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Barrières non tarifaires : Comment 10% de l’export est perdu annuellement

Une récente étude de la CNUCED vient de désigner les barrières non tarifaires comme l’un des grands obstacles au développement du commerce mondial. Le Maroc en fait les frais quotidiennement dans ses échanges, notamment avec l’Union européenne et les USA. Une stratégie est en cours de préparation en vue de contrecarrer ces obstacles et de mieux défendre le marché marocain.

Obstacles techniques au commerce (OTC), normes sanitaires et phytosanitaires (SPS), règles d’origine… les avantages à tirer du commerce extérieur ne se jouent plus seulement sur le terrain des tarifs douaniers mais bien plus au niveau des barrières non tarifaires. Certains qualifient aujourd’hui ces obstacles de nerf de la guerre du commerce international, servant souvent d’outils protectionnistes chez certains pays. Ces questions, le Maroc en fait les frais quotidiennement dans ses rapports avec ses principaux partenaires, notamment l’Union européenne et les États-Unis. Ces deux grands blocs commerciaux figurent parmi les pays les plus restrictifs sur ce plan. Une étude menée récemment par la CNUCED (Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement) a pu déterminer que dans leurs rapports avec les pays du Groupe des 20 (G20), les pays en développement perdaient jusqu’à 23 milliards de dollars par an, soit environ 10% de leurs exportations. La raison est principalement à chercher du côté de ces mesures non tarifaires. Celles-ci portent sur un large éventail de moyens d’action légitimes et importants. Elles sont notamment destinées à protéger la santé de la population d’un pays et son environnement, et peuvent, par exemple, limiter l’utilisation des pesticides dans la production alimentaire. «Mais ces mesures ne disposent pas toujours d’une base juridique et d’un fondement légal justifiant leur utilisation», précise Mohamed Benayad, secrétaire général du ministère chargé du Commerce extérieur.

Conditions draconiennes
Selon la CNUCED, ces règles sanitaires et phytosanitaires portent sur plus de 60% du commerce agricole mondial. «Il existe parfois une exagération des risques encourus, ce qui souligne la nécessité d’une convergence dans la gestion du risque entre les pays», souligne Benayad. Les États-Unis sont des champions mondiaux dans cette catégorie: les autorités américaines imposent des conditions draconiennes notamment pour les produits d’origine animale ou végétale. La Food & Drug Administration veille au grain et guette le moindre risque sanitaire.

La récente affaire de la suspension des exportations d’agrumes en provenance de Berkane est éloquente à ce titre: les autorités phytosanitaires américaines (APHIS) avaient, en effet, intercepté une cargaison de clémentines marocaines pour présence de cératites. Il est à préciser que le Maroc se conforme au protocole de traitement par le froid exigé par les autorités phytosanitaires américaines depuis 1991. Une procédure très contraignante pour les exportateurs qui doivent parfois attendre une quarantaine de jours avant de voir leurs marchandises libérées. Il est à noter que le principal de nos exportations vers les USA est composé de produits alimentaires, de produits bruts d’origine animale ou végétale ou encore de demi-produits.

Même constat chez certains pays de l’Union européenne pour lesquels le respect de certaines normes techniques liées à l’emballage, aux dimensions des produits et à leur sécurité sanitaires peuvent exclure de facto l’accès au marché de l’union. «Nous estimons, par exemple, que les mesures sanitaires et phytosanitaires de l’Union européenne font perdre aux pays à faible revenu environ 3 milliards de dollars d’exportations, ce qui représente 14% de leurs échanges agricoles avec l’Union européenne», note la CNUCED dans son rapport publié fin juillet. De même, le marché britannique peut être difficile d’accès pour certains produits agroalimentaires qui nécessitent des autorisations préalables pour certains produits d’origine animale. À cela doivent s’ajouter la multiplication de ces obstacles et leur différence d’un pays à un autre, ce qui accule les exportateurs à devoir adapter leur produits à plusieurs marchés cibles à la fois, ce qui peut être extrêmement contraignant.

Tout le monde s’y met
Un autre type de mesures non tarifaires est celui imposé par le secteur privé: «Certaines chaînes de distribution étrangère peuvent exiger d’un produit des normes en matière d’étiquetage, d’emballage voire même imposer des conditions en matière de RSE, de respect de l’environnement ou même des préférences en termes de design afin de répondre aux préférences de la clientèle de la chaîne», explique Benayad. Ces questions tendraient de plus en plus à se développer et devraient poser énormément de problèmes, à l’avenir. Le commerce entre pays en développement demeure également affecté par ces questions.

Selon le Centre islamique du développement du commerce (CIDC), organe subsidiaire de l’Organisation de la coopération islamique, 54% des obstacles au développement du commerce intra-OCI sont liés aux mesures techniques au commerce, surtout aux normes sanitaires et phytosanitaires. La plupart des entreprises ne se conforment pas aux normes techniques recommandées par les pays en termes d’étiquetage, de procédures de certification et de normalisation. Le commerce entre les pays membres de l’OCI demeure également limité par la multiplication des règles d’origine et d’autres difficultés d’ordre logistique liées au manque d’infrastructures, notamment de zones d’entreposage dans certains pays aux postes douaniers.

