Les Cahiers des ÉCO

Redressement fiscal : 2016, mauvaise année pour des sociétés cotées

Ayant subi un redressement fiscal en 2016, une grande partie des sociétés cotées ont vu leurs résultats baisser. Il faut toutefois noter qu’un redressement fiscal n’implique aucunement un manque de transparence ou de gouvernance des sociétés concernées, il peut être le fruit de plusieurs facteurs. Analyse…

Le contrôle fiscal revêt un enjeu majeur de redressement des comptes publics, et est une condition essentielle pour faire respecter le principe d’égalité devant l’impôt. En 2016, une vague de contrôles fiscaux a touché plusieurs entreprises cotées à la Bourse des valeurs de Casablanca, ou leurs filiales . C’est le cas de de la société Moussafir, filiale de Risma, ayant subi un contrôle fiscal au cours de l’exercice 2016. Ainsi, sur un montant avoisinant les 6,2 MMDH récolté par la Direction générale des impôts durant l’année 2016, une part importante émane des redressements ayant concerné certaines sociétés de la cote. Plusieurs de ses sociétés ont vu leurs résultats impactés par ces redressements, entraînant une vague de panique du côté des investisseurs. Cela a d’ailleurs été l’un des facteurs ayant contribué à la baisse des indicateurs boursiers lors du premier trimestre de l’année 2017 . Il faut toutefois noter qu’un contrôle fiscal n’implique aucunement un manque de transparence ou de gouvernance des sociétés concernées.

En effet, le redressement fiscal semble concerner beaucoup d’entreprises marocaines, et pas seulement pour celles atteignant une taille critique. Ainsi, dans le lot des entreprises cotées ayant subi un contrôle fiscal, on retrouve le spécialiste la production d’électricité Taqa Morocco. La société a constitué une provision estimée nettement supérieure au montant du redressement éventuel, a indiqué le management de Taqa Morocco lors de la conférence de présentation des résultats annuels de l’entreprise. Néanmoins, Omar Alaoui M’hamdi, directeur adjoint et membre du directoire de Taqa Morocco, nous a confié: «Nous ne pouvons pas divulguer les éléments concernant le redressement dont l’entreprise fait l’objet, car nous sommes tenus par la loi de respecter la confidentialité. Toutefois, nous sommes en vue de trouver un accord avec la Direction générale des impôts, et il n’y aura pas d’impact sur la trésorerie de l’entreprise».

Un redressement de 130 MDH pour Saham Assurance
Autre société qui a dû payer le prix de cette agressivité du fisc, Saham Assurance. En effet, celle-ci a fait l’objet d’un contrôle fiscal, concernant l’IS, l’IR, la TVA et les droits d’enregistrement et de timbres au titre des quatre exercices 2012, 2013, 2014 et 2015. À l’issue de cette mission de contrôle, Saham Assurance a procédé au règlement d’un montant définitif de 130 MDH. Elle voit ainsi son bénéfice net baisser de plus de 17%, malgré la hausse de l’activité du spécialiste du secteur des assurances.

Marsa Maroc, l’impact du contrôle fiscal attendu pour 2017
Sur la liste des sociétés cotées ayant subi un redressement fiscal, on retrouve également Marsa Maroc. La dernière société à rejoindre la Bourse a également été contrôlée par le fisc et attend aujourd’hui le verdict. Après avoir surpris le marché par des réalisations en forte hausse, l’opérateur portuaire devrait voir ses résultats 2017 impactés par le redressement qui suivra le contrôle fiscal, nous ont confié certains analystes.
Redressement fiscal, les bancaires ne sont pas épargnées

Par ailleurs, le secteur bancaire n’a pas dérogé à la règle. En effet, la BMCE Bank of Africa s’est acquittée de près de 900 MDH, soit à peu près 50% du bénéfice enregistré par le groupe en 2015. Les comptes du groupe bancaire affichent bien une hausse importante des charges fiscales, mais cela n’a pas eu d’impact sur ses performances qui ont enregistré des records en 2016.

Chute des bénéfices de 6% pour Eqdom
Autre société financière à connaître ce sort, Eqdom a également vu ses bénéfices chuter de plus de 6% après une charge fiscale exceptionnelle dépassant les 100 MDH. De ce fait, le résultat net atteint les 146,6 MDH malgré la bonne tenue des activités bancaires de la banque.   

BMCI, une charge fiscale de 431 MDH
BMCI a vécu la même situation. Son résultat net consolidé s’est établi à 431 MDH à fin décembre 2016, soit une baisse de 13,8% par rapport à une année auparavant. Celle-ci est due à la charge d’impôt du contrôle fiscal qu’a subi la banque, portant sur les exercices 2012 et 2015.

Baisse de 13% du résultat net d’Auto Hall
Le distributeur automobile Auto Hall n’y a pas échappé non plus. Le groupe a en effet vu son résultat net consolidé baisser de 13% à cause, principalement, d’un redressement fiscal suite à l’accord, avec l’administration des impôts, au sujet d’une vérification fiscale. L’impact sur les résultats consolidés d’Auto Hall s’est fait ressentir malgré la bonne forme de l’activité de la société cotée, qui affiche un chiffre d’affaires de 3,9 MMDH, en hausse de 28% par rapport à 2015, et un EBIDTA en progression de 4% avec 453 MDH.

