Fertilisants : Bonne moisson d’OCP en Afrique
Plus de 4 milliards de dollars ont été investis en Afrique par le Groupe OCP. Le leader mondial des phosphates commence à concrétiser la révolution verte dans plusieurs pays du continent. Toutefois, un grand effort en matière d’investissement et de mise à niveau des infrastructures reste à fournir.
«Nourrir le monde»: voici l’ambition affichée par le Groupe OCP pour l’Afrique. Depuis le lancement de sa stratégie continentale, plusieurs millions de tonnes de fertilisants ont été exportées, et plusieurs programmes d’accompagnement exécutés. Aujourd’hui, la première moisson est prometteuse. À l’occasion de la 10e édition du World Policy Conference, tenue du 3 au 5 novembre dernier à Marrakech, le PDG du géant mondial des phosphates, Mostafa Terrab, est revenu sur l’expérience du groupe dans le continent. OCP y a investi plus de 4 milliards de dollars en fertilisants. Et pour cause, le potentiel agricole est énorme avec pas moins de 60% des terres arables du monde. Chez certains pays africains clients du groupe, cela s’est traduit par un bond considérable dans la consommation d’engrais et de fertilisants. Entre 2015 et 2017, la Guinée a multiplié par 5,8 sa consommation, le Nigeria par 2,5 fois et l’Éthiopie a connu une hausse de 50% de l’utilisation de ce type de produits (voir infographie). D’ailleurs, ce pays a pratiquement réalisé 80% des objectifs de la déclaration d’Abuja sur les engrais en faveur de la révolution verte africaine.
Défis
Si les ambitions sont énormes, les défis le sont tout autant. «Les challenges sont en réalité perceptibles en termes de financement», souligne Mostafa Terrab, PDG du groupe OCP. Pour réaliser plus de croissance, l’Afrique a besoin d’améliorer son écosystème d’entreprises et de fournir un véritable effort sur le développement de l’infrastructure. «Ce n’est que de cette manière que nous réaliserons nos objectifs et ambitions en la matière», précise Terrab. Les débats des différents experts intervenant dans le cadre des deux panels consacrés au développement et à l’investissement en Afrique ont permis de relever les difficultés à ce niveau. «Il faut dire que plusieurs pays du Nord et institutions financières ont fait preuve de frilosité devant la révolution mobile en Afrique. Le même scénario est peut-être en train de se répéter avec l’agriculture», prévient le PDG d’OCP. L’effort est d’ailleurs soutenu pour le renforcement de certaines infrastructures comme les routes, les chemins de fer, l’électrification dans certains pays. Souvent, ces derniers ont recours à leurs fonds souverains pour financer de tels projets. Un investissement qui a permis de raviver des infrastructures parfois sous-exploités ou non exploités. «Après la surprise du mobile, nous pensons que l’agriculture sera la seconde vraie surprise. La révolution verte n’est malheureusement pas encore pleinement reconnue», souligne Terrab.
Rattrapage
Selon le président du Conseil économique, social et environnemental, Nizar Baraka, le continent doit absolument opérer un rattrapage sur le plan de l’infrastructure et de la couverture en électricité. «Il est important de veiller à assurer une interconnexion inter et intra-pays pour permettre d’améliorer le flux d’investissement et assurer ce développement du continent», explique l’actuel SG du Parti de l’Istiqlal à l’occasion d’une intervention dans le cadre du World Policy Conference. Selon les experts, le développement des infrastructures de base devraient particulièrement intéresser les investisseurs étrangers et grands bailleurs de fonds durant les prochaines années. Toutefois, selon Cheikh Tidiane Gadio, président de l’Institut des stratégies panafricaines (IPS) et ex-ministre des Affaires étrangères du Sénégal, l’Afrique ne doit compter que sur elle-même. «Ce qui est important, c’est que l’Afrique aide l’Afrique. Nous espérons que l’intégration prochaine du Maroc au sein de la CEDEAO permettra de secouer cette intégration régionale. Il faut changer de paradigme et arrêter les chevauchées solitaires», explique l’ex-officiel sénégalais. Le défi de la révolution verte est également environnemental. «Nous voulons que la corrélation entre agriculture et environnement ne soit pas négative. Nous avons soutenu la révolution verte en Amérique latine, notamment au Brésil et en Inde. Aujourd’hui, nous pensons que l’Afrique sera le continent qui nourrira le reste du monde», explique Terrab. Dans ce sens, le groupe OCP offre un large panel de produits personnalisés, en fonction des besoins et des réalités environnementales de chaque pays. «Il s’agit de formules de fertilisants spécialement conçues pour réduire considérablement l’impact environnemental», précise Terrab.
