Maroc

Daoudi retient le modèle indien

Lahcen Daoudi, Ministre chargé des Affaires générales et de la Gouvernance

La Caisse de compensation devrait être supprimée lors de ce mandat gouvernemental pour procéder aux subventions directes des ménages ciblés. Des subventions qui varieront selon la couche sociale. Le système de ciblage sera prêt en 2019. Le ministre des Affaires générales et de la gouvernance, Lahcen Daoudi, défend avec conviction cette nouvelle vision gouvernementale. Il s’exprime aussi sur l’avenir du PJD.

Les Inspirations ÉCO: Vous attendez les résultats de l’étude sur le ciblage de la population pour la réforme de la compensation. Ce processus n’a-t-il pas trop tardé, au fil des mandats gouvernementaux, pour des raisons politiques?
Lahcen Daoudi : On n’a rien entrepris auparavant pour définir ce ciblage en termes scientifiques. Il faut dire qu’il ne s’agit pas d’une tâche aisée. Il fallait faire un benchmark pour s’inspirer des expériences d’autres pays. En fin de compte, il a été constaté que le travail effectué par l’Inde était le meilleur et c’est sur sa base qu’on travaille actuellement. La mission n’est pas facile car elle nécessite beaucoup de fonds. Après le ciblage, il faut installer des équipements pour pouvoir utiliser les cartes qui vont être distribuées aux bénéficiaires. Le coût de ces équipements est estimé à 32 millions de dollars (ndlr : environ 300 MDH).

Concrètement, comment cette carte sera-t-elle utilisée?
Tout Marocain aura un identifiant de dix chiffres. Les citoyens subventionnés vont recevoir leur subvention sur leur carte pour faire des achats. On n’est pas obligé d’avoir un compte bancaire pour utiliser cette carte. La reconnaissance des bénéficiaires, lors de l’utilisation de la carte, se fera par l’empreinte digitale.
Prévoyez-vous des difficultés ?
Si l’Inde a pu résoudre le problème, il n’y a pas de raison pour que le Maroc ne parvienne pas, lui aussi, à atteindre ses objectifs. C’est le ministère de l’Intérieur qui s’occupe, avec le HCP, du travail de ciblage qui nécessite des calculs. Des experts indiens y sont aussi associés.

Avez-vous une estimation du montant de la subvention et du budget de cette opération?
Le montant de la subvention dépendra du nombre de bénéficiaires. Si quelqu’un estime qu’il mérite cette subvention, on l’intégrera au système pour lui permettre de compenser la suppression de la subvention du gaz. Avec cette réforme, le pauvre et même la couche moyenne en sortiront gagnants. On n’a pas encore d’estimation du budget au niveau du gouvernement. La Caisse de compensation tourne actuellement autour de 15 MMDH. Ce montant est très important, s’il est dédié à subventionner directement la population cible.

La réforme sera-t-elle lancée en 2019?
Le système devra être prêt en 2019. Il faut l’alimenter. Et on va décider, par la suite, de la tranche de la population à subventionner.

Peut-on dire que la Caisse de compensation sera supprimée au cours de ce mandat gouvernemental?
On s’inscrit dans cette logique. Aucune matière ne sera subventionnée.

Même la farine destinée aux plus démunis  ?
Si la concurrence est ouverte, les minotiers sont prêts à présenter une farine de qualité proche de la farine subventionnée à un prix relativement proche de l’actuel. Mais, beaucoup de minoteries risquent de fermer. En effet, le travail de certaines minoteries est basé sur cette farine. Il faut donc un programme dédié à la fermeture de ces minoteries. Un montage financier est ainsi à prévoir. Actuellement, le ciblage est territorial. Or, il se pourrait que certains résidents dans le village ciblé n’aient pas besoin de la farine. Le ciblage individuel nous permettra de gagner beaucoup d’argent. Il est dommage que dans cette ère, des citoyens fassent encore la queue pour bénéficier d’un sac de farine.

En attendant la réforme, qu’envisagez-vous de faire pour lutter contre les dysfonctionnements qui entachent la distribution de la farine subventionnée?
Beaucoup de dysfonctionnements sont effectivement constatés. Une évaluation est prévue sur le circuit de distribution. C’est la dernière décision prise par la commission interministérielle en charge du dossier. Il faut lutter contre la triche. Certains changent l’emballage et vendent la farine dans le marché.

