Céramique : Industriels et importateurs enterrent la hache de guerre
Une première dans l’histoire des enquêtes antidumping ! Le département du Commerce extérieur a décidé de clôturer l’enquête initiée par l’Association professionnelle de l’industrie céramique (APIC) suite au retrait de la requête par cette dernière. Industriels et importateurs ont trouvé un terrain d’entente et privilégient la coopération pour venir à bout des difficultés du secteur. Ce brusque retrait laisse toutefois en suspens plusieurs questions…
Coup de théâtre dans l’affaire des importations de céramique. L’Association professionnelle de l’industrie céramique (APIC) a finalement retiré sa requête pour l’application de mesures antidumping à l’encontre de céramiques importées d’Espagne. Une affaire qui l’opposait à l’Association nationale des professionnels de la céramique et du second œuvre (APISA). Cette requête déposée fin 2015 avait donné lieu au lancement d’une enquête de défense commerciale courant 2016 par les services du secrétariat d’État chargé du Commerce extérieur. Suite à ce désengagement, le département de Rakiya Eddarhem vient de publier l’avis de clôture de l’enquête sur les importations de carreaux céramiques originaires d’Espagne, sans imposition de mesures antidumping.
Fin de querelle
Manifestement, le temps des querelles est révolu chez les professionnels du secteur. Importateurs et industriels ont décidé de mettre leur différend de côté et de privilégier une approche de coopération. «Une première dans l’histoire des affaires de défense commerciale au Maroc. Les parties au différend ont fait un effort pour dépasser les difficultés», explique Marie-Sophie Dibling, avocate aux barreaux de Paris et de Bruxelles, associée au cabinet d’avocats d’affaires Sayarh & Menjra, en charge du commerce et du droit international. Selon le communiqué de presse conjoint, les deux associations professionnelles ont décidé d’«agir de concert afin de défendre l’intérêt du consommateur marocain et de le protéger». Concrètement, les deux parties se sont engagées à promouvoir la production nationale, à garantir aux consommateurs locaux les standards internationaux de qualité, à coopérer ensemble sur le marché domestique, encourager les activités à l’export et à professionnaliser le métier d’importateur et de distributeur de carreaux céramique.
L’effet soufflé ?
Le bras de fer qui avait opposé les deux associations professionnelles était pourtant particulièrement tendu. Si le règlement à l’amiable est louable, plusieurs questions demeurent en suspens. L’APIC mettait en garde, dans le cadre de son argumentaire, contre les risques de désindustrialisation, allant même jusqu’à affirmer que plus de 2.000 emplois directs et de 4.000 emplois indirects avaient été supprimés définitivement ou temporairement depuis la fin des mesures de sauvegarde appliquées jusqu’à fin 2010. La contrebande écoulerait, selon les chiffres de l’APIC, jusqu’à 10.000 m² par jour sur le marché marocain, soit l’équivalent d’un site de production tournant à plein régime et employant 250 personnes. En tout et pour tout, les importations auraient été multipliées par 5 depuis la fin des mesures de sauvegarde. «Le maintien de la situation actuelle conduirait à l’arrêt et à la fermeture des 8 entreprises du secteur, à la suppression des 25.000 emplois directs et indirects du secteur et accélérerait la dégradation de la balance commerciale du Maroc de plus de 3,6 MMDH», prévenait le président de l’APIC en 2016. Pour leur part, les représentants des importateurs dénonçaient un protectionnisme à outrance servant les intérêts d’un «monopole corporatiste». L’APISA mettait surtout en cause le manque de compétitivité de l’industrie marocaine.
L’union fait la force
«Depuis le début, nous étions contre l’ouverture de l’enquête antidumping et nous estimions qu’elle était abusive. Nous avons été encouragés par le ministère à négocier une solution à l’amiable et nous avons réussi à trouver un terrain d’entente avec l’APIC», explique Youssef Belkaid, président de l’APISA. Parmi les pistes de collaboration recensées, l’aide à l’export avec un accent mis sur le made in Morocco. «Nous pouvons apporter notre savoir-faire à ce niveau grâce à notre connaissance du marché international et des tendances mondiales», précise Belkaid. Sur le marché local, les deux associations professionnelles veulent œuvrer à la promotion de plus d’équité avec la commercialisation des produits à prix et à qualité égaux. «Nous voulons sauvegarder l’industrie nationale tout en développant le métier d’importateur de manière régulée. L’importateur doit respecter un certain cahier des charges et des obligations en termes de qualité et de bonnes pratiques vis-à-vis des consommateurs», affirme pour sa part Mohsine Lazrak, président de l’APIC. Concernant la contrebande, les industriels veulent intensifier la lutte en collaboration avec les importateurs. «La contrebande nuit aussi bien aux importateurs légaux qu’aux industriels. Nous projetons d’avoir des actions précises sur ce point, en localisant notamment les points d’entrées de contrebande», promet Lazrak. 7 ans après la fin des mesures de sauvegarde appliquées pour les importations de céramique, l’industrie marocaine choisit donc d’activer le levier de la compétitivité et non plus celui de la défense commerciale. Une mise à niveau des équipements et des investissements importants pour la modernisation de la filière devront toutefois être opérés. L’industrie est aujourd’hui représentée par une douzaine d’entreprises qui opèrent dans le secteur des carreaux de céramique et qui emploient plus de 30.000 personnes. La plupart de ces entreprises ont commencé avec de petites usines avant de se grossir au fil du temps. Certaines des usines actuellement en activité dépassent les 12 ha de superficie. Environ 2 MMDH ont été investis entre 2006 et 2016 pour la mise à niveau du secteur.
Le dumping espagnol toléré ?
Le département du Commerce extérieur a décidé de clôturer cette enquête sans avoir préalablement déterminé l’existence ou non d’un dumping. «Le retrait de la requête n’est nullement synonyme d’absence de dumping», explique Mohsine Lazrak. En tout cas, rien dans l’argumentaire du département du Commerce extérieur ne laisse entendre que l’enquête avait permis de confirmer ou d’infirmer la présence de pratiques anticoncurrentielles. «On pourrait toutefois lire entre les lignes, surtout que les équipes du ministère ont pu aller constater par eux-mêmes comment les sites de production espagnols fonctionnaient», avance Belkaid. Le département du Commerce extérieur aurait également enquêté sur plusieurs entreprises marocaines. «Le secrétariat d’État chargé du Commerce extérieur a respecté à la lettre la procédure», précise Marie-Sophie Dibling, également chargée de la défense des importateurs. En effet, selon l’article 28 de la loi 15-09 sur la défense commerciale, une enquête peut être clôturée sous simple retrait de la requête par la partie plaignante. «De plus, le dumping n’est pas illégal en soi; encore faut-il prouver qu’il cause un dommage considérable à la branche nationale pour pouvoir appliquer des droits antidumping», explique-t-elle. «Tout cela est derrière nous maintenant, et nous pensons qu’un accord à l’amiable sera toujours meilleur qu’une imposition de taxes additionnelles», souligne Lazrak, qui estime que l’enquête du ministère n’aurait abouti qu’à des taxes marginales et n’aurait pas freiné le flux d’importation en provenance d’Espagne. «En adoptant cet accord, nous pouvons aujourd’hui mieux contrôler ce qui se passe chez nous», poursuit le président de l’APIC.