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Secteur bancaire : La sinistralité sous-estimée ?

Au moment où les concertations de la communauté bancaire se poursuivent sur la réforme des règles de classification des créances en souffrance, l’agence de notation internationale Fitch publie un rapport alarmant sur les risques de sinistralité qui n’apparaissent pas dans les comptes des sept grandes banques de la place. Estimé entre 12 et 14% par l’agence londonienne, le niveau du risque auquel est exposé le secteur serait de 2 à 4 points supérieur aux chiffres communiqués par les banques et approuvés par Bank Al-Maghrib.

Le dernier rapport de l’agence de notation Fitch doit interpeller les banques et, à travers elles, Bank Al-Maghrib (BAM), qui édicte les règles de classification des créances en souffrance. Les banques sous-estiment leur appréciation du risque, minimisent leur effort de provisionnement pour enfin maximiser les profits. C’est en résumé ce qu’insinue l’évaluation menée par l’agence londonienne sur le risque de défaut du secteur bancaire. Le niveau de sinistralité du secteur est jugé «élevé» en comparaison avec d’autres marchés dits développés.

D’après les chiffres communiqués par les 7 grandes banques de la place, les créances en souffrance représentent en moyenne 9,7% des prêts octroyés à fin 2016 (le dernier rapport de la supervision bancaire de BAM, qui regroupe, quant à lui, toutes les banques, y compris les neuf groupes présents au Maroc, estime que ce taux a été maintenu à 8,4% sur la base des comptes consolidés). Ces chiffres ne reflètent pas la réalité de la sinistralité au Maroc, avertit Fitch. En épluchant les comptes des sept banques en question, une équipe de l’agence londonienne composée de deux analystes, Janine Dow et Nicolas Charreyron, conclut que les créances en souffrance devraient en réalité peser pour près de 12 à 14% du total des prêts bancaires si l’on tient compte des défaillances sous-estimées par les banques sous le regard «vigilant» de BAM. Contrairement au rapport de BAM qui dresse une appréciation «globale» des risques, celui de Fitch a le mérite de révéler les spécificités propres à chacune des banques figurant dans l’étude. L’agence de notation n’hésite pas à jeter des fleurs aux banques à capitaux français qui «profitent des politiques de classifications conservatrices imposées par leurs banques-mères», en l’occurrence Société Générale et BNP Paribas, ce qui explique d’ailleurs le niveau élevé du risque constaté dans les comptes de la SGMB (14,6%) et de la BMCI (12,7%). L’appétit au risque semble plus élevé chez les banques à capitaux marocains.

À en croire Fitch, celles-ci seraient prêtes à accepter de s’y exposer, quitte à réduire les exigences de garantie en les adaptant aux opportunités qui se présentent sur le marché. À titre d’exemple, la banque qui affiche le niveau de risque le plus élevé se classe aussi au premier rang vu sous l’angle du poids des prêts destinés aux PME. De même, l’expansion en Afrique des trois grands groupes marocains, poursuit Fitch, les expose à un environnement opérationnel risqué, sans omettre les risques liés aux obligations souveraines de certains pays d’Afrique subsaharienne, dont le rating est nettement inférieur à celui octroyé aux bons émis par le Trésor marocain.

La fuite en avant de BAM
On reproche aussi aux banques marocaines le fait de se baser sur une approche flexible de classification des créances en souffrances qui leur permet de déclasser les crédits fraîchement restructurés en les plaçant parmi les actifs sains. Il serait ainsi difficile d’écarter la responsabilité de la Banque centrale qui, toujours d’après Fitch, ne fournit pas de directives standardisées pour les créances dites sensibles. «Les critères de classification de ce type de créances varient d’une banque à une autre, rendant difficile tout exercice de comparaison», conclut Fitch. Interpellée à ce sujet par les médias lors de la présentation du rapport annuel de sa direction, mardi 20 juillet, la nouvelle directrice de la supervision bancaire, Hiba Zahoui, a choisi la fuite en avant en remettant en cause les conclusions de Fitch. «Nous allons nous rapprocher de Fitch pour demander la méthodologie sur laquelle elle s’est basée pour effectuer ces estimations que nous ne partageons pas», a-t-elle lancé avant de se fendre d’une réponse pleine d’ironie, allant jusqu’à brandir l’alibi de la certification des comptes: «Les commissaires aux comptes font aussi leur travail. En tant que Banque centrale, une fois sur place, nous avons la possibilité de faire une vérification à un deuxième niveau». Mais qui serait ce «commissaire Maigret» capable de mobiliser des moyens humains et financiers colossaux pour juger la qualité des dossiers de crédit et l’efficacité de la politique de provisionnement d’une banque, surtout si celle-ci dispose d’un large réseau étendu à travers l’Afrique? «C’est bien le commissaire aux comptes qui se base sur le travail du régulateur et non le contraire. Puis, il ne faut pas oublier que nous nous basons sur le dispositif de contrôle interne imposé par BAM», précise cet expert comptable, un habitué de la certification des comptes des établissements de crédit. En revanche, la directrice de la supervision bancaire a bien fait de reconnaître les limites des normes exigées à ce jour par BAM qui, selon elle, «ne captent pas tous les indices d’appréciation». Elle aurait dû s’attarder sur le projet de réforme de la classification des créances en souffrance engagé par la Banque centrale en concertation avec les banques de la place (voir encadré). Ce serait la meilleure réponse aux remarques de Fitch qui, après tout, était dans son rôle.

D’ailleurs, malgré les nombreuses critiques relevant de leur niveau d’exposition aux risques, les banques marocaines préfèrent ne pas commenter la méthodologie de Fitch, ni le rating qui en émane. Et qui ne dit mot, dixit le proverbe, consent.



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