Prix Nobel de la paix. Ce qui attend Abiy après la réconciliation avec l’Érythrée
Le Premier ministre éthiopien doit agir sur deux fronts, celui du développement interne et celui du raffermissement de la paix. À 43 ans, il est présenté comme un modèle de leader jeune et confiant dans ses capacités.
Abiy Ahmed est l’archétype du leader dont l’Afrique a besoin pour ressouder ses plaies. Un an et demi seulement après son arrivée au pouvoir, en avril 2018, le premier ministre éthiopien a réussi ce que ses prédécesseurs ne pouvaient rêver accomplir, à savoir réconcilier l’Éthiopie avec l’Érythrée. Les deux pays se sont livrés une guerre, entre 1998 et 2000, lourde de conséquences en pertes humaines, des dizaines d’hommes ont été tués ou blessés mais dont l’enjeu portait sur un changement mineur de frontières dans des zones désertiques quasi-inhabitées. Il aura fallu beaucoup de courage et de maîtrise de soi pour que le jeune dirigeant éthiopien réussisse à tourner la page dans une région (la Corne de l’Afrique) en ébullition. Un engagement qui n’a pas tardé à payer, vendredi 11 octobre, lorsque le comité Nobel norvégien à Oslo a décerné le Prix Nobel de la paix 2019 à Abiy Ahmed. Ce dernier a-t-il mérité sa médaille d’or et un chèque de 9 millions de couronnes suédoises (830.000 euros) ? En tout cas, les opinions semblent être unanimes en sa faveur.
À commencer par la présidente du Comité Nobel norvégien, Berit Reiss-Andersen, qui a souligné que cette consécration récompense le Premier ministre éthiopien pour ses efforts en faveur de la paix et de la coopération internationale, particulièrement son action pour mettre fin au conflit frontalier avec l’Érythrée. Justement, durant ses années de protestations anti-gouvernement, Abiy Ahmed n’a eu de cesse de pousser vers un compromis qui enterrerait la hache de guerre avec l’Érythrée qui, faut-il le signaler, est une ancienne province éthiopienne. Son lobbying a vite donné ses fruits puisque quelques mois seulement après son accès au pouvoir, il a entériné la tant attendue réconciliation lors d’une rencontre qualifiée de historique, le 9 juillet 2018 à Asmara, capitale érythréenne, mettant ainsi fin avec le président érythréen Issaias Afwerki à 20 ans d’état de guerre. À 43 ans, le premier ministre éthiopien, plus jeune dirigeant africain, est aux prises avec des tensions inter-ethniques dans un pays qui compte plus de 110 millions d’habitants. À plus forte raison que des élections législatives sont prévues en mai 2020 avec leur lot de compétition entre les différentes sensibilités politiques en place. Mais Abiy est un fédérateur né. Issu d’une famille pauvre, il a su conquérir les cœurs en parlant le langage du peuple, reflétant son aspiration à la stabilité et au progrès.
Pour Antonio Guterres, SG de l’ONU, le leadership d’Abiy est un exemple pour les pays d’Afrique qui veulent tourner la page et privilégient l’intérêt commun. Fort de ce prix Nobel, le Premier ministre éthiopien repartira ragaillardi pour finir ce qu’il a commencé sur deux fronts différents. Le premier concerne la finalisation de la paix avec le voisin érythréen en travaillant sur la réouverture de la frontière et la signature d’accords commerciaux. Car, il faut le préciser, l’Éthiopie se trouve aujourd’hui coupée des ports érythréens. Le second porte sur le raffermissement de l’union nationale dans le cadre du fédéralisme. Dès sa prise des manettes, Abiy a lancé des signaux anti-autoritarisme, libérant des milliers de prisonniers politiques. Il a mis en place une Commission de réconciliation nationale tout en accordant une plus grande liberté en matière d’action politique. Son prochain défi : réussir des élections libres en mai prochain en commençant par atténuer l’impact des guerres intestines que plusieurs communautés se livrent au sein du pays. Prise dans l’étau de la pauvreté et des revendications autonomistes, l’Éthiopie est pourtant un pays riche en capacités naturelles et humaines que le nouveau leader veut mettre à profit. Après l’action politique, l’enjeu économique peut être un facteur d’unité autour d’un projet de développement pour ce grand pays. Formé aux États-Unis et au Royaume-Uni, Abiy a été cadre technique spécialiste en cybersécurité au sein des services de renseignement. En 2009, il fonde l’Agence nationale de sécurité des réseaux d’information, dont il sera le directeur jusqu’en 2012.