Karim El Aynaoui, DG d’OCP Policy Center
Gouvernance : «L’Afrique sera la Chine de demain»
Les Inspirations ÉCO : Dans quelle mesure la mise en place d’infrastructures opérationnelles et d’écosystèmes industriels permet-elle l’accompagnement du développement industriel et humain de l’Afrique ?
Karim El Aynaoui : La mise en place d’infrastructures efficaces est incontournable pour l’accompagnement de l’activité économique qui prospère dans les différentes régions du continent. Que ce soit une économie dynamique comme le Nigeria ou à bas revenu comme le Burkina Faso ou le Niger, les infrastructures routières, les dépôts de stockage, les chaînes logistiques permettent de véhiculer la production vers les lieux où la demande est importante. La présence de ce type d’équipement permet d’opérer une véritable baisse des prix dans ces régions. Ces équipements permettent d’assurer un développement agricole, de réussir l’intégration géographique, de concrétiser une certaine densité dans l’infrastructure de réseau et de permettre une diffusion des prix pour laquelle la technologie est un atout majeur. En gros, cela nous permet d’avoir des marchés unifiés. Ce raisonnement est également valable par grande région africaine et communauté économique régionale.
L’enjeu est également celui de la sécurité alimentaire…
Il est aujourd’hui clair que les réserves de production sur le plan mondial sont situées essentiellement en Afrique. Ce décollage agricole servira d’abord le marché local qui connaît une croissance démographique importante, qui se traduira par une hausse importante des besoins. L’Afrique est encore, aujourd’hui, un importateur net de produits alimentaires; ce développement agricole permettra non seulement de combler la demande locale, mais il renforcera également la capacité de l’Afrique à exporter massivement des produits agricoles. Cette ambition ne peut se réaliser sans un système financier efficient qui permet aux agriculteurs de se financer et un système d’assurances agricoles performant permettant de répondre aux sécheresses et aux chocs climatiques.
Le Maroc a, il y a quelques mois, décidé de revenir à sa famille africaine en réintégrant l’Union africaine et en engageant son adhésion à la CEDEAO. Cela ne permet-il pas, justement, de ressusciter une certaine gouvernance africaine ?
Je crois qu’il s’agit d’un juste retour de l’histoire. On ne change pas la géographie! Le Maroc est en Afrique pour des raisons à la fois historiques et économiques. Aujourd’hui, le continent africain est un véritable lieu de dynamique de croissance. Pendant longtemps, le Maroc était ancré dans l’Union européenne qui constituait le vrai relais de croissance. La dynamique de croissance a maintenant basculé en Afrique et le Maroc doit s’y intégrer. Nous sommes une petite économie et nous devons donc nous assurer une part d’export, mais nous sommes également porteurs de valeurs de paix, d’une société ouverte sur les partenariats de développement Sud-Sud, gagnant-gagnant. Tout cela s’inscrit dans le sens de l’histoire et cela ira en s’approfondissant. Le défi pour l’Afrique, dans les 30 prochaines années, sera de répondre aux besoins de 25 à 30 millions de jeunes qui arriveront sur le marché du travail. Il faut vraiment le voir comme une opportunité plutôt que comme un défi. Il est important pour l’Afrique de répondre aux besoins de cette société mais aussi d’apporter une contribution qui gagnera graduellement en importance pour l’économie mondiale. Cela suppose aussi de bonnes politiques publiques. Pour assurer cette intégration, il faut mieux s’organiser et cela passe par la stabilité, la sécurité et la mise en place de grandes infrastructures transnationales en matière de réseau électrique, de routes, de télécoms et autres. Le Maroc peut apporter sa contribution au même titre que les autres pays. C’est pour cela qu’il a décidé de revenir dans les institutions dans lesquels se dessine la gouvernance du continent.
Justement, nous ne sommes pas seuls en Afrique. D’autres pays sont déjà bien installés dans le continent. Croyez-vous au partenariat tripartite?
Après s’être tournés largement vers l’Asie et notamment la Chine, les pays avancés sont en train de réaliser l’importance de l’Afrique. Peut-être que la Chine de demain sera l’Afrique. Dans ce sens, ils voient dans certains pays comme le Maroc un véritable relais. Il s’agit d’un pays à revenu intermédiaire très connecté à l’Europe, très intégré de par ses différents accords commerciaux qui le lient à pas moins de 55 pays. Ils voient le Maroc, entre autres pays, une opportunité de s’insérer et de revenir en Afrique. La diversification des partenariats est aussi vraie pour l’ensemble du continent. N’oubliez pas qu’on a une présence grandissante de puissances comme la Chine, le Brésil, l’Inde et dans un moindre mesure la Russie. Cette diversification des partenaires globaux de l’Afrique a déjà commencé en réalité. C’est une évolution qui se poursuivra sans doute.