Dar El Kheir, ce fourre-tout pour les maux de la société

Le Centre Dar El kheir, à Tit Melil, accueille tous les laissés pour compte de la société marocaine. SDF, retraités, malades mentaux y co-habitent dans des conditions déplorables. Immersion…

Leur nombre ne cesse de croître. La ville de Casablanca compte de plus en plus de personnes en situation de grande précarité et des sans-abris.  Après chaque rafle, ces SDF sont souvent conduits au centre Dar El Kheir de Tit Mellil. En dépit de la rigueur du froid cet hiver, ils font tout pour ne pas y être conduits, ou pour s’en échapper le plus rapidement possibles. La raison invoquée: les conditions de vie y sont déplorables et la rue vaut mieux que les murs de ce centre. Les Inspirations ÉCO y a fait le déplacement…

Les associations tirent la sonnette d’alarme  
Mohamed, qui s’est retrouvé dans le monde des SDF après le divorce de ses parents, préfère compter toute l’année sur la générosité des gens plutôt que d’être conduit au centre de Tit Mellil. «Je préfère me débrouiller seul plutôt que d’accepter d’être hébergé au centre de Tit Mellil», renchérit Adil, un autre jeune sans abri. Pour ce dernier, «c’est une solution transitoire. Et puis un jour ou l’autre, nous serons obligés de revenir à la rue surtout que l’hébergement n’y est pas de qualité». Les propos de ces deux jeunes sont appuyés par des acteurs associatifs locaux : «Les conditions d’accueil y est sont inquiétantes ». Ces derniers regrettent la mort, cette année, de plusieurs pensionnaires dans ce centre.«En 2016, on a enregistré le décès de 35 personnes», lancent-ils, estimant que les responsables font montre d’une grande négligence.Les associations critiquent le manque de solutions adaptées aux besoins des personnes hébergées dans ce centre. Nos sources vont jusqu’à accuser certains employés du centre de détourner les dons de vêtements faits au profit des pensionnaires par des associations caritatives.

Une enquête réclamée !
Toutefois, les responsables du centre ont accepté de nous recevoir. Construit dans la banlieue à une vingtaine de kilomètres de Casablanca, le centre n’ouvre ses portes qu’aux personnes autorisées. Devant le portail de l’établissement, plusieurs personnes attendaient avec des sacs et couffins. Ce lundi de novembre, il faisait froid et un temps pluvieux marquait cette journée d’hiver. Notre visite dans cet établissement nous a rapproché un peu du quotidien de ses 736 pensionnaires, dont 404 sont des femmes. Malgré les propos rassurants des responsables de l’établissement, la situation serait loin d’être apaisée. Première remarque, parmi les 736 pensionnaires, l’on retrouve les personnes saines d’esprit réunies dans les mêmes espaces avec déficients mentaux ( près de 350 personnes), alors que l’état de ces derniers nécessite un suivi et une supervision particuliers.

Cet ancien pensionnaire de la maison de bienfaisance d’Ain Chock, rencontré en dehors des murs du centre ne mâche pas ses mots : «Les conditions de vie des pensionnaires sont difficiles». Celui-ci cite, entre autres griefs, l’entassement, le manque d’hygiène et l’excès d’odeurs nauséabondes. Il ajoute : «Dès notre arrivée, en mars dernier, nous avons constaté qu’il y a beaucoup d’irrégularités dans cet établissement. Il n’y a aucun contrôle ni des autorités ni de la part de l’association Dar El Kheir». Notre témoin qui a requis l’anonymat, explique que lui et ses amis avaient certes tenté de  protester contre la situation, mais que les «menaces d’expulsion du centre» ont vite fait de les dissuader. Lors de notre visite, un pensionnaire du pavillon 3 nous apportera un témoignage qui abonde dans le même sens. Ce jeune nous confie, en effet, que les conditions d’hébergement sont déplorables, notamment dans les pavillons 8 et 9 où étaient placés des malades mentaux et des sans-abris. Lors de notre tournée dans l’établissement, notre guide évitera hélas de nous conduire dans ces deux zones.

