Chez les sans-papiers d’Ouled Ziane
Après un essai infructueux pour passer à sebta, ces jeunes reviennent à Casablanca. Ils tenteront, une autre fois, la traversée vers l’eldorado européen.
Casablanca accueille dans des conditions difficiles plus de 400 migrants subsahariens, sans-papiers et sans toit. Depuis huit mois, ce séjour des migrants est marqué par des moments de solidarité et de tensions avec les riverains. Reportage.
Un petit bout du continent noir s’est reconstitué du côté de la gare routière d’Ouled Ziane à Casablanca. Des ressortissants du Cameroun, du Mali, de Guinée équatoriale ou de Côte d’Ivoire ont été ramenés par les autorités marocaines depuis les enclaves occupées de Sebta et Melilia. Dans le quartier populaire de Derb Soltane, ces migrants vivent dans un camp improvisé. Le chauffeur de taxi qui nous emmène à la gare routière nous fait l’étalage de tous les clichés racistes à l’égard de cette population. Dans les carrefours de la route d’Ouled Ziane où ces jeunes Subsahariens font la manche, le taximan multiplie les insultes racistes, exprimant ainsi la tension montante autour de cette présence étrangère, pourtant discrète et indigente.
Depuis janvier dernier, le terrain de foot du quartier sert de refuge pour les sans-papiers.
Organiser la vie en communauté
«Nous sommes environ 400 migrants à avoir passé un hiver difficile», nous explique Abderrahmane*. Et d’ajouter: «Chaque jour, il y a des départs et des arrivées au rythme des refoulements depuis Sebta et Melilla». Le point de départ de ce camp forcé est l’opération de franchissement de la barrière de Sebta le 31 décembre 2016. Le lendemain, les autorités marocaines opèrent une vaste opération de ratissage des camps de migrants aux alentours de Belyounech. 1.000 migrants en situation irrégulière sont éparpillés entre les villes de Casablanca, Rabat ou Fès. Les migrants transportés manu militari à Casablanca sont quasiment jetés aux alentours de la gare routière. Les migrants transforment une partie du terrain de foot en camp improvisé. AlHassane, 16 ans, cherche encore ses repères dans cet espace rude. Ce Guinéen est fraîchement arrivé au camp depuis la forêt de Belyounech. Il panse encore ses blessures et pèse ses mots, face à des aînés intimidants. Cet adolescent au visage blême nous raconte son baptême du feu près des grillages de Sebta: «Les forces auxiliaires sont intervenues violemment pour nous repousser». Pour sa part, Oumar, 20 ans, originaire du Burkina Faso, rentre au camp après une journée de dur labeur. «J’ai gagné 50 DH après 8 heures de travail passées sur un chantier de construction», se plaint-il. Soulayman, 37 ans, est le responsable du camp. Ce Guinéen a un long parcours migratoire derrière lui. «Je suis déjà arrivé en Europe une première fois et on m’avait refoulé à cause de la règle de Dublin**», avance-t-il. «Aujourd’hui, je tente ma chance depuis le Maroc», persiste-t-il, entouré de jeunes compatriotes qui l’écoutent religieusement. Ce vétéran leur raconte ses expériences professionnelles en Guinée puis en Libye, avant la chute de Khadafi. Pour le responsable du camp, l’heure n’est pas à la narration des souvenirs. Il doit préparer l’accueil de nouveaux arrivants. «La veille, nous avons reçu une dizaine de frères venus de Castillo, blessés et fatigués. Nous avons dû les héberger en urgence, en attendant de trouver une tente et des matelas pour eux», explique-t-il. Soulayman doit récolter les cotisations des résidents pour le repas du soir. Il nous parle, tout en gardant un œil sur l’équipe en charge de la cuisine ce soir-là. «Au départ, chacun de nous mangeait dans un des snacks près de la gare mais comme nous sentions que nous n’étions pas toujours les bienvenus, nous avons reçu ce matériel de cuisine pour préparer nos repas, ce qui nous permet de faire des économies», explique en bon gestionnaire confronté à une situation de crise. L’absence d’installations sanitaires reste un des points critiques de ce camp. Les ONG soutenant ces migrants sans-papiers tirent la sonnette d’alarme sur la situation sanitaire et humanitaire sur place.
Leurs maigres biens protégés par des sacs en plastiques, les immigrants dorment à même le sol.
