La dette de Zefzafi et «ses complices»
Othmane et Brahim Bouziani, présentés comme les «intermédiaires» entre Nasser Zefzafi et ses supposés bailleurs de fonds étrangers ont répondu à l’accusation «d’atteinte de la sureté de l’Etat». Compte-rendu.
Les frères Bouziane sont les 24 et 25 accusés à se présenter à la barre. Ils ont été interpelés quelques jours avant l’arrestation de Zefzafi, le 26 mai 2017. Le parquet les présente comme «les intermédiaires de Zefzafi». La défense estime qu’ils sont «victimes d’une machination judiciaire». Une mince certitude : ils ont reçus des appels téléphoniques à de mauvais moments. Les deux accusés font partie des 54 personnes poursuivies devant le Chambre criminelle auprès de la Cour d’appel de Casablanca depuis septembre 2017 dans le cadre des événements d’Al Hoceima.
Les 2.650 DH qui ont financé le Hirak ?
L’audience du 6 février coïncide avec une date phare au Rif. C’est le jour du décès d’Abdelkarim El Khattabi, que les détenus commémorent depuis leur box. Il est 18h15, Othmane Bouziane, commerçant se présente devant le juge. «Mon seul lien avec Nasser est que c’est un commerçant dans la téléphonie comme moi et il me doit 5.600 DH depuis 2015», lance d’entrée de jeu. Nous sommes en février 2017, Othmane préparait son mariage. Il a décidé de recupérer son argent. «Plusieurs personnes me doivent la somme de 90.000 DH. Même le procureur du roi à Al Hoceima me doit de l’argent», révèle cette connaissance de Zefzafi. Le 24 mars, Nasser l’appelle pour lui annoncer qu’il peut venir récupérer une partie de cette dette, 2.650 DH. Cette somme est déposée chez un troisième commerçant, Ilyass. Othmane ne se déplace pas pour récupérer sa créance, il envoie un taximan du nom d’Abderrahmane. «On se faisait confiance entre nous», déclare Othmane. Pour le moment, cette histoire semble banale. Mais que reproche-t-on, exactement, à ce commerçant ? «Mr Bouziane, vous êtes ici car vous êtes l’intermédiaire entre des personnes installées au Pays-bas et Zefzafi », explique le représentant du parquet. L’argumentaire de Hakim El Ouardi s’appuie sur les écoutes téléphoniques entre Zefzafi et un certain Azzedine Ouled Khali Ali, membre de la supposée «cellule d’Amsterdam du Hirak». Des échanges téléphoniques entre Zefzafi et Ouled Khali Ali indiqueraient que les deux hommes étaient à la recherche d’intermédiaire pour recevoir de l’argent à la place du leader du Hirak. Devant la BNPJ, Othmane aurait reconnu cette version des faits. «Ces allégations ont été obtenues sous les pressions psychologiques des enquêteurs», accuse-t-il. Le procureur maintient sa version des faits. «Les jours des appels concordent avec la réception de l’argent, le 24 mars», martèle El Ouardi. La défense proteste : «ce ne sont que des hypothèses qui ne prouvent rien contre l’accusé», rétorque Me Mohamed El Massoudi. Pour attester ses dires, l’accusé montre patte blanche : «je n’ai jamais retiré d’argent d’une agence de transfert de fonds depuis l’étranger», annonce-t-il. Et la dette ? Me Mohamed Aghnaj, membre de la défense remet au juge un carnet rouge où Othman avait noté toutes les dettes que lui doit Zefzafi, signature à l’appui. Depuis le box des accusés, Zefzafi confirme : «je suis un homme endetté et cette signature est la mienne». Dans sa traque des financements du Hirak, le parquet poursuit également l’autre frère Bouziane, Brahim. Ce salarié d’une enseigne de la grande distribution à Al Hoceima avait une vie bien rangée. Jeune père d’un bébé de 2 mois, il partageait sa vie entre son travail et son activité associative en tant que président de l’association du quartier Hay Chatie Al Jamil. Jusqu’au mois de mars, Brahim était même en contact avec la Wilaya et le conseil municipal pour améliorer la vie du quartier.
«Un PV digne de Pablo Escobar»
«Je suis étranger à ce dossier», tente Brahim, toujours sous le choc de son arrestation musclée par la police. Son crime ? «Youssef El Hamdioui [ndlr : membre de son ONG et accusé dans cette affaire], m’a demandé le numéro de Nasser. Je l’ai appelé pour obtenir son accord. C’est le contenu de mon dernier échange avec Nasser», affirme Brahim. Le juge, Ali Torchi, diffuse trois communications téléphoniques en rifain entre Nasser et Brahim et puis Brahim et Youssef. Le son est à peine audible. Le juge demande à Brahim si ses propos sont conformes à ce qui est transcrit dans le PV de la BNPJ. Un mot cristallise l’attention : Europe. Le parquet estime que Brahim a participé à mettre en contact des bailleurs de fonds du Hirak et Zefazafi. Dans l’appel n°1, ce terme a-t-il été prononcé par Brahim ? Le parquet s’appuie sur la transcription et répond par un «oui» catégorique. La défense accuse : «ce PV comporte une fausse transcription que nous récusons», s’enflamme le bâtonnier Me Abderrahim Jamai. Le PV signé par l’accusé devant la BNPJ comporte pourtant ce mot. «Je n’ai pas lu ce PV et même si la police m’avait remis un PV digne d’un Pablo Escobar je l’aurai signé. J’avais tellement peur, je voulais que revoir ma fille au plus vite », confie-t-il effondré, devant le juge. Et de conclure : «un certain l’Haj à la BNPJ m’a dit que si je signe, j’allais revoir ma fille. Et depuis huit mois, je suis en prison loin de ma fille».
Ayouch en guest star
Nourreddine Ayouch a été l’invité vedette de cette deuxième partie de l’audience. Le chef de file de l’initiative de médiation entre l’État et les leaders du Hirak a salué les avocats de la défense et des leaders du Hirak et leurs familles. Parmi ces derniers, les parents de Zefzafi ont été également présents. Leur fils Nasser et Lotfi ont été au cœur des interrogatoires de cette après-midi. Ayouch a fait un court passage d’une heure. La famille de Zefzafi, au complet, a assisté à toute l’audience.