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À Mohammédia, le béton chasse les dunes

Ce projet est contesté par une partie des riverains

La loi sur le littoral, adoptée en août 2015, est à l’épreuve des projets immobiliers. Enquête sur une mise en œuvre approximative à Mohammédia.

Lot n° 282, au quartier la Siesta à Mohammédia, une dune de sable a disparu, elle a été remplacée par un mur de béton, comme prélude à un projet immobilier. Le 11 avril 2016, un bulldozer viole l’identité de cette plage, c’est l’acte fatal pour ce mur naturel et ses faunes. Depuis six mois, les résidents du quartier la Siesta refusent un projet immobilier de neuf villas, autorisé sur cette dune et à quelques mètres de la plage. Les riverains de ce projet décident de s’organiser pour stopper ce projet et sauver les dunes de Mohammédia. Nadia Hmayti est la présidente de l’Association des résidents du quartier la Siesta et chef de file des opposants à ce projet. Sur le site, elle retient sa colère : «Ce projet est en violation de la loi 81-12 relative au littoral», affirme-t-elle. Ce texte de loi est entré en vigueur en août 2015 pour réguler l’exploitation du domaine maritime public. Le projet a fermé les deux accès à la mer depuis le quartier de la Siesta. Une bataille s’annonce entre les 176 résidents de ce quartier et le promoteur, la société la Siesta. Ce bras de fer est le premier test pour la loi relative au littoral.

Le projet s’arrête…
L’affaire commence le 8 septembre 2015, quatre jours après les élections communales. Le conseil municipal de Mohammédia délivre l’autorisation de construction n°444. Les travaux démarrent le 18 décembre de la même année. «Durant trois mois, nous avons frappé à toutes les portes pour stopper ce massacre environnemental. Nous avons déposé des réclamations auprès des départements de l’Équipement et de l’Environnement ainsi qu’au niveau de la Fondation Mohammed VI pour la protection de l’environnement. Tous se renvoient la balle», s’insurge Hmayti. Ce forcing s’avère payant. «Nous avons demandé à voir le gouverneur pour protester contre cette autorisation délivrée dans un timing douteux», rappelle Hmayti. Le 22 janvier 2016, les membres de l’association sont reçus par Ali Salem Chegaf, gouverneur de Mohammédia. Ce dernier commande une étude pour le promoteur et ordonne l’arrêt temporaire des travaux. Le 5 avril, la décision tombe en faveur du promoteur, qui obtient l’autorisation pour reprendre les travaux. «Le 11 avril restera un jour noir pour les habitants, nous étions spectateurs de la destruction du dernier mur de protection naturel de cette plage», déplore Nadia. Une question demeure posée : Comment cette zone déclarée non constructible durant plus de trente ans s’est transformée en lots de villas ?

Une autorisation dans le temps mort
Le ministère de l’Équipement est le garant de la protection du domaine maritime public (DMP). Nous avons pris contact avec le directeur provincial de ce département à Mohammédia. «Ce terrain ne relève pas du DMP. Ce projet est construit sur un terrain privé possédant un titre foncier. L’autorisation de construction a été délivrée par la commune urbaine. Nous ne sommes que les voisins de ce projet», botte en touche Mohamed Maksoud, directeur provincial de l’Équipement à Mohammédia. Pourtant, l’association des résidents brandit les articles 15, 16 et 55 de la loi 81-12 sur le littoral. Selon l’article 15, la partie adjacente au littoral d’une largeur de 100m, calculée à partir de la limite terrestre de ce littoral est déclarée «zone non constructible».

L’article 55 stipule à son tour qu’«à compter de la date de publication de la présente loi ne peut être autorisée, à l’intérieur de la zone visée à l’article 15 ci-dessus, l’extension ou la modification substantielle de constructions et installations existantes avant l’entrée en vigueur de cette loi, à l’exception des travaux d’entretien et de restauration desdites constructions et installations». Or, le texte de loi est entré en vigueur en août 2015 et l’autorisation a été délivrée un mois après, soit en septembre 2015. «Effectivement, la loi sur le littoral stipule les 100 m inconstructibles et ce projet ne respecte pas cette distance, mais, selon nos données, ce projet a obtenu l’autorisation avant le vote de la loi», avance Maksoud du département de l’Équipement.

Les Inspirations ÉCO a pu avoir accès à cette autorisation. La demande a été déposée par le promoteur le 28 août 2015 et recevait un avis positif le 8 septembre 2015 avec deux engagements du promoteur. Le premier est la «réalisation d’un mur de soutènement en béton afin de protéger les constructions et les dunes de sable». Le deuxième engagement est que «le sable déblayé du terrain sera poussé sur la plage pour conserver l’aspect naturel». Cette deuxième mesure s’est avérée inefficace. Le sable déblayé hors du site de construction a été happé par les premières marées. «On ne peut pas préserver un site naturel par des mesures pareilles», conteste Hmaity. Pour y voir plus clair, nous avons pris contact avec la Commune urbaine de Mohammédia. Farid Ould Hnia est vice-président de ladite commune.

Il est aussi responsable de l’urbanisme et il a signé cette fameuse autorisation. Cet élu balaie du revers de la main toute accusation autour du timing de la délivrance de l’autorisation de construire. «Cette autorisation est tout à fait normale et conforme au processus mis en place par la commune. Notre système d’information permet un traitement automatisé des demandes», se défend Ould Hnia. Aujourd’hui, le chantier sur ce projet contesté avance et «les dunes ont été détruites», constate avec amertume Hmaity. L’association des résidents réfléchit aux moyens pour contester les procédures d’autorisation, notamment par voie judiciaire. «Nous exigerons la remise en état des dunes comme le permet l’article 27 de la loi sur le littoral». Le chantier de la protection du littoral demeure pour sa part bloqué.