Néanmoins, nos sources parlent de problèmes d’hygiène alarmants, de violence et d’une forte concentration de personnes alcooliques dans ces deux pavillons. Toutes les personnes approchées se désolent de ne pas voir d’enquêtes menées sur place pour auditer l’établissement. Cet ancien de l’Association de bienfaisance d’Ain Chock, indique avoir perdu son travail depuis son arrivée au centre qui se trouve être loin de la ville. «Pour cette raison, j’étais tous les jours en retard à mon travail. Je ne peux pas être heureux dans ce centre, mais en attendant que l’on trouve des solutions aux anciens pensionnaires de l’Association de bienfaisance d’Ain Chock et lorsqu’on n’a que la rue pour dormir, il est impossible d’imaginer une autre solution», affirme-t-il, non sans regret.

Placés par erreur   
Ce 28 novembre, notre visite a coïncidé avec l’arrivée de nouveaux pensionnaires. Une nouvelle campagne venait en effet d’être menée par les autorités de Casablanca. Dans le pavillon 4, qui abrite des femmes en situation difficile, près de 70 nouvelles femmes perdues de la société venaient d’être interpellées par la police. «En cette saison d’hiver, le nombre d’individus placés dans le centre augmente», précisait Fatima Zahra, une assistante sociale qui a bien accepté d’être notre accompagnatrice. Sitôt arrivés dans ce pavillon, nous sommes saisis par les cris d’une femme qui scandait être «arrivée ici par erreur». Selon des bénévoles, il ne s’agirait pas d’un cas isolé. «La police les prend pour des sans-abris alors qu’ils ont un domicile», déplorait un associatif de Tit Mellil. Cette femme, Naîma, nous explique qu’elle est mère de quatre enfants et qu’elle est locataire au quartier Al Azhar dans la préfecture de Sidi Bernoussi. Selon ses propos, elle aurait été arrêtée, le 25 novembre, alors qu’elle demandait l’aumône devant une mosquée. «Je n’ai pas vu mes enfants depuis vendredi. Je ne sais pas ce qui va leur arriver maintenant. Ils sont tous en bas âge et seuls à la maison», protestait Naîma. De son côté, le directeur exécutif du centre, nous explique qu’avant d’envisager de la relacher, la procédure veut qu’une enquête soit menée. «C’est l’enquête préliminaire menée par une assistante sociale, qui nous prouvera si cette femme est sans-abri ou pas. Ce n’est qu’après avoir mené cette enquête que nous pourrons procéder à sa libération», explique-t-il. En attendant, cette femme devra s’armer de patience encore quelques jours.

Saleté et maladie
Autre histoire, celle de Rachida, une vendeuse ambulante, qui a eu le malheur d’égarer sa carte nationale. «Mon malheur a commencé lorsqu’un jour, des individus m’ont volé mon portefeuille. J’ai un travail et j’étais locataire à Lahraouiyine. Mais depuis que j’ai perdu ma carte, on refuse de me louer un logement. Mon calvaire a commencé lorsque j’ai commencé à passer mes nuits dans la gare d’Ouled Ziane où j’ai été épinglée par les policiers, le 25 novembre», raconte Rachida. Mi Fatna, 70 ans et originaire de Laâyoune, est, quant à elle, placée dans ce centre depuis un mois. Nous l’avons rencontrée dans le pavillon des femmes âgées. «Je ne veux pas rester ici. Je veux vivre dans une maison de retraite. Là-bas, il y a au moins quelqu’un qui me lavera mes vêtements. Ici, mes vêtements restent toujours sales. Il n’y a personne qui s’occupe de moi le soir», regrette cette femme, qui souffre de rhumatismes. Une maladie qui, selon le médecin du centre, est prédominante chez les pensionnaires, notamment les plus âgés d’entre eux. «Plusieurs malades sont atteints de maladies chroniques telles que l’hypertension, le diabète et l’asthme. Durant cette saison d’hiver, les pensionnaires sont aussi touchés par les bronchites, le rhume», précise le médecin. 