Casablanca inhumaine
«Dès notre arrivée, nous avons reçu des aides d’urgence de la part d’ONG marocaines», précise Sekou, responsable de la sécurité dans le camp le jour de notre visite. Sekou n’est pas près d’oublier la première nuit passée dans le camp. «La gare est un lieu risqué, de jour comme de nuit. Les voleurs n’hésitent pas à détrousser migrants comme Marocains, ils nous volent même nos passeports», relate-t-il. Ce jeune de 20 ans originaire de Guinée équatoriale est aujourd’hui chargé de surveiller les couvertures des migrants. «Nous sommes dans une zone sensible, fréquentée par des voleurs, nous nous sommes organisés pour nous protéger et éviter tout affrontement avec les Marocains», lance-t-il, tout en gardant un œil vigilant sur les affaires des autres migrants. Ces derniers passent la journée à demander l’aumône ou travaillent dans les chantiers de construction. Pour Issa du Mali, «Les Marocains sont des gens accueillants, sans cette solidarité nous n’aurions jamais pu passer ce dernier hiver difficile», lance-t-il, reconnaissant. Pourtant, cette cohabitation entre migrants et Marocains n’est pas un fleuve tranquille. L’installation d’un deuxième camp près des maisons de riverains de la gare a provoqué la colère des habitants. «Nous ne pouvons pas subir les conséquences de cette situation», déplore Houria, habitante de ce quartier. Et d’ajouter: «Nous compatissons avec ces personnes, mais les autorités doivent assumer leurs responsabilités». La tension est, d’ailleurs, palpable dans le quartier. Alors que les autorités locales observent discrètement cette situation, des associations sont mobilisées pour apporter un secours à ces migrants. «Le nombre de personnes que nous recevons dans notre centre progresse chaque jour. Nous leur distribuons des couvertures et des vêtements et nous les orientons vers les services de santé, mais les besoins demeurent importants», affirme la directrice d’une association intervenant auprès de cette population. Un autre projet est en cours d’élaboration avec le SAMU Social (voir encadré).
Les conditions de vie des sans-papiers ne laissent pas indifférents les riverains qui tentent de soulager leur peine en leur offrant des matelas pour atténuer la dureté du sol.
Ouled Ziane unit les pauvres sans toit
La présence des sans-papiers aux alentours de ce quartier précaire a créé un élan de solidarité entre les laissés-pourcompte marocains et subsahariens. L’installation provisoire de ces migrants a engendré des relations de cohabitation entre eux et des Marocains également sans-abris. Hamid, artisan de 23 ans sans emploi, vit parmi les migrants depuis trois semaines. «La vie à Casablanca est très difficile, je n’ai pas trouvé de travail. Je passe la journée dans le camp de peur de me faire agresser. Je vis et je mange avec les migrants et la nuit je rentre dormir dans un des cafés de la gare», confie Hamid avec amertume. D’autres Marocains, notamment des mineurs, ont trouvé refuge au sein du camp. Dans cet espace précaire disparaissent les différences de nationalités et de barrières linguistes. Affronter le dur quotidien du Casablanca unit ces damnés de la terre.
Le SAMU Social lance une opération d’urgence
Dr Wafaa Bahous, directrice du SAMU Social de Casablanca, et ses équipes travaillent d’arrache-pied pour lancer un projet de soutien à ces migrants. «Nous attendons le visa des autorités pour lancer une opération d’urgence. Nous espérons intervenir durant l’été», souhaite-t-elle. Ce projet porté conjointement par l’ONG Médecins du monde et le SAMU permettra de déplacer les équipes de ce dernier à un rythme bi-hebdomadaire avec du matériel médical et sanitaire mobile. «Les migrants ont de la difficulté à se rendre au centre. Pour cette raison, nous comptons nous rendre à Ouled Ziane», précise-t-elle. En attendant la finalisation de ce projet, le SAMU continue d’offrir des services au sein du centre à cette population.
*Les prénoms ont été modifiés à la demande des personnes interviewées.
** Loi de l’UE fixant les modalités de dépôt d’une demande d’asile. L’État membre responsable sera l’État par lequel le demandeur d’asile a premièrement fait son entrée dans l’UE. Ce règlement est critiqué par le Conseil européen pour les réfugiés et les exilés et le HCR.