Bien commun ou bien économique ?
Ce texte de loi a été voté après deux décennies de tergiversations. Durant ces années, deux logiques se sont affrontées, l’une donnant la priorité à l’activité économique sur le littoral et l’autre privilégiant la protection de ces zones sensibles. Mohamed Benata président de l’Espace de solidarité et de coopération de l’Oriental mène depuis 2005 un combat pour protéger le littoral : «Le cas des dunes de Mohammédia met à l’épreuve les limites de cette loi, qui se trouve inopérante face à la multiplicité des intervenants. Pour nous, le littoral est un bien commun de tous les Marocains».

Dans le cas de la Siesta, les pouvoirs publics se renvoient la balle. «L’autorisation s’est basée sur un titre de propriété délivré par le département de l’Équipement», assure le vice-président de la Commune urbaine de Mohammédia. Ould Hnia brandit également le Plan d’aménagement de Mohammédia. «Ce lotissement est prévu par ce Plan», remarque-t-il. Ce document d’urbanisme a été adopté en 2012 avec un intérêt particulier, entre autres pour les «problèmes liés à l’environnement et la protection des zones sensibles», clame l’Agence urbaine de Casablanca. Ce document a suscité les protestations des habitants de cette ville qui ont déposé 200 oppositions sur ce plan.

L’opposition à la Commune de Mohammédia reprochait, à l’époque, au Plan d’aménagement l’absence de prise en compte des «réels maux et besoins de la ville tels que la lutte contre la pollution, les risques naturels et industriels, la problématique du littoral, l’ensablement de la plage du centre et le dessablement de Monica plage». Malgré ces critiques, le Conseil communal adoptera ce Plan sous réserves. Depuis cette date, le nombre de projets immobiliers sur le littoral s’est multiplié. Les terrains nus se font rares et se payent très chers entre la corniche de Mohammédia et Bouznika. Ces projets immobiliers et résidentiels valorisés à des millions de dirhams courent des risques sérieux.

«Vers des catastrophes»
Des scientifiques préviennent contre la montée de la mer, le recul des falaises et la dégradation des protections naturelles dans ces zones. Taieb Boumeaza est géographe à l’Université Hassan II-Mohammédia, suit l’évolution de cette bande littorale depuis des années. Ce professeur universitaire note que «le littoral de Mohammédia connaît depuis une trentaine d’années des modifications et un retrait du trait de la côte suite au placement de la jetée principale du port et aux conditions climatiques qui commencent à basculer. Cette modification touche principalement l’espace urbain aménagé de façon hasardeuse et irresponsable des décideurs urbains sans prendre en compte ces dangers très proches». Ce qui amène ce membre du Laboratoire de recherche sur les dynamiques des espaces et des sociétés à la Faculté de Mohammédia de conclure : «On s’achemine probablement vers des catastrophes, nul ne peut envisager les effets générés» parmi les zones à risques Monica et la Siesta. Ces territoires commencent déjà subir de plein fouet ces transformations. Les recherches menées à l’Université de Mohammédia montrent que le retrait de la ligne de côte est estimé à 20 mètres pour une durée de 25 ans soit un 1m de recul par année.

À Monica et ailleurs, des riverains étaient obligés de recourir aux blocs rocheux pour limiter le recul du trait de la côte. «De nombreuses villas sont sous la menace directe des vagues lors des grandes houles», prévient Boumeaza. D’ailleurs en 2014, les résidents des quartiers en front de mer ont dû faire face à une importante houle. Ces constats sont partagés par le département de l’Équipement : «Les risques liés à la montée des eaux existent dans cette zone. Vu la configuration climatique actuelle et la montée des eaux, il n’est pas conseillé de construire à proximité du front de mer. La houle de 2014 a constitué un signal d’alerte», rappelle le directeur provincial de l’Équipement. Sur la plage de Monica, une villa a été submergée par la mer. Le titre foncier se trouve à 30 mètres au fond de l’océan.


 

Le promoteur défend son projet
Malgré nos multiples tentatives pour joindre le promoteur immobilier, il est resté injoignable. Dans une déclaration à nos confrères de Yabiladi, Chouaib El Mouchtari, représentant de la société La Siesta affirmait : «Nous sommes en train de travailler conformément aux normes. On a suivi la loi à la lettre. Les dunes n’ont pas été rasées. Nous sommes plutôt en train de ramasser le sable qui était tombé sur nos terrains». Sur la nature de l’autorisation, le promoteur avance que «le lotissement date de 1978 et les acquisitions les plus récentes des années 90. On n’a pas construit parce que nous avions des problèmes d’héritage après la mort d’un des associés».


 

29% du domaine maritime occupé illégalement !
La Cour des comptes dans son rapport de 2011 avait alerté contre «l’empiétement illégal sur le domaine public maritime (DPM)». 29% de la superficie du DPM sont occupés illégalement. Parmi les provinces pointées du doigt, on retrouvait celles de Mohammédia et de Benslimane. Il s’agit de terrains appartenant à des personnes privées ou publiques, se situant en bord de mer et empiétant sur le DPM, immatriculés ou en phase de réquisition. Parmi les cas cités, on retrouve un terrain de 3.000 mètres à Bouznika ou plus de 1.000 parcelles dans les plages Dahoumi et David. Ce rapport publié avant la promulgation de la loi sur le littoral recommandait déjà de «revoir les limites du DPM dans certaines zones délimitées définitivement et régulariser les empiétements».



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