Les dysfonctionnements persistent-ils malgré le contrôle?
Il s’avère difficile de contrôler chaque intervenant dans le circuit. Même dans la douane, on ne contrôle pas tous les individus et on travaille plutôt par sondage. Quelques-uns sont sanctionnés. Mais ce n’est pas suffisant pour lutter contre la triche. Des inspections sont menées dans les minoteries.

Vous ne ferez rien en attendant la réforme finale?
C’est une décision du gouvernement. Pour le sucre et la farine, on peut avancer. Par contre, pour le gaz, on ne le peut pas. Il existe des marges. Par exemple, rares sont les pauvres qui consomment le sucre semoule. Ils consomment plutôt le pain de sucre. Le gouvernement peut agir sur certains créneaux. Pour la farine, on doit travailler avec le recensement de 2014 pour actualiser les données du ciblage. On est en train de superposer les villages bénéficiaires avec la nouvelle carte de la pauvreté qui a régressé.

Le HCP recommande un ciblage territorial et social raisonné. Qu’en pensez-vous?
Il est normal de se focaliser sur le social et le territorial. Il faut passer au niveau micro: l’individu. L’identifiant constituera une nouvelle étape pour le Maroc. Il permettra de connaître les individus et non plus uniquement les poches de pauvreté. On va dépasser le cadre du village pour cibler la famille, l’individu. Au Maroc, il existe à peu près 7 millions de ménages et on pourrait en subventionner 6 millions.

La subvention de 6 millions de ménages sur 7 est-elle une estimation raisonnable? Le montant de la subvention sera-t-il, ainsi, très limité?
Pour certains, la subvention visera à compenser la suppression de la compensation du gaz, du sucre et du gaz. Mais pour d’autres individus, notamment les plus démunis, on peut augmenter le montant de la subvention. On peut avoir une politique plus agressive car on aura plus de moyens. Le montant de la subvention variera selon la couche sociale. Il s’agit d’un meilleur ciblage. La carte va nous permettre de rationaliser les dépenses en consacrant la subvention à ceux qui la méritent réellement. Le Maroc aura une véritable politique sociale alors qu’aujourd’hui, on est en train de bricoler. La classe moyenne ne doit pas avoir peur. On est prêt à lui donner 80 ou 100 DH pour compenser la suppression de la subvention du gaz. Il faut dire que le problème des citoyens a trait à ses besoins en termes de logement, de santé et d’enseignement. Ce sont trois variables fondamentales. Si on résout ces problématiques et crée une dynamique de l’emploi, la couche moyenne sera prospère et son pouvoir d’achat sera renforcé.

Ne pensez-vous pas que cela risque de ne pas se réaliser rapidement?
Il s’agit d’un processus étalé dans le temps. La baguette magique n’existe pas. Si on résout ces problématiques en 10 ans, ce sera un exploit! Il faut beaucoup de réformes. La promotion de la politique de l’eau est aussi importante. Le Maroc a un potentiel énorme. Il faut trouver la formule pour tout dynamiser et tirer profit des potentiels qui existent. En 10 ans, on peut faire beaucoup de miracles. Il faut que le Maroc enclenche la dynamique. Les décisions du roi en matière de reddition de comptes sont des messages forts. Il faut que les citoyens craignent la loi.

Le gouvernement se penche actuellement sur la refonte des CRI. Ne croyez-vous pas que ces centres ne doivent plus être affiliés au ministère de l’Intérieur et qu’il faut revoir leur relation avec les conseils régionaux?
Toutes les options sont ouvertes. Aucune décision, aucune orientation n’a encore été fixée. Rien n’est tranché. La réflexion est ouverte après la première réunion. Il ne faut pas raisonner en termes de départements ministériels. On doit plutôt privilégier l’intérêt du Maroc.

Beaucoup de réformes sont à mettre en place pour améliorer le climat des affaires. Les deux projets de loi sur la réforme du livre V du Code du commerce relative aux procédures d’insolvabilité et au système des sûretés mobilières vont-ils bientôt sortir des tiroirs du Secrétariat général du gouvernement?
Le gouvernement est obligé d’accélérer le rythme en raison de l’engagement du top 50. Le chef de gouvernement suit lui-même ce dossier car il en va de la visibilité du Maroc à l’international. On va accélérer le rythme de l’adoption des textes de loi. Un effort devra être fait pour résoudre la problématique de la dissolution des sociétés qui se pose toujours. On peut créer facilement une société mais il est difficile de la dissoudre. La réflexion est engagée sur ce dossier.