Des finances dans le rouge ?

Les responsables du centre de Tit Mellil n’ont-ils pas la volonté de faire bouger les choses ou n’en ont-ils pas les moyens? Telle est la question. Selon les responsables de l’Association Dar El Kheir, qui gère l’établissement, la situation financière du centre serait désastreuse. Fin novembre dernier, ces responsables se disaient très inquiets concernant les finances du centre qui étaient déjà dans le rouge. «Le budget reste très en deçà des attentes», déclarait le président de l’Association Dar El Kheir, Mohamed Said Chamaa. Ce dernier, qui désapprouve la décision du Conseil de la ville de Casablanca de «repousser de plusieurs semaines l’octroi de la subvention allouée annuellement au centre», estime que cette situation pourrait s’aggraver. Il pointe notamment «les conséquences de cette subvention bloquée» par le conseil. «Le manque de ressources financières pour améliorer la situation dans le centre constitue le principal obstacle à la réalisation de ces objectifs. Et le retard dans le déblocage de cette subvention, qui est de 5,5 MDH, n’a pas vraiment arrangé les choses. Cela a même aggravé la situation», déclare Chamaa. Au conseil de la ville, on explique ce retard par une composition «illégale» du bureau de l’association Dar El Kheir. «En tant qu’association gérant ce centre social, la présence d’un élu parmi ses membres est contraire à la loi», nous explique-t-on. Or, Dar El Kheir était encore présidée par un élu il y a trois mois de cela. Par conséquent, selon le nouveau règlement du Conseil de la ville, tant que ce problème n’a pas été réglé, le centre «ne bénéficiera pas d’aide financière du conseil de la ville», tient à préciser Abdelmalek Lakhaili, du bureau exécutif du Conseil de la ville de Casablanca. Dans une déclaration aux Inspirations ÉCO, cet élu fait savoir que la subvention a finalement été débloquée après constitution d’un nouveau bureau par l’association. Néanmoins, cela ne semble pas rassurer les responsables. «Nous pensons que le budget ne doit plus continuer à être dépendant de la subvention octroyée par le conseil de la ville ou autres. Dans le cadre de notre plan d’action, il y aura certainement des mises à niveau dont, justement, l’amélioration du budget. Le but est surtout de lancer des projets générateurs de revenus», insiste Mohamed Said Chamaa. Lors des campagnes d’assainissement intervenant peu de temps avant les séjours du souverain à la capitale économique ou une manifestation internationale, le centre de Tit Mellil, d’une superficie de 12 ha, déborde. La barre des 1.000 pensionnaires peut facilement être atteinte, alors que la capacité d’accueil de ce centre, créé en 1999, est de 816 pensionnaires.

Les responsables restent confiants…
Malgré les critiques que le centre ne cesse de susciter chez les associatifs locaux -mais aussi chez ses pensionnaires- les responsables soutiennent que les choses se sont beaucoup améliorées par rapport à 2003. «Depuis cette date, les choses ont beaucoup évolué. L’ouverture du centre sur son environnement s’inscrit d’ailleurs dans le cadre de la politique de transparence que nous prônons actuellement», estime le directeur exécutif du centre, Jalal Mabrouk, qui reconnaît qu’un manque important de ressources s’ajoute à la crise financière. «Il y a un déficit en matière de ressources humaines (95 employés). Et dans l’état actuel des choses, le staff doit être renforcé». Il ajoutera que l’association compte bien prouver que tout peut se dérouler dans le calme. «Il peut y avoir des problèmes comme dans n’importe quel centre de ce genre, mais nous ferons de notre mieux pour les régler et lever les inquiétudes qui peuvent naître chez certains. Certes, un manque en termes de ressources humaines subsiste, mais l’équipe actuelle est très compétente», estime Mabrouk. Le directeur exécutif du centre de Tit Mellil explique qu’une réelle mise à niveau de l’établissement est fortement souhaitée.  


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