Mutations : Hassad poursuivi en justice
La crise de confiance est avérée entre les enseignants et le ministère de l’Éducation nationale. Des dizaines d’enseignants ont recouru à la justice pour contester les résultats du mouvement de mutations jugé inéquitable et non basé sur le principe de méritocratie. On reproche à Hassad de ne pas avoir respecté les dispositions de la note-cadre régissant cette opération. Une audience est prévue demain au tribunal administratif. Pour le département de tutelle, les enseignants «lésés» seront prioritaires dans le mouvement de 2018/2019 qui sera lancé avant la fin de cette année.
Bon nombre d’enseignants sont en colère et le font savoir haut et fort. Certains ont même décidé d’intenter un procès contre le ministère de l’Éducation nationale pour «injustice» ayant trait aux résultats du mouvement de mutations. Jusque-là, ils seraient quelque 160 enseignants «lésés» dans différentes régions du royaume ayant porté plainte contre le département de Mohamed Hassad auprès du tribunal administratif de Rabat. Une audience décisive est prévue demain. Elle est relative au procès intenté par le premier groupe ayant lancé cette initiative sur le plan national, qui est composé de 24 enseignants dans la province de Kénitra. «Une grande ambition est nourrie dans cette troisième audience pour créer une véritable jurisprudence et permettre aux enseignants d’occuper les places qu’ils méritent. Nous avons dû intenter un procès après le mutisme du ministère qui n’a pas répondu aux lettres qui lui ont été adressées par les personnes concernées. Nous voulons que chacun soit rétabli dans son droit», indique aux Inspirations ÉCO Adil Bouchane, l’un des plaignants. Le dossier de la défense est géré par l’Agence judiciaire du royaume. Les deux premières audiences ont été reportées sur demande du ministère. Ce ne sont visiblement pas les syndicats qui prennent cette affaire en main mais plutôt les coordinations. En effet, la crise de confiance n’existe pas uniquement entre le corps enseignant et le département de tutelle mais les syndicats sont également concernés et pointés du doigt par les bases.
Respect de la loi
Le principal reproche des plaignants a trait à la non-application de la note-cadre du mouvement de mutations. «Le ministre devait appliquer la note-cadre ou, le cas échéant, en éditer une nouvelle pour éviter l’infraction à la loi», de l’avis de Bouchane. Interpellé sur ce dossier, Mohamed Hassad a déjà souligné à plusieurs reprises, au sein de l’institution législative et à la presse, qu’il a préféré accorder la priorité à ceux qui travaillent loin de leurs familles bien qu’ils aient moins de points que d’autres qui résident près de chez eux. Une décision qui suscite l’ire de bon nombre de plaignants qui estiment qu’ils ont déjà passé de longues années loin de chez eux avant d’être mutés en milieu rural dans les provinces demandées. «Il est injuste que je continue à parcourir des dizaines de kilomètres pour travailler en milieu rural alors qu’un autre enseignant qui a moins d’expérience que moi se voit attribuer un poste au centre-ville. Moi aussi j’ai dû passer par cette étape d’éloignement et de dévouement», s’exclame un enseignant qui a vingt ans d’expérience. Pour le ministère de l’Éducation nationale, la priorité sera accordée lors du prochain mouvement de mutations qui sera lancé avant la fin de cette année aux cas qui ont été vraiment lésés mais cette mesure ne prendra effet qu’à partir de l’année scolaire 2018/2019.
Démotivation
Aujourd’hui, plus que jamais, la crise de confiance entre le corps enseignant et le ministère devra être dépassée. Nombre d’enseignants titulaires affichent leurs inquiétudes de voir leur nombre se réduire en peau de chagrin au profit des contractuels. Approchés par les Inspirations ÉCO, des enseignants affichent leur conviction quant à la volonté délibérée du ministère de réduire le nombre des titulaires pour confier à termes le dossier des ressources humaines aux académies régionales. Des inquiétudes fondées ou de simples soupçons ? En tout cas, des explications claires autour de la gestion des ressources humaines du secteur de l’enseignement doivent être fournies pour éviter les malentendus et la démotivation. Il faut dire que la motivation des ressources humaines est la principale clé de la réussite de la réforme, comme le souligne le mémorandum de la Banque mondiale sur le Maroc. De grands efforts restent à déployer en la matière. L’enquête de terrain a, en effet, révélé que les enseignants marocains étaient largement démotivés et ont souvent perdu leur foi en leur métier. «Certes, il subsiste encore des enseignants enthousiastes, pleinement engagés dans l’accomplissement de leur mission éducative mais ces derniers finissent souvent par se décourager faute de soutien et d’appui par les autres acteurs du système éducatif», précise le rapport. Ce sentiment de découragement a ainsi un impact négatif sur la qualité de l’enseignement car il se traduit notamment par de l’absentéisme, de l’inefficience dans la gestion du temps de classe, un manque d’effort pédagogique pour surmonter les difficultés de compréhension, l’indifférence ou la résignation face aux élèves en difficultés…Pour la Banque mondiale, la cause sous-jacente de cette démotivation est l’absence d’incitations à la performance.
À cela s’ajoute le sentiment de résignation généralisé dû à l’idée que l’éducation nationale produit des élèves de niveau médiocre, laquelle s’est ancrée dans les esprits. L’institution internationale appelle à prendre en considération, au niveau des nouveaux recrutements d’enseignants, la compétence et la motivation nécessaires. Le renouvellement devra être considéré comme une opportunité d’autant plus que quelque 125.000 enseignants en activité dans le primaire public prendront leur retraite dans les cinq ans à venir. Or, le recrutement en masse par contrat sans formation de qualité suscite plusieurs interrogations sur le niveau des nouveaux enseignants et son impact sur la qualité d’apprentissage tant escomptée.