Une lourde peine fiscale pour Lydec
Durant le deuxième semestre, la filiale de Suez Environnement a effectivement fait l’objet d’un contrôle fiscal au titre de l’impôt sur le revenu (IS), la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et les droits d’enregistrement et de timbre afférant aux exercices 2012, 2013, 2014 et 2015. Il en ressort finalement un arrangement, après des tractations entre les deux parties. Lydec a conclu avec la DGI, le 21 décembre dernier, un protocole d’accord pour le règlement définitif et irrévocable d’un montant global de 120 MDH, une lourde peine pour la filiale de Suez Environnement.

Multiplication des contrôles
Par ailleurs, rappelons que les droits recouvrés en matière de contrôle fiscal au Maroc ont connu une progression de 42% par rapport à 2015. Quant au nombre de contribuables soumis à vérification, il s’est hissé de 50% comparativement à une année auparavant. Le fisc avait préalablement indiqué qu’il comptait multiplier son contrôle vis-à-vis des entreprises marocaines. Cette mesure a également concerné les sociétés cotées, qui subissent le même traitement que tout autre type de société, nous a confié un analyste. Par ailleurs, qu’est-ce qui fait que des sociétés se retrouvent obligées de se soumettre à un redressement fiscal, même les plus structurées d’entre elles? «La plupart des cas de redressements fiscaux sont dus à une mauvaise application des méthodes comptables ou interprétations des faits, donnant suite à des irrégularités», explique un  commissaire aux comptes  qui a requis l’anonymat. En effet, l’article 213, qui donne le pouvoir d’appréciation de l’administration, recense sept irrégularités graves qui peuvent obliger une entreprise à subir un redressement fiscal. 


«Les sociétés cotées jouissent d’un système de gouvernance qui augmente leur transparence fiscale»
Abdelaziz Arji, Expert-comptable, auditeur, commissaire aux comptes

Les Inspirations ÉCO : Quels sont les critères qui alertent le fisc en vue d’un contrôle fiscal, vis-à-vis des sociétés cotées à la Bourse de Casablanca comme des autres?
Abdelaziz Arji : Le fisc peut être alerté par plusieurs manquements, dont des déclarations qui présentent des incohérences. Dans ce sens, l’administration a sophistiqué son système d’information SIMPL de sorte à pouvoir faire ressortir les incohérences grâce à des algorithmes de détection de risques. Il y a aussi la décision de contrôler un secteur à risque, notamment les activités qui manipulent des espèces ou qui emploient des salariés non déclarés. L’administration contrôle également les prix de transfert et les managements fees facturés, notamment des entreprises ayant des liens de parenté avec des sociétés étrangères. De même, le fisc se penche sur les déficits chroniques en IS et en TVA, ainsi que sur les opérations de restructuration qui concernent notamment les opérations de fusion, d’acquisition et de liquidation.

Le contrôle fiscal des sociétés se fait-il sur une période préalablement définie ou plutôt de manière aléatoire?
La loi de Finances de 2015 a introduit la notion de contrôle fiscal ciblé, sur une année ou sur un impôt bien déterminé. Le système d’information a réduit le pouvoir de l’inspecteur de programmer un contrôle. D’où une certaine démocratie dans la programmation.

Qu’est-ce qui explique, d’après vous, que plusieurs sociétés cotées aient subi un redressement fiscal concernant l’exercice 2016?
Les sociétés cotées ne sont pas particulièrement visées. Au contraire, elles jouissent d’un système de gouvernance qui augmente leur transparence fiscale. Cependant, elles font partie de la catégorie des grandes entreprises, lesquelles ont été les premières à adhérer au système SIMPL, et sont celles sur lesquelles l’Administration a le plus de d’informations.

Pourquoi le contrôle de certaines sociétés cotées a-t-il surtout concerné la période 2012-2015?
 La période de contrôle fiscal allant de 2012 à 2015, qui a concerné certaines sociétés cotées, représente tout simplement la période quadriennale sur laquelle doit porter un contrôle fiscal classique. Celle-ci peut être étendue à 8 ans en cas d’existence de déficits.

Comment les entreprises peuvent-elles éviter un redressement fiscal?
Les sociétés doivent non seulement avoir un service financier bien organisé, mais en plus être accompagnées par un expert-comptable. Celui-ci étant indépendant, il est à même de leur apporter son expertise multisectorielle et de les aider à mieux affronter tout type de contrôle: fiscal, CNSS, Douane, Office des changes, mais également des audits de la maison-mère ou des commissaires aux comptes. L’expert-comptable, en tant que conseil juridique et fiscal, peut aider l’entreprise à documenter toutes ses transactions, de sorte à établir des factures documentées avec des justificatifs probants en relation avec la production réelle, sur la base de contrats validés, et mettre en place des contrats inter-compagnies pour justifier les refacturations entre la maison-mère et les sociétés sœurs.

Plusieurs sociétés négocient le montant du redressement imposé par le fisc. Comment parviennent-elles à le faire? Quelles sont leurs bases de négociations?
Les parties préfèrent conclure une transaction amiable plutôt que de faire durer le contentieux, d’autant plus que l’État est un partenaire -pour ne pas dire un «actionnaire»- de la société. Les transactions avec l’Administration sont usitées dans d’autres pays, notamment en France et en Espagne, qui sont nos premiers partenaires. Elles ne se font pas au hasard. Le contribuable effectue une simulation et propose un montant selon les chefs de redressement qu’il estime non défendables. De son côté, l’Administration fixe un seuil au-dessous duquel elle ne peut descendre sans compromettre les intérêts du Trésor. Le montant final est décidé autour d’une table regroupant au moins le chef de brigade et l’inspecteur d’un côté, et le représentant de la société, accompagné de son expert-comptable ou du conseil de son choix, de l’autre.



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