10 propositions pour réduire les inégalités sociales
Quatre universitaires ont publié un mémorandum de propositions de réforme économique. Ce document, intitulé «Pour un modèle alternatif de développement du Maroc», propose des réformes graduelles et pragmatiques.
C’est un document argumenté et structuré que viennent de rendre public quatre universitaires: Yasser Y. Tamsamani (chercheur affilié à l’OFCE-Sciences Po Paris), Joseph Brunet-Jailly (doyen honoraire de la Faculté de Sciences économiques d’Aixen- Provence), Abdellatif Komat (doyen de la Faculté des sciences juridiques économiques et sociales de l’Université Hassan II) et Fouzi Mourji (professeur à l’Université Hassan II). Ce mémorandum est le fruit du symposium organisé en mars 2018 par l’Université Hassan II. Un an après l’organisation de cette rencontre scientifique, les quatre universitaires apportent des propositions de réforme susceptibles «de traiter à sa racine le problème des inégalités persistantes de revenus et de richesses et leurs conséquences sur la croissance économique», soulignent ces chercheurs. Pour élargir le débat, les Inspirations ÉCO présente ces dix propositions à ses lecteurs.
Proposition 1
Une fiscalité dynamique du patrimoine
Pour ralentir le processus d’accumulation et de concentration et répartir la richesse patrimoniale sur une base sociale plus large. Les auteurs proposent une réforme de longue haleine en deux temps: D’une part, imposer une taxation forte et progressive sur les transferts de propriété sous forme d’héritage ou de passation entre les vivants. D’autre part, et dans le même esprit, imposer le stock de patrimoine dormant et non productif. Cette réforme «peut s’avérer être un outil efficace pour réinjecter des moyens financiers dans l’activité économique sous forme d’investissement productif ou de financement de biens publics».
Proposition 2
Une politique nationale des rémunérations
L’élaboration d’une politique nationale des rémunérations du travail constituerait un appui supplémentaire pour un changement de tendance dans la répartition primaire des revenus. Une telle politique aurait comme objectif principal l’institutionnalisation d’un système d’indexation de la croissance des salaires sur un taux plancher composé à partir du taux d’inflation et du taux de croissance de la productivité du travail, en tenant compte des spécificités régionales et des contraintes sectorielles différenciées. Ce nouveau mécanisme devrait assurer un pouvoir d’achat au moins stable et une demande soutenue.
Proposition 3
Une politique nationale de concurrence et de régulation
Les prix pratiqués dans les branches d’activité où la concurrence est réduite par divers dispositifs ou circonstances doivent être suivis et éventuellement ramenés, par des dispositifs publics spécifiques, au niveau qui les purge de tout effet de rente. C’est une façon d’atténuer les inégalités de revenus. Première mesure proposée, la régulation de l’augmentation des loyers, déjà en vigueur au Maroc, pourrait être aménagée pour en obtenir une plus grande effi cacité. La deuxième mesurée proposée est la mise en place d’une politique publique de logement social locatif à la place de la politique actuelle, basée sur le principe de «tous propriétaires ».
Proposition 4
Une réorientation de l’appareil productif national
Les politiques sectorielles en vigueur ainsi que les investissements publics entrepris au Maroc ont démontré leurs limites. Du côté des opérateurs privés, la situation n’est guère meilleure et, d’ailleurs, leurs investissements sont en berne depuis près d’une décennie. Il est donc absolument nécessaire de repenser ces schémas obsolètes en s’appuyant sur un nouveau critère d’orientation de la décision publique et du choix des incitations à introduire dans l’économie, critère qui permettra de recentrer la production nationale sur des activités marchandes et non marchandes intensives en travail.
Proposition 5
Un complet renouveau du syndicalisme
L’objectif d’un partage mieux équilibré de la valeur ajoutée, au Maroc, implique l’émergence d’une nouvelle forme de syndicalisme capable de situer ses revendications dans un cadre élargi, en amont de la décision publique. Ces perspectives impliquent un syndicalisme d’idées et d’opinions, dont la mission dépasse son champ classique d’actions (revendications salariales, grèves, etc.) centrées sur les intérêts des salariés qui disposent déjà d’un emploi. Il s’agit en effet de constituer une force de conception et de proposition de politiques publiques alternatives favorables à toute la population capable d’offrir du travail.
Proposition 6
Moralisation des pratiques des entreprises et encadrement de la sous-traitance
La moralisation des pratiques des entreprises familiales et des sociétés de personnes devrait être l’une des priorités dans toute quête de réduction des inégalités, en les amenant à titre d’exemple à signer une charte de responsabilité sociale, en les primant selon leur éthique. Sur le volet de la sous-traitance, les économistes proposent à l’État d’encadrer le recours à ces pratiques et de trouver un nouveau cadre législatif adéquat facilitant l’aboutissement d’une entente directe entre les employeurs et les salariés. En somme, de faire en sorte que les conditions de travail soient meilleures que celles qui prévalent dans les pratiques de sous-traitance.
Proposition 7
L’investissement public «utile» comme déclencheur de la dynamique de l’investissement privé et fer de lance de la relance économique
Le seul levier viable capable de redresser la situation de l’investissement privé et de créer les conditions d’émergence d’un régime de croissance soutenue est l’investissement public «utile». Ce dernier, d’une part, exercera un effet d’entraînement direct sur le secteur privé et dopera la demande effective à court terme. D’autre part, il élargira les perspectives de profitabilité du capital privé. En effet, investissements privé et public au Maroc évoluent de pair, dans le même sens.
Proposition 8
Les critères de sélection d’un investissement public «utile»
Un investissement public ne sera qualifié d’«utile» que s’il se conforme à quatre critères de sélection de projets.
1. La maximisation de l’effet d’entraînement en évitant des fuites sèches de devises vers l’extérieur;
2. Un retour sur investissement dans des délais courts;
3. Privilégier les secteurs à fortes externalités positives, comme l’éducation et la santé;
4. Le multiplicateur de l’investissement public devrait donc être plus élevé dans des territoires dont le potentiel de production est sous-exploité.
Proposition 9
Ramener les banques à leur rôle, qui est de financer le secteur productif
Le rétablissement du cercle vertueux du financement de l’économie passe par une régulation moins laxiste du secteur bancaire. Une régulation qui relie constamment les profits des banques au degré de risque qu’elles prennent au sein de l’économie et qui les pousse au moins sur la frontière des risques permise par les ratios macro prudentiels -si ce n’est à s’exposer davantage au risque- sachant que le chemin de développement est lui-même risqué et incertain, et que les banques ont également le devoir de parier sur un devenir positif de l’économie nationale.
Proposition 10
Un système éducatif unifié, ouvert à tous, mais avec un système d’orientation pour garantir l’acquisition de vraies compétences
Il est donc assez évident qu’une des dimensions d’un nouveau modèle de développement devrait être, pour l’État, de reprendre la maîtrise de l’appareil de formation, de façon à la distribuer à tous les enfants, en fonction de leurs résultats, pour leur permettre d’atteindre leur meilleur niveau. Cette reprise en main pourrait et devrait être l’occasion de placer l’acquisition de compétences au premier plan des objectifs de tous les ordres d’enseignement.