Croyez-vous que les mécanismes actuels de lutte contre la corruption soient suffisants?
Non, ils ne le sont pas. La lutte contre la corruption est une éducation sociétale. On ne peut pas lutter complètement contre la corruption, mais on peut la réduire. Dans certains niveaux, on ne parle plus de corruption. Cependant, elle existe encore au niveau sociétal et dans certaines administrations. Le programme e-Gov permettra d’éliminer les contacts. Il s’agit d’une étape fondamentale. Il faut informatiser à outrance et travailler porte fermée.

Pourquoi plaidez-vous pour la réforme du texte PPP?
C’est un texte qui n’est pas souple et il est difficile à appliquer. Cette loi est dépassée et il faut la repenser rapidement pour avoir davantage de souplesse et élargir le champ de son application. Il faut assouplir les conditionnalités qui ne riment à rien et généraliser cette loi aux secteurs.

Ne pensez-vous pas que le PJD ait laissé des plumes depuis la formation du gouvernement?
Plus un parti est ascendant, plus la chute risque d’être difficile. Il faut que le parti vive des expériences différentes et sache remédier à ses problèmes. Il ne faut pas être un «enfant gâté». Il est normal, à un moment donné, de passer par des crises qui forgent le parti. On recule d’un pas pour faire deux pas en avant.
Ne craignez-vous pas que la situation actuelle impacte négativement vos résultats aux prochaines élections?
Il reste encore quelques années aux prochaines élections. Les citoyens ne votent pas en fonction de l’image qu’on avait mais ils se basent plutôt sur l’image qu’on a au moment des élections. Le PJD gère les grandes villes et est au gouvernement. C’est sur la base du bilan global, en fin de mandat, que les électeurs vont prendre leurs décisions. Benkirane n’a pas gagné aux élections parce qu’il communique bien, mais aussi parce qu’il a entrepris des réformes et a su vendre ce qu’il a fait. On ne peut pas communiquer sur des choses qui n’existent pas. Maintenant, qu’allons-nous faire pour pouvoir communiquer avec les citoyens en 2021? Allons-nous vendre du vent ou des actions? Si on ne fait rien, il ne faut pas espérer un vote positif.

En attendant les élections, il faut colmater les brèches internes…
Elles sont déjà colmatées. On a vécu un creux qui fait désormais partie du passé. Les divergences et le débat doivent exister au sein du PJD. C’est la démocratie qui tranche. Un parti démocratique garantit son avenir. Il faut s’habituer aux divergences des points de vue. Le PJD ne peut pas rester monolithique car il s’élargit. On a triplé voire quadruplé le nombre de nos membres en peu de temps. Il est donc normal que le débat change. Une question se pose: le PJD est-il capable de digérer cette ouverture? Quand on ouvre une digue, il faut être capable d’absorber le choc. Jusqu’à présent, le parti a bien géré la situation. 


Un tableau de convergence des politiques publiques en vue

Le ministère des Affaires générales et de la gouvernance se penche sur un chantier phare: la mise en place d’un tableau de convergence des politiques publiques. Actuellement, les systèmes d’information au niveau des administrations et des ministères ne sont pas toujours compatibles. La présidence du gouvernement doit être dotée d’un tableau de bord regroupant tous les ministères. Même au niveau des financements internationaux, il faut créer un tableau de bord pour suivre les projets et les actions. Actuellement, le gouvernement semble naviguer à vue. «Le grand problème a trait à la gouvernance: qui fait quoi? Où en est-on? On ne peut pas avancer si on ne sait pas ce qui se passe dans ce pays», souligne Lahcen Daoudi en pointant du doit la situation actuelle qui ne favorise pas la réflexion globale vu que chacun travaille dans sa bulle, faute d’un système d’information unifié. L’interconnexion des secteurs s’impose. Une expertise est en cours de mise en place pour suivre le dossier.


Remaniement: «pas de blocage»

Lahcen Daoudi balaie d’un revers de la main les informations qui circulent, faisant état d’un nouveau blocage entre les alliés gouvernementaux lors des tractations pour le remaniement ministériel qui a trop tardé à voir le jour. «Il n’y a pas de blocage contrairement à ce qui se dit. Il s’agit des va-et-vient avec les partis. La discussion est en cours entre le chef de gouvernement et les partenaires», précise-t-il. Actuellement, le scénario le plus plausible consiste à ce que les partis concernés gardent les mêmes ministères. Le PJD ne compte pas saisir l’occasion pour renforcer sa représentativité au sein du gouvernement.



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