Contre-attaque
Pour contrecarrer ces obstacles, le Maroc prépare une stratégie nationale en matière de mesures sanitaires, phytosanitaires et d’obstacles techniques au commerce. Une étude est actuellement menée par le ministère de l’Agriculture, qui a repris le pilotage de l’ensemble des stratégies et des institutions concernées par la production agricole tant en amont qu’en aval. L’objectif est à la fois de maîtriser la production des normes nationales portant notamment sur les règles sanitaires et phytosanitaires, mais aussi d’opérer un benchmark des pratiques internationales à ce niveau. Ceci permettra au Maroc de ne plus naviguer à vue et de se doter d’un véritable radar en matière de barrières non tarifaires. Cela passera par l’amélioration des conditions économiques de production et de commercialisation des produits agricoles et l’adaptation aux évolutions des normes internationales. Cette stratégie permettra donc l’adaptation aux exigences SPS et OTC des marchés de destination qui sont dotés de hauts standards de normalisation (USA, Canada, Afrique, Russie, Chine, etc.). Il est à noter que la CNUCED vient également de lancer une base de données énumérant les mesures appliquées par 56 pays qui couvrent 80% du commerce mondial. Cette base de données permet aux décideurs de faire des recherches par pays et par produit afin de trouver rapidement les prescriptions non tarifaires à satisfaire.

Homogénéiser les normes
À travers cette étude, le Maroc compte également renforcer ses propres OTC et normes SPS. Pour désamorcer toute accusation protectionniste, le Direction de la stratégie et des statistiques, mandataire de l’étude, précise que les mesures de cette stratégie nationale doivent être transparentes, conformes aux standards internationaux notifiés à l’OMC en la matière et respectant le principe général de «traitement national». D’aucuns y verront une autre mesure dans la démarche globale de l’assainissement des importations lancée par le département du Commerce extérieur.

Il est à rappeler que le droit international autorise les États à fixer leurs propres normes en se basant sur des considérations nationales et de désigner ainsi un niveau de protection plus sévère. Comme toute législation nationale plus stricte que celle des instances internationales doit être scientifiquement justifiée, cela suppose que ces États possèdent une réelle capacité sur le plan scientifique. Les obligations de justification scientifique d’une part, et de notification aux pays partenaires d’autre part, ont pour objet d’éviter une dérive protectionniste dans l’utilisation de l’Accord SPS.

En tout cas, ce renforcement des barrières marocaines répond à la nécessité de combler les failles du système marocain. Celui-ci est caractérisé par la difficulté d’adoption et d’application des normes à l’échelle du marché national. Le système marocain est caractérisé par l’application de plusieurs catégories de normes. Celles obligatoires, plus connues sous le nom de règlements techniques (RT), mais aussi les normes marocaines facultatives homologuées (NM), sont élaborées dans le cadre du système normatif marocain coordonné par l’IMANOR et qui ne sont pas d’application obligatoire.

Enfin, il est à préciser que plusieurs produits et filières ne disposent d’aucun RT ou d’aucune NM. Le système des normes marocain souffre par ailleurs de la multiplicité des intervenants dans l’élaboration et l’application desdites normes. Qu’il s’agisse de l’EACCE, de l’ONSSA, d’IMANOR ou encore de l’ONICL, tous ces établissements ont leur mot à dire par rapport à la question, ce qui se traduit par une pluralité des textes législatifs qui traitent des normes de commercialisation et de la difficulté de faire adhérer les professionnels à l’application desdites normes. La machine est également grippée par le manque de moyens humains et matériels nécessaires au contrôle de la conformité aux normes. «Sur les questions agroalimentaires, une meilleure convergence pourrait se faire entre les services de l’ONSSA et de l’EACCE. Ce problème ne se pose toutefois pas pour les produits industriels où les normes marocaines sont par ailleurs exigées tant pour le producteur national que pour les étrangers», précise le SG du ministère du Commerce extérieur.  


 

Hakim Marrakchi
Vice-président de la CGEM

Nous ne disposons pas d’un système cohérent

La question des barrières non tarifaires avec l’Europe et les USA n’est pas un problème bilatéral qui ne concerne que le Maroc, mais une question multilatérale. Aujourd’hui, nous ne pouvons, par exemple, pas exporter de produits à base de viande vers ces pays parce que le système réglementaire marocain ne permet pas une traçabilité parfaite. On nous refuse donc l’accès dans ces conditions et c’est le cas d’autres pays. Le problème qui se pose sur le plan bilatéral est qu’on nous demande une mise à niveau normative et réglementaire mais que cet effort est coûteux et hors de portée de certains opérateurs. Cette problématique va aller crescendo, et l’effort réglementaire va être de plus en plus important. Il faut donc commencer par rattraper le train en marche afin d’être prêt à basculer vers de nouvelles normes le moment venu. Il faut aussi dire que ces normes sont logiques et que cela n’impose pas forcément une nécessité de se mettre à niveau par rapport à toutes les normes des pays avec lesquels nous commerçons. Le Maroc a aujourd’hui un choix crucial à faire. Nous devons construire des normes permettant de favoriser notre production nationale et ne pas nous contenter d’appliquer des normes étrangères. Nous ne disposons pas aujourd’hui d’un système normatif cohérent avec notre politique industrielle. Les mécanismes de mise à niveau industriels et compétitifs demeurent malheureusement tout à fait étrangers.


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