Fini l’anarchie ?
Un référentiel de l’enseignement préscolaire devrait être mis sur les rails au plus tard fin janvier 2018. Une bonne nouvelle pour ce secteur qui souffre de nombre de dysfonctionnements. L’Exécutif est aussi attendu sur le volet du financement, talon d’Achille du préscolaire.
Le ministère de l’Éducation nationale ne dispose pas encore d’un plan d’action pour promouvoir le préscolaire dans l’école publique malgré la haute importance de cet enseignement dans la réforme du secteur. La vision stratégique de la réforme 2015/2030 est on ne peut plus claire: l’enseignement préscolaire est considéré comme la base de toute réforme éducative favorisant l’équité et l’égalité des chances et facilitant les parcours scolaires et de formation. Or, jusque-là, les efforts déployés restent en deçà des aspirations. En effet, l’offre publique ne touche, actuellement, pas plus de 7 à 8% des effectifs des élèves en âge préscolaire. Le secteur privé et les associations sont les principaux acteurs dans le domaine. L’offre globale ne permet pas de répondre à tous les besoins. Sur le 1,2 million d’enfants en âge d’accéder à cet enseignement, près de la moitié n’est pas préscolarisée.
Retard abyssal
Dans ses prévisions, le gouvernement s’assigne pour objectifs la généralisation progressive du préscolaire et l’extension optimisée des infrastructures en vue d’atteindre un taux net de préscolarisation de 52% en 2018. Plusieurs préalables sont nécessaires afin de rattraper ce retard abyssal et de pouvoir, ainsi, donner un véritable coup de fouet à l’enseignement préscolaire tant sur le plan quantitatif que qualitatif. Il s’agit, en premier lieu, de la mise en œuvre d’un cadre référentiel du préscolaire, très attendu depuis des mois. Initialement, ce document devait être appliqué à partir de la rentrée de l’année scolaire en cours. Cependant, son officialisation a été reportée au début de l’année 2018 pour y introduire des recommandations d’une experte libanaise qui l’a examiné de fond en comble. Ce document est très attendu pour mettre fin à des années d’anarchie. Il faut dire que les défis ne sont pas uniquement d’ordre quantitatif. Bon nombre de défaillances sont constatées par le département de tutelle, à commencer par le contenu pédagogique. L’absence d’un cadre unifié et la multiplicité des intervenants créent une grande disparité en matière d’objectifs, d’approches adoptées, de moyens de formation des éducateurs… À ce titre, une grande responsabilité incombe au département de tutelle qui n’a jamais conçu de programme dédié au préscolaire, chose «qui ne fait pas partie des obligations du ministère», du moins pour le moment. L’obligation de la généralisation ne sera effective qu’après l’adoption du projet de loi-cadre relative à la réforme du système d’éducation qui prévoit la généralisation progressive de cet enseignement.
Le premier référentiel du genre
En mettant en œuvre le référentiel du préscolaire, l’Exécutif entend rattraper le retard accusé et mettre de l’ordre dans le secteur. «Tout le monde doit s’aligner sur ce référentiel. L’enjeu est de pouvoir allier le développement de l’enfant aux apprentissages», souligne aux Inspirations ÉCO Fouad Chafiqi, directeur des curricula au ministère de l’Éducation nationale. Cette mesure permettra de répondre aux orientations du Conseil supérieur de l’éducation qui appelle à l’adoption d’un modèle pédagogique spécifique, unifié dans ses finalités et ses objectifs et diversifié dans son style et ses méthodes, en vue de garantir la cohérence et la modernisation des programmes, des méthodes pédagogiques et des ressources matérielles et éducatives.Premier du genre, ce référentiel, en cours de finalisation, porte sur plusieurs volets dont le cadre curriculaire, les compétences pédagogiques fondamentales, les domaines d’activités, les approches et l’évaluation des apprentissages, l’encadrement et la supervision… Il facilitera une offre de service et un rendement de qualité, de façon équitable, pour tous les enfants en âge d’accéder à cet enseignement.
Le financement, le nerf de la guerre
Les ambitions affichées se heurtent à la contrainte du financement. Ce n’est qu’au cours de l’année 2016 que 43,5 MDH ont été consacrés à l’enseignement préscolaire. Un budget très limité qui ne permet pas de promouvoir l’éducation préscolaire. En effet, les besoins se chiffrent à 3 voire 4 MMDH nécessaires à la généralisation de l’enseignement préscolaire au Maroc. Un montant auquel devra s’ajouter le coût de la formation des ressources humaines. Pas moins de 100.000 éducateurs sont à former pour concrétiser les objectifs escomptés. La mobilisation des investissements publics s’impose. Dans son mémorandum sur le Maroc à l’horizon 2040, la Banque mondiale recommande la nécessité d’investir dans un système préscolaire de qualité en raison de l’importance avérée de la petite enfance et des rendements élevés générés par des interventions précoces. L’institution internationale souligne l’impératif d’accorder aux investissements publics dans la préscolarisation une priorité élevée. Les partenaires sont aussi appelés à la rescousse. Les académies de l’éducation et de la formation devront jouer un rôle fondamental dans le développement de la coopération avec les autres acteurs dont le secteur privé, la société civile et les collectivités territoriales. Les académies disposent depuis des mois d’un modèle de convention avec les opérateurs ou les associations désireux de s’investir dans le préscolaire moyennant un financement complet ou partiel des actions menées. Mais visiblement, l’engouement de part et d’autre n’est pas encore au rendez-vous. Un intérêt particulier devra surtout être accordé au milieu rural, où le taux de couverture des structures préscolaires est trop faible. Le secteur privé est, en effet, quasi-absent, dans les campagnes et le périurbain. L’impact de l’enseignement préscolaire demeure, de ce fait, très faible à cause des limites de sa couverture géographique et de ses performances. Ainsi, de grands efforts sont à déployer par les pouvoirs publics. Certes, le secteur privé devrait être associé, de l’avis des experts de la Banque mondiale, à la mise en œuvre de certaines politiques. Mais il revient à l’État de mieux piloter, réguler et contrôler l’efficacité, l’équité et la qualité des politiques en faveur de la petite enfance.
Vision stratégique : le préscolaire érigé en priorité
La vision stratégique de la réforme de l’enseignement accorde une grande importance au préscolaire et l’érige en tête des leviers pour l’équité. Pour le Conseil supérieur de l’éducation, plusieurs mesures devront être prises durant la décennie en cours dont la généralisation d’un préscolaire de qualité, qui devrait faire l’objet d’un engagement commun de l’État et des familles. À cela s’ajoute une forte implication des collectivités territoriales qui doit être institutionnalisée par des mécanismes qui les engagent. Les efforts de ces trois partenaires permettront à tous les enfants de 4 à 6 ans d’accéder au préscolaire et de bénéficier ainsi d’une préparation soutenue à leur scolarité future. La création d’un cadre institutionnel spécifique à l’enseignement préscolaire, sous la tutelle du ministère de l’Éducation nationale, s’avère nécessaire pour mettre en place les mécanismes de suivi et de contrôle. La vision stratégique stipule également la réhabilitation des institutions du préscolaire existantes par l’amélioration de la qualité de leurs services ainsi que la création de filières obligatoires de formation des cadres du préscolaire dans les centres régionaux des métiers de l’éducation et de la formation.