«L’investissement reste difficile à recenser dans la publicité digitale»
Investissements dans la publicité, internet, libéralisation des ondes, l’avenir du secteur… le président de l’Association marocaine du marketing et de la communication, décrypte la situation des métiers du marketing et de la communication.
Les Inspirations ÉCO : Sur les 7,2 milliards DH investis en pub, internet n’a pas pu capter plus de 450 MDH. Comment expliquez-vous ce retard accusé par le Maroc ?
Khalid Baddou : Ces chiffres sont des estimations, basées principalement sur les sources disponibles sur le marché, soit déclaratives ou recensées. Le chiffre des 7 milliards DH doit être, au moins, divisé par 2, en éliminant les remises commerciales, les packages de sponsoring, les commissions…etc. L’investissement en achat de publicité digitale reste difficile à recenser, puisqu’une grande partie de cet investissement (en moyenne 60%) va vers les plateformes étrangères, connues sous le label des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazone et Microsoft). Est-ce que les publicitaires marocains sont en retard, la réponse est Oui ! Car, au-delà des chiffres et des investissements, notre marché prend très lentement le virage du digital, et ce pour plusieurs raisons. La première, est la méconnaissance des évolutions du consommateur, dont les habitudes de consommation des produits, des services et des médias ont radicalement changé, tant chez la ménagère que chez la génération Y. Deuxième raison, la crainte de prise de risque, et la volonté de reproduire les mêmes schémas de campagnes «classiques», et ce, par manque de montée en compétence des publicitaires à la suite des évolutions imposées par le digital. Troisième raison, l’anarchie que connaît le secteur de la publicité, qui ne répond pas ou répond à peu de règles, et qui entrave la régularisation et l’organisation du secteur.
La libéralisation des ondes a initié un élargissement du marché publicitaire vers la radio. Or, ce média est en train de migrer aussi vers l’internet. Le marché publicitaire va-t-il suivre la tendance ?
Il faut noter que la part d’investissement publicitaire dans la radio a considérablement évolué pendant les 10 dernières années, passant de 10 à 25%, profitant de l’ouverture du secteur aux investissements privés. Aujourd’hui, en effet, tout le business model des radios est appelé à changer. Dans quelques années, la radio subira le même sort que la presse, puisqu’une version digitale sera nécessaire pour continuer à atteindre les auditeurs, et par conséquent drainer de la publicité. Il y a même aujourd’hui une opportunité qui émerge, puisque la création d’une radio, 100% digitale, n’obéit à aucune réglementation. Un créneau qui pourrait être porteur, si des professionnels et des investisseurs s’y mettent sérieusement.
La mutation, survenue dans les investissements publicitaires, va-t-elle influer sur les métiers de la publicité ?
Forcément, il est nécessaire qu’il y ait une montée en gamme des profils des responsables Marketing et Communication. Le travail doit commencer dans les grandes écoles de commerce et les universités, qui doivent obligatoirement revoir profondément leur cursus et le remettre à niveau avec les évolutions du marché. Les professionnels et les entreprises doivent, de leur côté, changer de paradigmes, à travers la formation continue, mais aussi en ayant recours à de vrais experts pour accompagner ces mutations.
Allons-nous assister à la disparition des agences et des régies classiques et voir l’émergence d’une nouvelle génération d’acteurs publicitaires ?
Il est vrai que l’achat d’espace publicitaire, notamment dans le digital, devient de plus en plus simple et supprime un bon nombre d’intermédiaires. Cependant, la valeur ajoutée réelle d’une agence ou régie ne réside pas seulement dans sa capacité à faire des opérations d’achat et de négociation, mais plutôt dans sa disposition à délivrer le conseil et l’accompagnement stratégiques nécessaire pour ses clients pour réussir leurs campagnes en ligne, avec l’évolution du consommateur. Ainsi, les agences ne sont pas vouées à la disparition, mais elles doivent obligatoirement évoluer dans leurs pratiques, c’est une urgence.
On parle beaucoup de la mode des «influenceurs-blogueurs» qui connaissent un essor fulgurant. Existe-t-il une stratégie pour monétiser leur activité sur le web marocain ?
Les influenceurs web est une nouveauté que le digital a imposée sur la scène. Avant, les journalistes étaient des leaders d’opinion par leurs écrits, aujourd’hui toute personne peut devenir influençante sur les réseaux sociaux en utilisant la multitude de supports et d’outils disponibles (photos, vidéos, récits…). Être influenceur ne s’autoproclame pas, il se construit à travers la production et la diffusion de contenus impactant sur l’audience et se base sur deux piliers : la crédibilité et l’expertise. Cela peut naturellement se monnayer en construisant sur ces deux axes, soit en relayant des informations autour des marques, ou alors en faisant profiter les entreprises de l’expérience du consommateur. Au Maroc, je peux dire que nous sommes encore dans un stade embryonnaire, puisqu’on associe souvent l’influence web à la fréquence des publications d’une personne ou d’un groupe, or la définition d’un influenceur est beaucoup plus affinée que cela.
Quelle sera la part du mobile dans les prochaines années, sachant que cet outil est devenu primordial dans la diffusion de la radio et la télévision, voire même de la presse sur web ?
La part du mobile, et du digital en général, dans l’investissement publicitaire ne fera que croître, et en l’absence de plateformes marocaines capables de drainer un flux important d’audience locale pour concurrencer les GAFAM, la majorité de ses investissements ira ailleurs. L’idée de mettre des barrières légales ou fiscales pour voir ces investissements décélérés ne réglera pas le problème, car les grands annonceurs ont la capacité d’acheter chez Facebook ou Google, à travers leurs maisons mères ou filiales à l’étranger, à des prix plus concurrentiels. Ce blocage risquerait également d’impacter négativement la performance de plusieurs TPE, dont les ventes sont boostées grâce à la publicité à coût réduit sur ces réseaux sociaux. Il faudra cependant accompagner l’écosystème digital marocain, notamment les stratups et les supports médias en quête de diversification, pour réussir à développer des plateformes web performantes, en vue accroître leur part dans l’investissement publicitaire dédié au digital.